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Valérie DE LA TORRE, de professeur des écoles à Autrice jeunesse


Valérie DE LA TORRE, professeure des écoles, est devenue auteure pour la jeunesse

 

Interview d’Alexandra MAZZILLI pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°153 de mai 2014 sur le Café Pédagogique.

 

Valérie DE LA TORRE est professeur des écoles toujours en activité en 2014 et auteur de littérature de jeunesse. Elle a notamment publié "Petit Boule rouge" aux éditions Amaterra en 2011 (un petit chef d’œuvre pour les enfants de 3 à 5 ans, qui aide à grandir !), "Plouf plouf… le roi", aux éditions Néphélées en 2013 et "Ça c'est vache !" en 2014. De jolies couleurs, des textes abordables, des messages forts, c’est tout l’art de Valérie qui s’exprime dans ces albums de littérature de jeunesse. Elle nous confie ici son parcours, ses rêves et ses attentes pour le futur.

 

Quelles études avez-vous suivies ? Pourquoi avoir choisi le métier d’enseignant ?

 

J’ai suivi des études de biologie moléculaire (génétique) : j’ai obtenu un DEA de biologie moléculaire et je me destinais à travailler dans les OGM. En 1993, c’était encore trop tôt et je n’ai pas trouvé d’emploi. J’ai choisi de ne pas faire de thèse pour ne pas me bloquer encore plus dans ce domaine.

 

Mes parents instituteurs m’ont tannée pour que je passe le concours « au cas où ». Ce n’était pas ma vocation première, je continuais à chercher un emploi sur les OGM à l’échelle européenne mais je ne trouvais pas. Je me suis donc résolue à entrer en PE1 pour préparer le concours, j’ai passé le concours et j’ai fait mon année de PE2. C’est un milieu que je connaissais malgré tout très bien. J’ai grandi dedans et j’avais quand même une représentation précise de ce que c’était. Tout s’est bien passé mais ce n’était quand même pas ma vocation première et j’étais convaincue que cette activité serait provisoire. Après une rupture, je suis restée PE pour pouvoir m’assumer et assumer mes enfants, mes diplômes de bio devenant un peu obsolètes. En parallèle de tout cela, j’ai toujours écrit : depuis le CP, en fait ! Pour mon plaisir.

 

Quel a été votre parcours de carrière ?

 

Cette année, c’est ma 17ème année : je suis toujours restée dans la région bordelaise. Je continue de travailler à plein temps, j’ai un CP actuellement. J’ai eu la chance de toujours obtenir les postes que je demandais au mouvement. J’ai effectué mes premières années dans des écoles d’application comme « modulatrice » (décharge d’IMF). On m’a proposé de passer IMF ou Conseiller Pédagogique mais ce n’était pas mon idée. J’ai eu l’agrément d’anglais dès le début donc j’ai pu obtenir des postes fléchés, j’ai fait tous les niveaux. J'exerce mon métier avec beaucoup de sérieux au quotidien mais je ne m'épanouis pas en le faisant car je m’y ennuie intellectuellement donc j’ai souvent changé d'école ou de niveau pour me lancer à chaque fois le nouveau challenge d’une nouvelle classe.

 

Mes illusions sur la justesse du système Education nationale autant pour l'élève que pour l'enseignant lui-même sont vite tombées au contact d’une super directrice : je sais que je vais quitter l’enseignement car je suis épuisée de devoir donner l'impression de croire en un système auquel je n’adhère pas du tout, notamment vis-à-vis des parents. Il est difficile de paraître convaincue de quelque chose qui ne nous parle pas (réformes, programmes,…). En 17 ans, j’ai connu plusieurs grandes réformes et un nombre incroyable de changements de programmes. Je suis fatiguée d’un système qui n’est plus crédible.

 

Quels grands projets pédagogiques avez-vous menés ?

 

J’ai réalisé énormément de projets pédagogiques autour de la littérature de jeunesse. Par exemple, j’ai essayé de faire écrire mes élèves, de fabriquer un livre numérique notamment. Je lance toujours des projets fédérés autour de la littérature de jeunesse bien que multidisciplinaires. Et pourtant je suis scientifique de formation !

 

Comment êtes-vous arrivée à l’écriture? Et plus particulièrement à la rédaction d’albums et d’ouvrages pour la jeunesse ?

 

J’ai toujours écrit depuis que je sais écrire. Et j’ai écrit plein de choses différentes car je ne trouvais pas mon style, sans jamais rien oser proposer à des maisons d’édition. Dans les premières années de ma carrière, alors que j’étais en train de présenter un album à des élèves de CM1, j’ai eu un déclic : mon créneau, c’était la littérature de jeunesse. Je n’avais jamais rien osé envoyer aux éditeurs mais j’ai fini par me lancer.

 

Ma première parution date de mars 2010, dans le magazine La Classe (qui propose des textes avec leurs exploitations pédagogiques). Cela fait vraiment quatre ans maintenant que je me suis lancée dans cette aventure. L’album Petite boule rouge est sorti en parution papier, c’est un album réalisé avec une illustratrice québécoise rencontrée sur Internet. Je ne savais pas dessiner, il me fallait donc trouver une collaboratrice.

 

J’ai écrit aussi deux albums numériques qui ont été publiés, puis deux autres albums papier. Et j’ai également à mon actif des parutions presse journalistiques dans La Classe et dans Dauphin (une revue belge pour les écoles primaires). Récemment, je viens de signer un contrat pour un nouvel album papier.

 

Souhaitez-vous quitter l’école pour vous reconvertir définitivement et entièrement dans l’écriture et vivre de votre passion ?

 

Dans l’idéal, je ne voudrais faire que de la littérature. Mais financièrement pour l’instant, c’est impossible : pour chaque livre, j’ai une illustratrice, il me faut donc partager avec elle les recettes.

 

Or, auteur et illustrateur passent en dernier lieu dans la chaîne de l’édition. Les pourcentages sont très faibles dans l’édition. Je souhaiterais faire des animations dans des classes ou en médiathèques mais pour l’instant je suis en classe à plein temps, je ne peux pas me libérer facilement.

 

L’idée, c’est de me mettre à mi-temps dans deux ans pour me libérer du temps pour écrire et aller dans les classes. A long terme, je souhaite quitter l’enseignement. Je garde malgré tout un excellent contact avec les enfants et ce public que je connais très bien. Il est difficile de demander des disponibilités pour ce genre d’activités (réaliser des animations en classe, en médiathèques), surtout que les enseignants sont soumis à une clause de non-concurrence. Mon idée de reconversion ne m’a absolument jamais quittée. Je suis rentrée dans l’enseignement, en me disant que de toute façon, je n’y resterai pas, éventuellement que je ferais prof de fac.

 

Quelles démarches avez-vous menées pour réussir à vous faire publier ?

 

J’ai passé un bilan de compétences que j’ai payé de ma poche, bien évidemment. A partir du moment où j’ai laissé entendre que ce n’était pas pour me reconvertir dans l’Education Nationale, les portes se sont refermées autour de moi.

 

J’ai donc préparé seule le concours d’entrée à l’école de journalisme de Bordeaux : j’ai pris contact avec des journalistes pour connaître le terrain. Mais ils m’ont dit de faire attention… J’aurais été une « senior avec expérience de débutante », la presse écrite en difficulté, cela aurait été très compliqué pour moi de réussir dans ce créneau. J’ai ressenti une immense déception lorsque j’ai compris que cette piste n’était pas raisonnable. Tout le monde m’a conseillé de ne pas rentrer à l’école et de faire des piges. J’ai laissé tomber en développant mon projet d’auteur jeunesse. Ma reconversion est dans le monde de l’écrit, quoiqu’il arrive.

 

Forte de votre expérience d’écrivain, comment menez-vous vos séances de productions d’écrits avec les élèves ?

 

En réalité, quand j’écris un livre je ne fonctionne pas de la même façon mais les élèves ont le blocage de la page blanche : en classe, je pars de personnage. Je travaille des personnages. Ca marche très bien. Nous nous posons des questions : que font-ils dans la vie ? Quel sont leur(s) problème(s) ? Comment se connaissent-ils ? Quelles relations entre eux ? Comment se rencontrent-ils ? Je les guide énormément sur l’invention d’un ou deux personnages (carte d’identité) et sur les relations qui peuvent les lier. Ensuite les enfants arrivent à démarrer. Chez le cycle 3, souvent, je fournis une entame de texte. Ca fonctionne bien, c’est facilitateur. Mais il faut guider les élèves quand même car certains continuent de partir dans tous les sens.

 

Quelles compétences pensez-vous avoir acquises dans l’enseignement et lesquelles vous semblent transférables dans le cadre d’une reconversion ?

 

Je pense avoir une excellente connaissance de mon public. Je connais très bien ma cible, les lecteurs, les centres d’intérêt et les capacités de lecture d’un enfant de tel ou tel âge. Pour l’instant, il y a le lien à l’enfant : ça m’aidera pour mes futures rencontres scolaires. Dans l’écriture elle-même, il n’y a rien de particulier, ce n’est pas l’école qui m’a aidée à développer ces compétences. Mon plus, c’est vraiment la connaissance des enfants. Je suis capable de me mettre à la portée de mes élèves, de mes lecteurs.

 

Avez-vous suivi un apprentissage, une formation pour vous perfectionner ?

 

J’avais envisagé de suivre des formations sur la littérature de jeunesse. Mais elles se passent à Paris en temps scolaire donc cela reste impossible pour l’instant. J’y viendrai mais pour l’instant je n’en ai pas fait. Ce sont plus des formations administratives, qui abordent des thèmes comme savoir gérer ses droits d’auteur, des formations à contenu juridique. Une formation qui m’intéresserait, c’est celle qui permet d’apprendre à passer d’un album à un scénario de dessin animé. Par ailleurs, je suis membre de la charte des auteurs et illustrateurs jeunesse à Paris (c’est une sorte de syndicat).

 

Combien de temps consacrez-vous à votre projet à côté de l’école ?

 

J’ai gardé de mes études une très grande capacité de travail. Pour ma classe, je travaille énormément entre midi et deux et un peu le soir. J’ai la chance d’être efficace et des facilités au bout de 17 ans.

 

Je consacre deux heures par jour d’école à mon métier d’auteur jeunesse, en plus de ma classe que je ne néglige pas, bien sûr, loin de là. Le week-end, j’écris beaucoup.

 

La face cachée, tout ce qu’on ne voit pas, c’est l’envoi de manuscrits aux éditeurs, les recherches sur Internet pour cibler exactement la ligne éditoriale de l’éditeur, la recherche d’informations en amont qu’il faut mener. A cela se rajoute la phase effective de présentation du projet, une fois que toutes ces recherches sont faites. C’est chronophage. Tout cela prend beaucoup plus de temps que le temps effectif d’écriture ! Heureusement, de plus en plus, nous pouvons envoyer nos projets par e-mail. Mais les éditeurs répondent rarement quand c’est non. Ils ne donnent jamais de nouvelles. Les délais sont colossaux dans les comités de lecture sauf dans les petites maisons d’édition. Il faut au moins trois mois avant que le manuscrit arrive à destination et soit étudié. Le marché de la littérature de jeunesse est saturé. C’est une jungle. Je l’ai découvert, je ne le savais pas.

 

Le réseau aide beaucoup. Il faut d’ailleurs être très présente sur les réseaux sociaux. Il y a aussi le temps passé dans les salons, les dédicaces,… Mais ça, c’est génial car j’ai toujours très envie de rencontrer mes lecteurs, surtout que pour l’instant je n’ai pas encore le créneau des rencontres scolaires. Il n’y a aucune intention pédagogique dans aucun de mes albums. Pourtant, on m’a fait remarquer que mon album Petite boule rouge avait une visée « formatrice » : c’est l’histoire d’une petite boule qui ne sait pas rouler car elle n’a jamais appris. Elle rencontre un grand ballon bleu qui la rassure (l’adulte). Puis une boule verte, à qui elle apprendra à son tour à rouler. Tout cela est juste venu d’une erreur de prononciation dans ma classe (jeu sur les sonorités) ; le soir dans mon lit, je me suis demandé : qu’est-ce que je peux écrire à partir d’une petite boule rouge ?

 

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans cette reconversion/seconde activité professionnelle ?

 

Quelque chose qui me touche, c’est l’arrêt de la commercialisation d’un de mes albums. Il n’’est plus en librairie. Les auteurs sont très dépendants des choix éditoriaux des éditeurs. Ces derniers choisissent parfois de s’en séparer même si le livre a bien marché, c’est ce qui se passe avec Petite boule rouge. Pour moi, c’était inenvisageable que mon livre parte au pilon. J’ai donc racheté tout le stock. Et je l’écoule. J’espère qu’un autre éditeur pourra le rééditer. Je ne pourrais le faire que lorsque j’aurais écoulé tout le stock. J’ai tenté l’expérience de la publication numérique mais je suis très contente que l’un des deux opus ait été réillustré puis publié en papier : il s’agit de « Ca c’est vache ». C’est un album qui marche très bien dans le sud-ouest. L’éditrice québécoise a fait le choix de travailler avec Amazon, de ne pas prendre un éditeur en France car il aurait pris sa commission. Mais aller présenter un livre édité par Amazon, ce n’est pas forcément très facile. En tant qu’instit, j’ai un autre frein : il est très délicat de parler de mes livres en milieu scolaire et de faire de la « pub ». Je n’ai pas le droit de faire de la pub, du commerce. C’est très compliqué.

 

Que conseilleriez-vous à un enseignant qui souhaite réaliser une mobilité professionnelle hors de l’enseignement ?

 

Il faut se lancer en sachant que le chemin est difficile, semé d’embûches. J’ai persisté huit ans à demander à l’Education Nationale un bilan de compétences.

 

Il faut savoir qu’il est beaucoup plus facile de rentrer dans l’Education Nationale que d’en sortir. Le frein à ma reconversion définitive est surtout financier pour moi. Mais je ne lâcherai jamais le morceau. Il faut être optimiste mais tout est fait pour qu’on ne soit pas encouragé à partir. Il faut foncer mais prendre des conseils ailleurs, élargir son horizon, aller voir la « vraie » vie, même si je n’aime pas trop ce terme. On a une position très particulière dans la société. Il me paraît important de découvrir le monde du privé, voire de prendre appui sur le monde du privé, le monde de l’extérieur.

 

Quand on est dans quelque chose qui nous passionne, on ne compte plus ses heures, on ne les voit plus passer. Et on est moins fatigué ! Je sais que je serai moins fatiguée lorsque j’aurais quitté la classe car il y a une véritable usure psychologique dans l’Education Nationale.

 

Aujourd’hui, quel regard portez-vous sur l’école de la République ?

 

Je suis convaincue que dans sa forme actuelle, l’école de la république n’apporte pas de solutions satisfaisantes : nous avons besoin d’une refonte en profondeur du système éducatif. J’y crois encore mais il faut qu’elle se restructure complètement pour retrouver le panache qu’elle avait y a cent ans, une aura dont le pays était réellement fier. On peut retrouver ça mais ça passe par une grande réforme structurelle. A priori, nous n’en prenons pas vraiment le chemin…

 

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NDLR 2025: 11 ans après cette interview, Valérie DE LA TORRE exerce à plein temps comme Autrice Jeunesse: elle a réalisé son rêve, ayant publié plus de 30 livres à ce jour !

 

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Le 29 juin 2023, ALCA a invité des bibliothécaires, organisateurs de manifestations, responsables de structures culturelles, tiers-lieux, professeurs, à venir découvrir les activités paralittéraires proposées par les auteurs et les autrices de Nouvelle-Aquitaine. Valérie DE LA TORRE faisait partie des intervenant(e)s.

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