
Florence ESNAULT : PLP de Biotechnologie depuis 27 ans, a créé sa micro-entreprise d'entretien d'espaces verts et de bricolage.
Interview de Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°135 de septembre 2012 sur le Café Pédagogique.
Quel a été votre parcours professionnel ?
J’ai d’abord obtenu un BTS en Economie Sociale et Familiale en 1984 puis j’ai enseigné dans un lycée au Havre cette discipline. En 1997, j’ai obtenu le concours de PLP en Biotechnologie et j’ai donc enseigné dans le même lycée cette discipline, jusqu’en 2006, avant d’obtenir ma mutation dans un lycée de Rouen dans l’enseignement privé sous contrat, comme depuis le début de ma carrière. J’enseigne auprès de 3e, de CAP, de BEP et de Bac Pro.
En Janvier 2011 j’ai eu envie de prendre un bol d’oxygène en me consacrant professionnellement à ma passion : le bricolage et les espaces verts. J’ai donc créé ma micro-entreprise dans ce domaine.
Pourquoi aviez-vous eu envie de devenir prof ?
Après le BTS, il fallait que je fasse encore une année d’études pour devenir Conseillère en Economie Sociale et Familiale, alors j’ai préféré devenir enseignante.
Attirée par les jeunes en difficulté, pour leur apporter des connaissances, les aider à s’en sortir, c’est le côté humain de ce métier qui m’a intéressée, et qui m’intéresse toujours.
Je trouve que le côté humain est plus développé en lycée professionnel qu’en collège, sans doute parce que nos élèves font enfin le lien entre ce qu’ils apprennent en classe et le métier qu’ils exerceront plus tard. Leur scolarité a enfin du sens, et notre action d’enseignant aussi.
J’apporte à mes élèves des valeurs, je les aide à avoir confiance en eux, alors qu’ils arrivent souvent en lycée professionnel plus ou moins cassés par un système qui les a rejetés parce qu’ils n’entraient pas « dans le moule ».
Quelles compétences pensez-vous avoir développées dans l’enseignement ?
Je suis dynamique, autonome, je sais travailler en équipe, organiser. Je suis positive dans ma manière d’être face aux élèves, c’est très important pour savoir les motiver, pour mobiliser leurs énergies, les canaliser. Pour bien faire ce métier, il faut aimer les jeunes, être à leur écoute, leur donner envie de progresser, de se dépasser.
Pourquoi avoir voulu en 2011 changer de quotidien professionnel ?
J’ai à un moment ressenti un profond ras-le-bol de l’Education Nationale, de ses réformes incessantes, de tout ce que l’on nous demande de faire et qui change sans cesse, avec ce sentiment désagréable d’être toujours en train d’expérimenter, sans consolider.
Lorsque l’Education nationale s’est mise en tête de mener tous les élèves au Bac, c’est là que le ras-le-bol a commencé, j’ai ressenti une espèce de saturation. Je n’en pouvais plus, j’avais vraiment envie de faire autre chose, de bouger, d’être en extérieur, de voir vraiment autre chose. Dans ma famille, on ne jurait que par les métiers intellectuels, le manuel n’avait pas sa place.
Comme j’avais élevé mes trois enfants, j’aurais pu demander à partir en retraite mais je suis une hyperactive, j’aime travailler, m’occuper. Donc, avec moins de contraintes financières qu’auparavant, j’ai décidé de me lancer en diminuant mon temps de travail comme enseignante, avec 12/18e soit 66% de quotité. Dans le lotissement où j’habite, ils recherchaient une personne pour s’occuper des espaces verts, alors j’ai saisi cette opportunité pour créer mon activité et leur proposer mes services. J’ai donc créé ma micro-entreprise.
Quelles démarches avez-vous réalisées pour cela ?
J’en ai parlé à mon chef d’établissement, qui m’a donné son accord. Puis je suis allé me renseigner à la Chambre des Métiers, pour une journée d’information. J’aurais pu faire une semaine de stage, mais j’ai préféré m’informer sur Internet à mon rythme.
Au départ je voulais être auto-entrepreneuse, mais comme mon principal client allait être une association, et qu’un auto-entrepreneur ne peut pas facturer à une association, j’ai alors choisi le régime de la micro-entreprise.
A la Chambre des Métiers on m’avait fait remplir un formulaire, pour évaluer mon projet, puis j’ai obtenu un numéro de SIRET/SIRENE. Je ne cotise pas à l’URSSAF, je dépends de la MSA, à laquelle je verse des cotisations solidaires, car je ne travaille pas assez d’heures. Ce n’est pas du tout compliqué à assimiler. Les impôts, ensuite, se basent sur 50% de mon chiffre d’affaires.
C’est donc moins intéressant que le régime de l’auto-entreprise, et dans les deux cas on ne peut déduire aucun frais.
Au niveau des démarches vis-à-vis de mon administration, j’ai rempli un formulaire de demande de cumul d’activités accessoires. Au bout d’un mois sans réponse, la demande est réputée être acceptée. Comme je n’ai eu aucune réponse à mon courrier, au bout d’un mois, j’ai commencé mon activité.
Comment organisez-vous votre temps ?
Je travaille dans ma micro-entreprise en fonction de mon emploi du temps scolaire, chaque année, donc mes horaires varient. Parfois mes clients me proposent du travail le samedi, et je le fais de temps en temps. Pendant les vacances scolaires, je peux passer plus de temps dans cette activité parallèle. Cet été par exemple, je n’ai pas arrêté. Au total, je travaille 40 à 45h par semaine en comptabilisant mes deux activités et les tâches annexes qu’elles génèrent.
Qu’est-ce que cette micro-entreprise a changé dans votre vie d’enseignante ?
J’y ai trouvé mon équilibre personnel, qui est devenu très bon. J’ai pris du recul par rapport aux élèves actuels (pas motivés ni travailleurs) et je reviens toujours avec plaisir travailler avec les élèves, car j’ai envie qu’ils réussissent. Je continue comme par le passé à travailler consciencieusement, je suis contente d’enseigner, j’en ai toujours envie.
Mais si votre entreprise se développe, il vous faudra choisir ?
Justement je ne la développe pas. Je refuse du travail régulièrement pour éviter que ça me prenne trop de temps, car je ne veux pas lâcher mon activité d’enseignante qui me rend utile aux autres, qui donne aussi du sens à ma vie.
Et puis physiquement, on ne sait jamais, ce que je fais dans ma micro-entreprise est fatigant, et même si j’ai une bonne santé et que j’ai toujours été très sportive, je ne sais pas si je pourrais pour autant y consacrer un plein temps jusqu’à mon départ en retraite. Il me reste encore 10 ans…
Quels conseils auriez-vous à donner à des enseignants qui ont envie de créer leur entreprise en cumul d’activités accessoires ?
Je ne regrette rien du tout, et je leur dit : foncez ! Faites-vous plaisir ! Je suis contente d’avoir osé me lancer, car le pire aurait été de mûrir ce projet et de ne jamais le concrétiser, en vivant comme beaucoup d’enseignants sur des regrets.
Quand on a un projet en soi, il faut l’essayer, pour ne pas le regretter.
Le regard de vos collègues et de vos élèves a-t-il changé ?
Je suis assez sollicitée par mes proches pour des tontes de gazon, du bricolage. Ils me trouvent mieux, plus épanouie, et les élèves sont étonnés que je fasse cette autre activité. Pour moi cette expérience est très positive.
Aux dernières nouvelles, Florence ESNAULT a mis fin à son activité parallèle et a repris sa vie d’enseignante, heureuse d'avoir pu se permettre ce cumul pendant quelques années. Elle sera bientôt retraitée.
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