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Maryvonne HASLE, journaliste puis professeur de lettres, est redevenue journaliste…


Maryvonne HASLE, journaliste puis professeur de lettres, est redevenue journaliste…

 

Interview de Rémi BOYER de l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°164 de septembre 2015 sur le Café Pédagogique.

 

Quel a été votre parcours de carrière ?

 

J'ai d'abord suivi des études de Lettres Modernes à l'Université de Nanterre (Maîtrise en 1991 option cinéma), tout en ayant une initiation au journalisme. Cela a été le début de ma vocation. Je suis entrée à l'Ecole Supérieure de Journalisme (ESJ) à Paris (de 1988 à 1990). Cela m'a apporté toutes les bases rédactionnelles et la pratique orale, indispensables au bon exercice du métier de journaliste. J'ai pu également être initiée à la radio et à la télévision par cette école.

 

A la sortie, j'ai été recrutée dans un journal à la suite d'un stage, dans le secteur culturel. Puis après la fermeture de ce journal, j'ai travaillé comme pigiste pendant 5 ans pour plusieurs médias, dans des rubriques thématiques telles que la culture, le cinéma, le théâtre, les jeunes et leurs études post-bac. Comme j'avais fait à l'université un mémoire de maîtrise sur le cinéaste Jacques TATI et par ailleurs, ayant de bonnes connaissances générales en cinéma et théâtre, mes piges en étaient facilitées. La crise du Golfe venue, j'ai commencé à « galérer » au niveau de l'emploi et comme j'avais plus de 25 ans, que les médias embauchaient surtout des jeunes de moins de 25 ans en emplois peu rémunérés, j'ai eu à l'époque beaucoup de mal à trouver un emploi stable. Je n'avais pas encore de carte de presse, donc pas de possibilité de formation dans mon domaine, ni de priorité dans les offres d'emploi de journaliste.

 

En septembre 1995 je décide d'enseigner le français dans l'enseignement privé sous contrat, puisque cela m'était accessible sans concours avec ma maîtrise. J'ai d'abord eu plusieurs entretiens rue des Saints-Pères à Paris, puis j'ai effectué mon premier remplacement en tant que maître auxiliaire à Nogent-sur-Marne. Mon recrutement a eu lieu un vendredi et je commençais le lundi matin avec une classe de seconde ! J'ai alors passé un week-end épouvantable à travailler à fond sur mes premiers cours ! J'avais des classes de seconde et de quatrième, aucune formation, juste des conseils de quelques amis profs. J'ai donc fait uniquement des cours magistraux la première semaine dans un premier temps. 1995, ce fut également l'année des grèves avec de grands blocages dans toute la région parisienne ! J'ai donc débuté dans le métier avec un plein temps de 18h et des élèves assez perturbés par des mois de manifestations dans la rue. Pour enseigner ma discipline, je me suis débrouillée : orthographe, grammaire, conjugaison, rédaction. J'ai tâtonné, travaillé tous les soirs pendant 4 mois, puis le stress a commencé à s'estomper. J'ai pu lire et redécouvrir des auteurs que j'avais appréciés durant ma scolarité, pour les faire aimer de mes classes de 4e, de 3e, de seconde. J'ai enseigné jusqu'en juin 1997 sur des remplacements autour de Paris. Parfois juste 2 mois, parfois 6 mois. Ensuite, je suis restée travailler 3 ans dont 2 comme certifiée sur poste au Protectorat Saint-Joseph d'Aulnay-sous-Bois.

 

J'étais entrée par curiosité dans l'enseignement, mais au bout de quelques années, je n'avais pas envie d'y rester toute ma vie. J'ai eu durant ces 5 ans tous les niveaux, de la 6e à la Terminale, des Bac Pro, des Bep aussi, des 4e et des 3e Techno.

 

Que gardez-vous comme souvenirs du métier de prof ?

 

Du positif et du négatif !

 

Ce fut une expérience très intéressante car j'ai découvert l'univers des profs, que je défends aujourd'hui pour avoir vécu la difficulté de leur quotidien de l'intérieur. J'ai revu toutes les règles d'orthographe, de grammaire et de conjugaison, souvent oubliées depuis ma scolarité. Je suis devenue petit à petit plus à l'aise à l'oral, en gestion de classe avec des personnalités différentes. Cela m'a permis de me renforcer en communication. J'ai rencontré des collègues sympathiques de tous horizons, certains chefs d'établissement bienveillants, des élèves attachants... J'ai souvent ri avec mes classes. Certains élèves m'ont recontactée depuis quelques années et je suis leur évolution plutôt positive sur les réseaux sociaux.

 

Cependant, j'ai aussi vu les exigences institutionnelles diminuer en Français, et les problèmes en orthographe s'accroître chez les élèves. Lorsque j'ai lu le programme de la réforme actuelle du collège, cela m'a affolée, c'est de pire en pire ! Quand on dit que le niveau baisse, oui, il baisse de plus en plus !

 

Prof, c'est un métier très prenant. Ceux qui critiquent ne connaissent pas du tout ce travail. Les 18 heures de présence en cours pour un plein temps demandent plus du double de travail à la maison. J'avais beaucoup de corrections de copies qui demandaient souvent plus de temps de correction que celles d'un professeur de maths ! J'avais des classes de 30 à 35 élèves en moyenne.

 

D'un autre côté, j'ai apprécié de faire aussi du théâtre et de la poésie avec mes élèves. J'ai par exemple dû enseigner l'histoire-géographie en BEP, en plus du français, alors que ce n'était pas ma spécialité d'origine ! Et j'ai également appris à cette occasion qu'on peut être inspectée dans n'importe quelle discipline que vous soyez spécialiste ou non.

 

Côté encadrement, l'arsenal de sanctions pour les élèves est clairement insuffisant, et je n'avais pas toujours de soutien de la direction des établissements où j'ai enseigné. Certains soutenaient délibérément les parents en cas de contradictions, ce qui était préjudiciable pour mon autorité. J'ai été professeur principal dans plusieurs établissements, et j'ai constaté pour certains jeunes, des parents laxistes ou absents, un manque d'éducation. C'est dommage. Je me suis lassée de tout cela, j'étais venue dans ce métier pour transmettre mes connaissances et non pour faire la gestion de classes parfois difficiles. Bien sûr, j'ai eu de très bons moments avec mes classes mais cela m'a fatiguée moralement et physiquement. J'en suis repartie d'autant plus facilement que je savais ne pas avoir la vocation pour ce métier. Je ne regrette pas cette expérience instructive mais je suis contente de faire enfin ce que j'aime aujourd'hui.

 

J'ai eu en effet l'opportunité de quitter l'enseignement en septembre 2001 pour devenir Secrétaire de Direction, en obtenant ma disponibilité.

 

Que faisiez-vous dans ce nouvel emploi de Secrétaire de Direction ?

 

J'étais chargée de la communication dans une association scientifique, cela a duré deux ans, et j'étais en lien avec des journaux du monde de la recherche.

 

J'ai ensuite été recrutée en tant que journaliste par l'un d'eux, mensuel scientifique près de Roanne (Loire). Je suis partie au siège pendant 4 ans. Puis, j'ai renégocié avec ma direction de travailler à distance sur Paris, tout en restant salariée. Cela fait 12 ans que je travaille pour ce journal. J'ai enfin pu obtenir ma carte de presse dès que j'y suis rentrée. Un rêve réalisé et une vie professionnelle actuelle épanouie !

 

Quelles compétences apporte le métier de journaliste et vous ont été utiles pour enseigner ?

 

J'ai toujours eu la plume facile, une bonne orthographe, un esprit de synthèse, en allant direct à l'essentiel. Quand on devient journaliste, il faut être « clair, concret, concis ». A l'ESJ, on nous apprend à rédiger de manière journalistique, à créer la titraille (titre/chapeau/intertitre/sous-titre..). Savoir utiliser ses connaissances personnelles, savoir transmettre l'information au lecteur tout en écrivant de manière claire, lisible et simple. Etre à l'aise au téléphone, à l'oral, à bien articuler, à sortir de sa timidité et aller vers les gens. Tout cela peut être appliqué dans l'enseignement. Par exemple, en français, j'ai initié mes élèves à découvrir un quotidien national, à s'entraîner à écrire des petits articles et j'ai même fait un mini journal télévisé avec une classe de 6e.

 

Etre devenue prof quelques années, c'est un plus ?

 

Oui, j'ai beaucoup appris. J'avais le sentiment de faire du théâtre face à mes élèves, car le métier de professeur, c'est être aussi un comédien. On est sur scène, on doit être souvent de bonne humeur, du moins, on essaie même dans les difficultés. Je me suis affirmée à l'oral durant ces années d'enseignement et j'ai une bonne culture générale renforcée.

 

Que conseillez-vous aux enseignants qui voudraient devenir journalistes ?

 

Ce métier ne s'improvise pas. Il faut faire une formation continue, dans le Centre de Formation et de Perfectionnement des Journalistes (CFPJ) par exemple, puis commencer par des stages et des piges. Il faut savoir bien écrire, vulgariser l'information, être à l'aise autant à l'écrit qu'à l'oral. Et être mobile, disponible, pour les reportages, rentrer le soir, partir le week-end…et même faire du porte-à-porte si c'est nécessaire.

 

Il faut aussi savoir développer et entretenir son réseau relationnel, pour décrocher des interviews, des piges aussi. Etre pigiste, c'est difficile ! Les pigistes sont payés au feuillet (1 500 signes, environ 40 euros en moyenne). La moyenne mensuelle (sur 3 ou 12 mois) doit être supérieure à la moitié du SMIC pour obtenir la carte de presse. Cela dépend ensuite souvent du bon vouloir du journal qui vous emploie.

 

Certains détournent la loi pour payer les pigistes en droits d'auteurs (Urssaf). Car les employeurs paient alors moins de charges. Mais le problème de ce type de contrat est que ce n'est pas reconnu comme du journalisme. La commission de la carte de presse cherchera s'il s'agit d'une activité d'auteur ou de journaliste en fonction de la description des activités exercées et de la nature des entreprises. S'il s'agit bien d'une activité journalistique exercée à titre principal et procurant à l'intéressé la majorité de ses ressources, la carte sera délivrée. Il faut être très actif, car plus le journal pour lequel l'on travaille est connu, plus l'on a de risques d'être payé au lance-pierre. Si l'article n'est finalement pas diffusé, on n'est pas toujours payé ! Le mieux est de travailler sur une rubrique de manière régulière.

 

Actuellement, avec le numérique, la presse est en crise, car les gens lisent de moins en moins la presse papier, et beaucoup de quotidiens et de magazines licencient. Ils préfèrent les pigistes, plus facilement éjectables, que des salariés qui leur coûtent trop cher. Le CFPJ publie chaque année de nombreux ouvrages de conseils concernant le métier de journaliste, que vous pourrez trouver à la Fnac par exemple.

 

Que pensez-vous de la réforme du collège ?

 

C'est aberrant ! Ils nous présentent les cours interdisciplinaires comme une nouveauté, alors que cela existait déjà en 1996-2001 avec les parcours pédagogiques. Ce ministre n'a rien inventé. Tout ce qui est proposé pour l'écrit comme pour l'oral en français, on le fait déjà depuis longtemps. Quand je lis ces programmes, encore une fois écrits dans du jargon pédant, cela manque de cohérence. En français, faisons déjà en sorte qu'en primaire, les enfants arrivent en 6e en connaissant bien leur langue à l'écrit comme à l'oral, avec une bonne orthographe. Ceux qui ne maîtrisent pas ne passent pas et redoublent. Nous aurons ainsi dans le secondaire des élèves partant avec le même niveau et donc, les mêmes chances. Actuellement, malgré ce que veut faire ce ministre, ce n'est et ne sera pas le cas ! Par ailleurs, vouloir supprimer le latin et le grec, bases de notre langue, en les noyant dans les cours interdisciplinaires, est hélas une erreur. La plupart des élèves de ces classes venaient de leur plein gré, motivés et de différents niveaux. Pour les classes bilangues, je connais une amie professeur d'anglais dans le public qui m'a dit que justement ce type de classe permet de donner une chance à tout élève d'améliorer son niveau d'anglais en ayant plus d'heures de cours. Ce n'est pas une classe élitiste, elle permet au contraire de relever le niveau de l'élève demandeur. Dans mon entourage, beaucoup d'enseignants sont en colère contre cette réforme qui nivelle le niveau général vers le bas. Et pourtant, au classement international de l'enseignement, on a déjà bien baissé !

 

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