
Amandine C., agrégée de SVT, évolue vers chef de projet marketing dans le secteur de la santé.
Interview de Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°141 de mars 2013 sur le Café Pédagogique.
Quel a été votre parcours professionnel jusqu’ici ?
Après une préparation au sein d’une Ecole Normale Supérieure, j’ai obtenu l’agrégation de Sciences de la Vie et de la Terre à 23 ans. J’ai d’abord été affectée comme TZR. Je voulais travailler en lycée, mais j’ai commencé sur deux postes, un collège et un lycée, comme TZR sur l’Académie de Versailles. Heureusement je n’avais qu’un quart d’heure de trajet entre les deux, ce qui est assez rare pour un TZR. Mes préparations de cours ont été lourdes, avec plusieurs niveaux à gérer, pendant 4 ans sur ce poste. Globalement, je n’ai pas souffert des conditions de travail, en-dehors de l’incertitude à l’approche de chaque rentrée pour savoir où le rectorat allait m’affecter. En tant que TZR, j’ai mené mon premier projet pédagogique : la réalisation d’une exposition de vulgarisation sur les volcans, ayant obtenu le premier prix du concours « Faites de la science ». J’ai ensuite été affectée dans un lycée ZEP, celui qui m’intéressait. Il y avait beaucoup de projets, c’est un lycée excellent et dynamique, avec des équipes soudées. J’y ai animé une option théâtre, et j’y suis resté 6 ans.
J’ai organisé plusieurs projets : entre autre un projet mixant le théâtre et le développement durable, un autre pour sensibiliser les élèves au recyclage des déchets.
Ensuite, j’ai demandé une disponibilité car j’ai eu envie de faire autre chose. J’ai alors intégré un MBA en Marketing de l’Industrie de la Santé que je terminerai en septembre 2013, avant de chercher ensuite un emploi comme Chef de Projet Marketing. Actuellement, je suis chargée d’études dans un cabinet de conseil spécialisé en marketing des industries de la santé, et je réalise des études de marché pour l’industrie pharmaceutique. Mes interlocuteurs sont entre autres des médecins. Le métier d’enseignant consiste à s’approprier rapidement de l’information scientifique complexe, de la synthétiser afin de faire passer un message simple : cela m’aide beaucoup dans mon nouveau métier. Les métiers du marketing et de la communication dans l’industrie de la santé m’intéressent, et c’est pas à pas que je construis mon projet d’évolution professionnelle.
Quelles compétences votre métier vous a-t-il permis de développer ?
L’esprit de synthèse. Je suis aussi très organisée, et je me suis toujours astreinte à pratiquer mon métier dans des horaires classiques, de 8h30 à 18h30, en intégrant mes préparations de cours et corrections de copies dans cet intervalle suffisamment large.
Cela a été très important, car cela me permet aujourd’hui de m’adapter aisément en entreprise. Cela m’a toujours évité de travailler le week-end, et m’a permis de profiter de mes soirées, de faire la coupure nécessaire entre le travail et mes loisirs personnels. Je fonctionne selon le principe du rétro-planning, en réalisant une planification annuelle de mon travail. Ce que j’ai acquis, c’est de piloter des projets, de fédérer des personnes, avec une capacité à mobiliser les énergies, et cette compétence là est aisément transférable.
Considérez-vous votre métier d’enseignante comme un handicap pour la suite ?
Non, plus maintenant. Par exemple, entre septembre et décembre 2012 j’ai travaillé en CDD dans un laboratoire de cosmétique, pour faire des prévisions de vente pour une marque. Je me suis rendu compte qu’enseigner, c’est aussi manager des équipes de jeunes, car on gère dans nos pratiques professionnelles des groupes plus ou moins importants, et même avant d’avoir eu une formation en management, j’ai appris à manager.
Avoir été enseignante ne constitue donc pas pour moi un handicap pour la suite de la carrière dans laquelle je souhaite m’investir, mais plutôt une force et une ouverture d’esprit. Mais ce n’est pas toujours le point de vue de mes interlocuteurs, qui reste parfois à convaincre.
Vous n’avez pas songé devenir chef d’établissement ou inspecteur ?
Ce fut ma première réflexion. Mais pour devenir IA-IPR quand on est agrégé, il faut d’abord avoir atteint l’échelon 9 (entre 14 et 19 ans d’ancienneté, ndlr). Or, j’étais à l’échelon 7 après 11 ans d’ancienneté, et ce n’était donc pas envisageable. Pour moi, le changement, c’était maintenant, je ne pouvais pas attendre d’autre échéance. A force de faire apprendre les autres, et de les voir passer vers la classe supérieure, on a envie d’évoluer à son tour, de grandir, de retourner à l’école aussi. Je commençais à tourner en rond dans mon métier, j’avais besoin d’oxygène.
Concevez-vous cette reconversion comme temporaire ou définitive ?
Je ne sais pas pour l’instant, j’ai envie de m’y engager, voilà tout. Je compte renouveler ma disponibilité, car ce que je fais est prenant, avec 4 jours de mission en entreprise par semaine, et 2 jours de formation. J’ai souvenir d’élèves extraordinaires, et d’autres plus difficiles, et il a quand même fallu que je suive un processus de deuil de mon métier d’enseignante pour pouvoir le quitter avant de ne plus l’aimer, comme tant d’enseignants après 10, 15, 20 ans de métier. Je ne sais pas encore si je reviendrais, je vais d’abord voir comment se déroule cette nouvelle étape de ma vie.
Mais comment faites-vous pour vivre sans revenus durant cette disponibilité ?
J’ai revendu mon appartement il y a quelques années, ce qui m’a apporté un capital. J’ai décidé d’en investir une partie dans mon projet professionnel. Cela m’a financé ma formation, et j’en espère un retour sur investissement rapide. La mission en entreprise est rémunérée, mais c’est sûr que je suis nettement moins payée que lorsque j’étais en poste.
La demande de disponibilité a-t-elle devancé ou précédé votre admission en formation ?
Pour pouvoir réaliser ma formation, initialement il fallait que je passe des tests de culture générale et des tests d’anglais, au mois de juin. Or, la demande de disponibilité doit s’effectuer en février-mars pour la rentrée suivante. Grâce au directeur de la formation que j’avais retenue à l’Institut Supérieur de Commerce, j’ai pu réaliser les tests d’admission en anticipé en janvier, afin de pouvoir gérer ma demande de disponibilité ensuite. La conseillère mobilité qui me suivait a été très présente et réactive ; nous nous sommes rencontrées deux fois et avons échangés près de 15 fois par téléphone.
Que pensent les recruteurs du privé des enseignants ?
Une partie se moque d’eux, en raison de leur réputation d’absentéisme, ou des mots d’ordre de grève auxquels ils participent souvent, et ils ont le sentiment que les profs ne font que ça puisque c’est très médiatisé.
Cette image pénalise donc tous les profs, et en particulier ceux qui souhaitent changer de métier. D’autres ont un regard admiratif et disent « bravo ! », « très bien ! », « génial ! » pour nous encourager. Quand j’ai fait mes recherches d’emploi, j’ai envoyé beaucoup de demandes et j’ai reçu peu de réponses.
Quels conseils pouvez-vous donner aux enseignants qui souhaitent quitter leur métier ?
Ce qui est très important, c’est de chercher à construire un parcours dans la durée, et surtout de ne pas se présenter comme un « prof qui en a marre », car là c’est l’échec assuré.
Il est très important de bien faire le point sur soi-même : qu’est-ce que j’aime ? Pourquoi changer ? Personnellement, j’ai pris 2 ans de réflexion et d’étude des diverses possibilités avant la mise en œuvre de mon projet. Si on est dans un ras-le-bol, c’est que l’envie de changement est trop tardive, il ne faut vraiment pas attendre cette extrémité car elle peut freiner le projet.
Pour ma part, j’ai ressenti des signes avant-coureurs de cette envie de changement : quand j’ai eu mon premier enfant, je revenais épuisée chez moi le soir, après m’être tant donnée pour les enfants des autres, et je n’avais plus de patience pour le mien. Je voulais vivre autre chose avec mon fils. Quand les élèves finissaient par m’énerver en classe, cela me faisait beaucoup réfléchir : finalement la cause de cet énervement n’était peut-être pas nécessairement les élèves, mais peut-être simplement un début de saturation que je ressentais. Je n’y trouvais plus mon compte, j’oscillais alors entre des périodes de satisfaction et des périodes de ras-le-bol, sans déprime. C’était cyclique, mais cela ne me plaisait pas du tout.
Quel a été le regard de vos collègues quand ils ont su que vous partiez ?
En règle générale, les trentenaires de 5 à 6 ans d’expérience m’ont dit « oui, vas-y, génial, c’est super… », j’ai eu de leur part du soutien, de l’espoir de me voir réussir, des encouragements.
Une partie des profs qui avaient la quarantaine m’ont dit « de toute façon, laisse tomber, tu n’y arriveras pas ». D’autres m’ont dit « vas-y » mais avec un peu de scepticisme, comme si j’allais échouer. Heureusement, mes collègues quadra les plus proches m’ont soutenue dans mon projet.
D’autres encore m’ont dit « oh là là, tu es courageuse, moi je ne pourrais pas… »
Enfin, il y a aussi eu ceux qui m’ont dit « oh là là, avec la crise économique, t’es vraiment sûre de toi ? ». J’ai également été encouragée dans mon projet par mon compagnon, qui m’a dit « tu n’as rien à perdre : au pire, cela t’aura fait une bouffée d’oxygène ».
Il est essentiel de partir quand on est bien dans sa peau et dans sa vie personnelle, en ayant bien vécu et aimé son métier de prof. Si on ne se lance pas au moment où l’on en a envie, on sera rongé par les regrets, et c’est là que les petites déprimes peuvent se muer en grande dépression. Il faut vraiment entrer dans une logique de progression, car un prof a maintenant Bac+5, et il est légitime pour lui d’aspirer à une évolution professionnelle au cours de sa carrière.
Conseilleriez-vous ce métier à un étudiant ?
Prof, c’est un super métier, humainement et professionnellement parlant. On y apprend des choses extraordinaires au contact de ses élèves. Ce qui manque, c’est la possibilité de pouvoir en partir et y revenir.
Quand on part voir ailleurs, on revient avec un regard neuf, différent, on se sent moins dans un microcosme, on apprend à s’adapter autrement. Cela me semble fondamental pour attirer les jeunes vers le métier de prof que de leur permettre de réaliser tout au long de l’année la mobilité de leur choix. On n’est plus dans l’engagement à vie dans ce métier pendant 40 ans, cela fait très peur aux jeunes d’aujourd’hui.
Je n’hésiterais pas à conseiller le métier à un étudiant, tout en lui suggérant de réfléchir à acquérir tout au long de ses années d’enseignement de nouvelles compétences, qu’il pourra réinvestir si le besoin de changement se faisait sentir après quelques années. On arrive tous à une saturation, la « base de feu sacré » se consume vite… Et il est sain d’aller voir ailleurs, quitte à revenir ensuite, éventuellement.
Que conseilleriez-vous à l’Education Nationale en matière de mobilité ?
De favoriser la liberté de mouvement, avec une mobilité possible tout au long de l’année, car un cadre A, comme l’est l’enseignant, a besoin d’évoluer, et pas seulement au 1er septembre de chaque année.
Il faut en finir avec ce blocage institutionnel, qui oblige à demander très tôt dans l’année sa disponibilité. Le système de mobilité est en total décalage avec le système de recrutement dans le privé, et c’est une vraie barrière à toute progression professionnelle, à toute évolution.
Depuis cette interview, Amandine s'est engagée dans le collectif "Debout Citoyennes". Elle s'est engagée dans le partage de compétences et connaissances en numérique et en IA pour permettre à toutes les populations de participer activement aux débats démocratiques et ainsi favoriser leur émancipation.
*** *** ***
NDLR 2025 : en réalisant en 2025 notre bilan associatif de 19 ans de démarches diverses et variées vers les hauts fonctionnaires de l'Education nationale, nous pouvons affirmer que la fin des blocages institutionnels, la fin des "nécessités de service", n'est pas pour 2025 ni pour les années à venir.
L'Education nationale s'est toujours accommodée d'une "GRH pépère", confortée par les syndicats qui sont en position de co-gestion de carrières qui ne sont que la progression de la base au sommet d'une échelle indiciaire, et rien de plus.
L'Education nationale a encore des progrès à faire, mais ni le gouvernement BAYROU ni les suivants ne lui en donneront les moyens, tellement l'endettement de l'Etat a atteint une position intenable face aux exigences de la BCE. 112% d'endettement sur le PIB alors que la limite fixée par la BCE en 1992 était de 80%... L'Education nationale malgré un budget qui atteint presque 90 milliards d'euros, n'a plus les moyens de revaloriser tous les professeurs. Elle le fait "par tranches", une fois tous les 4 à 5 ans, frustrant toutes ses ressources humaines. Et ce n'est pas près de changer.
En déployant la GRH de proximité, l'Education nationale n'a qu'une idée en tête: décourager les mobilités externes en les orientant vers la mobilité interne, et affecter ceux qui le souhaitent uniquement dans les fonctions affectées par de forts départs en retraite.
Les Conseillers Mobilité Carrière (CMC) sont "aux ordres" des Chefs de Division, dont les DPE et les DRH, et supervisés par des Dasen et des Recteurs qui bloquent in fine tous leurs efforts, s'opposant par "nécessités de services" aux réussites des personnes qu'ils accompagnent. Tout cela est profondément démoralisant pour ces CMC qui préfèrent "se la boucler", car ils sont tous assis sur un "siège éjectable" puisque leur fonction ne comporte pas de concours.
Écrire commentaire