
Catherine M., Professeur des écoles, a démissionné pour devenir Psychopédagogue.
Interview de Rémi BOYER de l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°165 de novembre 2015 sur le Café Pédagogique.
Qu'est-ce qui t'a donné envie d'enseigner à la fin de tes études ?
Je suis tombée dans la marmite de l'enseignement depuis toute petite. Il faut dire qu'avec un père professeur de sciences, j'étais à bonne école… Depuis toujours, mon désir était de transmettre, d'accompagner et de favoriser l'accès à la connaissance, au savoir. Mais paradoxalement, je ne me suis pas orientée immédiatement vers l'enseignement. Après une maîtrise de Lettres modernes, j'ai décidé de ne pas forcément suivre ce chemin tout tracé, et je me suis orientée vers le métier de documentaliste, qui pour moi, se rapprochait de ce que je cherchais, à savoir gérer et transmettre des informations, des connaissances, des savoirs.
J'ai donc présenté le concours de l'INTD au CNAM de Paris où j'ai passé un diplôme d'Ingénieur documentaliste (Diplôme Supérieur des Sciences et Techniques de l'Information et de la Documentation). A la suite de mes études, j'ai été embauchée à l'Université d'Avignon pour effectuer pendant un an le remplacement de la Responsable documentaire du SCUIO (Service Central Universitaire d'Information et d'Orientation).
J'ai découvert alors que l'Université, à l'époque, ne se préoccupait pas vraiment d'insertion professionnelle et n'entretenait aucune relation avec le monde de l'entreprise. Lorsque mon contrat s'est approché de la fin, je suis allée rencontrer la Présidente de l'Université de l'époque pour lui proposer de créer un service qui développerait le partenariat avec le monde de l'entreprise. Et comme l'université venait de créer un IUP en Informatique, elle m'a attribué un poste afin de mettre en oeuvre ce projet. Pendant deux ans, j'ai donc créé et développé le Service des Relations Extérieures de l'IUP afin de favoriser les stages et l'emploi de nos étudiants aussi bien en France qu'à l'étranger avec le développement des programmes d'échanges européens. Malgré la réussite de ce projet (ce service existe encore aujourd'hui au sein du CERI qui a remplacé l'IUP même s'il a changé de forme…), j'avais toujours au fond de moi l'envie de travailler avec le monde de l'enfance et le désir d'exercer un métier où je pourrais exprimer plus de créativité. J'ai donc préparé le concours de Professeur d'école tout en travaillant et en 1994, j'ai intégré l'IUFM.
Comment as-tu vécu ton métier d'enseignante ?
J'ai démarré le métier comme brigade départementale, ce qui m'a permis dès le départ de multiplier les expériences de fonctionnement en classe et de toucher du doigt différents aspects de ce métier. Puis rapidement j'ai obtenu des postes à l'année. D'emblée, j'ai apprécié cette relation privilégiée que l'on développe avec les élèves et la possibilité d'exercer un métier dans lequel on peut exprimer sa créativité. Il faut dire qu'au tout début de ma carrière, j'avais la sensation d'une totale liberté dans mes fonctions, et je ne ressentais ni contrainte ni pression hiérarchique.
À l'époque, l'Education Nationale semblait faire totalement confiance à ses enseignants et leur donnait réellement la possibilité de s'exprimer dans leur activité. Comme je suis quelqu'un qui n'apprécie pas tellement la routine, j'ai changé volontairement d'école tous les deux ans, ce qui m'a permis d'exercer dans tous les niveaux de classe de la maternelle au CM2. J'ai même été Directrice d'école au cours de ma dernière année dans l'enseignement primaire. Cette carrière m'a permis de développer différentes compétences comme la conduite de projet, le sens des relations humaines, l'attention aux autres, l'aptitude au changement, la recherche de la pédagogie la mieux adaptée à chacun. Je n'ai pas tellement subi la hiérarchie tout au long de ma carrière : en 20 ans, je n'ai été inspectée que 3 fois et à chaque fois, j'ai été encouragée dans mon professionnalisme. Mais à aucun moment je n'ai eu l'impression que mon travail était réellement valorisé par rapport à l'effort fourni. Les dernières années, au niveau du primaire, vu toutes les réformes auxquelles on a été soumis sans qu'on en comprenne toujours le sens, vu le poids de plus en plus lourd qui a commencé à se faire sentir sur le plan purement administratif, j'ai commencé à ressentir la perte de sens dans mon travail, comme si le système m'obligeait à brider ma créativité et m'imposait de plus en plus de contraintes.
J'ai intégré alors l'enseignement secondaire en devenant certifiée de Lettres Modernes sur liste d'aptitude, avec l'idée d'une évolution possible de carrière. Mais tout s'est interrompu il y a deux ans, lorsque j'ai dû me mettre en Congé Longue Maladie.
Quel a été le facteur déclencheur de ton envie de démissionner de l'Education Nationale ?
Cette épreuve a été pour moi le facteur déclencheur de mon processus de reconversion. Je me suis rendu compte, que depuis des années je fonctionnais sur des injonctions qui ne correspondaient pas à ce que j'étais. Mon métier avait, à mes yeux, perdu tout le sens que je lui conférais jusqu'alors. Je n'avais plus vraiment l'impression d'être dans l'accompagnement, mais plutôt dans « l'élevage ». Cette sensation a encore été exacerbée lors de mon bref passage dans l'enseignement secondaire. J'ai donc profité de ce congé qui m'était donné pour réfléchir à un possible changement de carrière. Je savais tout de même une chose au fond de moi : je ne voulais plus rester dans la fonction publique, je voulais être libre et mener un projet personnel. J'ai commencé à réfléchir à tout ce que j'aimais faire profondément, et qui correspondait à mes valeurs : l'accompagnement, la transmission, le bien-être d'autrui. Mais je n'avais toujours aucune idée de ce que j'allais mettre en place.
Quelles stratégies as-tu mises en œuvre pour réussir ton changement ?
J'ai commencé par chercher des sites sur internet qui parlaient de reconversion professionnelle.
C'est ainsi que j'ai atterri sur le site d'AIDE AUX PROFS et que j'ai décidé de devenir membre de l'association, afin de me faire accompagner dans ma démarche. Cela m'a apporté confiance et donné le courage de poursuivre mon projet. Entre temps, je m'étais intéressée à une formation sur Paris de Praticienne en psychopédagogie positive qui semblait correspondre complètement à ce que j'avais envie d'exercer comme activité. Je suis entrée en contact avec quelqu'un qui exerçait déjà depuis un certain temps en Auvergne, et je me suis inscrite afin de préparer cette certification.
Au mois de mai 2015, l'association AIDE AUX PROFS a eu l'excellente idée d''organiser son 2e colloque sur la création d'entreprise auquel j'ai participé. Cette expérience m'a donné des ailes et j'ai alors compris que je tenais là le moyen de réaliser mon rêve : créer une structure qui me permettrait de faire ce que j'aime en toute liberté et en gagnant ma vie. Au départ, je n'avais pas forcément envisagé de démissionner : comme ma formation pouvait se faire sur des week-ends, j'avais plutôt envisagé de me mettre à mi-temps et de développer ma reconversion en parallèle. Il faut dire que depuis janvier 2014 j'étais en arrêt maladie et je ne devais reprendre qu'en septembre 2015.
J'ai d'abord demandé à bénéficier d'un DIF afin de m'aider au financement de la formation : cela m'a été gentiment refusé par mon administration sous prétexte que le DIF avait été remplacé par le CPF mais que les décrets n'avaient pas encore été publiés pour l'Education Nationale. J'ai surtout compris concrètement qu'il ne me fallait rien attendre de mon employeur. Je me renseigne alors sur le choix le plus judicieux pour effectuer ma reconversion et j'apprends que le cumul d'activités est limité dans le temps (après il faut choisir entre les deux activités) et que si je me mets à mi-temps, en cas de démission future, mon IDV sera calculée sur un demi-traitement.
Fin juin 2015, je reprends contact avec mon école afin d'y préparer la rentrée : plannings, commandes… et là, je me replonge dans l'ambiance après avoir été en arrêt durant 1 an et demi. Au premier jour des vacances d'été, en juillet, je sais que je ne pourrai plus jamais y retourner et recommencer comme avant. J'envoie ma lettre de démission au DASEN en effectuant une demande d'IDV pour création d'entreprise. Je reçois une réponse courant septembre m'indiquant le montant qui m'a été attribué et me demandant à quelle date je souhaite partir. J'accepte le montant proposé et demande à démissionner au 1er novembre 2015, ce qui a été accepté.
En quoi consiste ta nouvelle activité ?
Aujourd'hui, je me suis installée en tant qu'autoentrepreneur afin de démarrer mon activité de façon simplifiée. Dans un premier temps, je propose des formations de remise à niveau sur le socle des compétences professionnelles à destination de salariés peu qualifiés, pour des organismes de formation continue avec lesquels je suis en contact. Lorsque j'aurai obtenu ma certification en psychopédagogie positive au printemps 2016, je m'installerai en cabinet libéral afin d'accompagner des enfants ou adolescents présentant des problématiques d'apprentissage.
J'ai également créé une page professionnelle destinée à promouvoir mes activités et à partager des pistes de réflexion autour de cette thématique.
Lorsqu'une personne te pose des questions sur le métier d'enseignant, que lui réponds-tu maintenant ?
Aujourd'hui, avec le recul, je ne conseille pas forcément autour de moi de se lancer dans le métier d'enseignant. C'est un métier de plus en plus difficile et mal reconnu même si certains y trouvent encore leur compte. Tout dépend de sa personnalité et de ses choix de vie. Il faut arriver à faire abstraction de toute la lourdeur administrative que demande ce métier actuellement. Je pense personnellement que je me sentirai plus utile dans mes nouvelles fonctions et plus libre d'entreprendre ce que j'ai envie de construire.
Si tu pouvais rencontrer le Ministre de l'Education Nationale en personne, maintenant que tu as démissionné, tu lui dirais quoi ?
Si je pouvais apporter des améliorations à la gestion des ressources humaines au sein de l'Education Nationale, ce serait de permettre plus facilement l'accès à d'autres métiers, et d'arrêter de penser que les gens doivent être enseignants « à vie ». Pour ce faire, il faudrait faciliter l'accès à la formation, à la mobilité professionnelle, à la réalisation de projets personnels en adéquation avec les désirs de chacun. Bref, une véritable politique de ressources humaines où l' « humain » prime sur la bureaucratie.
Catherine M., qui a fini par démissionner, s’était vu refuser son DIF par l’éducation nationale.
« Le 17 mars 2015, suite à la parution d’une circulaire de mon académie concernant les demandes de financement DIF, je complète mon dossier afin d’obtenir la prise en charge d’une formation pour préparer ma reconversion professionnelle après un Congé Longue Durée.
Le 31 mars 2015, je reçois une réponse stipulant : « Par courrier en date du 17 mars 2015, vous avez sollicité l’activation de votre droit individuel à formation. Je vous informe que le droit individuel à formation, a été remplacé, depuis le 1er janvier 2015, par un dispositif de « compte formation », et je ne dispose pas encore de la circulaire ministérielle relative à sa mise en oeuvre. Il ne m’est donc pas possible, à ce jour, de répondre favorablement à votre demande. »
J’ai donc décidé de financer moi-même ma formation ainsi que les frais de transport et de J’ai néanmoins appris il y a quelques semaines, que tout ce qui m’était déclaré dans ce courrier était entièrement faux puisque le DIF n’a pas disparu dans l’Education Nationale et qu’un enseignant peut toujours le faire valoir pour une formation. J’ai donc décidé d’exercer un recours, sur les conseils d’une personne avisée, en commençant par envoyer le 27 novembre 2015 une lettre de réclamation en recommandé avec AR à M. le DASEN : « M. le Directeur académique, J’ai effectué le 17 mars 2015 une demande d’activation de mon droit individuel à la formation. Il m’a été répondu le 31 mars 2015 que ce dispositif ayant été remplacé par le compte formation il n’était pas possible de répondre favorablement à ma demande (cf. courrier joint). Or, je viens d’apprendre que toutes ces informations sont totalement fausses et au vu de la circulaire que j’ai trouvée sur le serveur de l’académie, il est bien spécifié que chaque agent bénéficie d’un crédit de 20 heures par année civile depuis 2008. Ma formation durant 140 heures, j’avais donc droit à un financement de la part de l’administration afin de me permettre de la financer. Je vous demande donc de bien vouloir financer cette formation. Dans le cas contraire, je me verrais dans l’obligation de saisir le Tribunal Administratif afin d’obtenir satisfaction. Espérant que vous voudrez bien prendre en compte cette demande, je vous prie d’agréer, Monsieur le Directeur académique, l’expression de mes sentiments distingués. »
A ce jour, je n’ai reçu aucune réponse mais je suis prête à aller devant le Tribunal Administratif s’il le faut, car j’estime qu’il est important que l’Education Nationale donne l’exemple en matière de respect des droits des salariés ».
NDLR 2025: Catherine M. ayant démissionné de l'Education nationale, n'a jamais pu obtenir son DIF de ce ministère décidément bien maltraitant pour ceux qui souhaitent juste faire valoir leurs droits.
Catherine est toujours Psychopédagogue à son compte: elle a trouvé sa voie.
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