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Après 2 ans comme professeur des écoles, Gwendoline. a démissionné pour créer son agence de voyages et d’évènementiel


Après 2 ans comme professeur des écoles, Gwendoline. a démissionné pour créer son agence de voyages et d’évènementiel

 

Interview de Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°136 d’octobre 2012 sur le Café Pédagogique.

 

Quelles ont été les étapes de votre parcours professionnel ?

 

En 2007 j’ai obtenu une Licence en Sciences des Sociétés et de leur Environnement, spécialité anthropologie, puis j’ai tenté le concours de Professeur des Ecoles en candidate libre grâce aux cours du CNED de Toulouse. Admise à la session 2008, je suis devenue PE1 dans l’académie de Reims, puis, pendant deux ans (2009-2011), « titulaire Brigade », à ma demande. Je voulais être remplaçante.

 

Cependant, fin novembre 2011 j’en ai eu assez de ne jamais pouvoir travailler correctement avec les parents d’élèves, de ne pas être soutenue par ma hiérarchie, et j’ai décidé de démissionner.

 

L’administration a tenté de me détourner de mon projet de reconversion, et bien que j’aie obtenu une Indemnité Volontaire de Départ qui aurait dû être versée avant ma démission effective (fin juin 2012), j’en attends toujours le versement ! (NDLR: elle a fini par l'obtenir)

 

Ma démission était motivée par l’envie de me réaliser autrement professionnellement, par choix personnel, en créant une agence de voyages et d’évènementiel, dans laquelle je m’épanouis, loin du stress et de l’épuisement généré par les tâches administratives multiples qu’on nous imposait en école Primaire, loin de cette hiérarchie cloisonnée et ne soutenant pas les enseignants dans leur métier difficile. Je ne regrette absolument pas mon choix, et mon entreprise se développe, c’est un nouveau départ dont je suis très contente.

 

Revenons sur ce poste en Brigade, ça consiste en quoi exactement ?

 

Rattachée à un établissement, je m’y rendais le matin pour attendre un coup de téléphone de l’Inspection m’indiquant dans quelle école primaire, dans un rayon de 40 km environ, j’allais devoir remplacer un enseignant absent.

 

Je préférais avoir des remplacements courts, d’une demi-journée à une semaine, mais en fait j’ai eu plus souvent des remplacements de longue durée. A chaque fois, le niveau était différent, m’obligeant à disposer de préparations de cours de la maternelle au CM2, ce qui représente une grosse charge de travail, mais j’ai été plus souvent appelée pour remplacer en maternelle.

 

Dans ce type de poste, la contrainte est que les trajets peuvent être longs et fatigants, et qu’il faut à chaque fois s’adapter à une nouvelle école, de nouveaux parents... J’ai fait en moyenne 200 km par mois pendant deux ans, ce qui reste raisonnable par rapport aux titulaires académiques ou remplaçants en collège ou en lycée, qui, nommés en général sur plusieurs établissements, peuvent réaliser jusqu’à 200 km par jour !

 

Il faut savoir aussi qu’il est très difficile pour un enseignant du Primaire d’obtenir sa mutation. Ça suppose d’obtenir un « exéat », en gros l’autorisation de l’Inspecteur d’Académie pour muter vers un autre département, et un « inéat », soit l’autorisation de l’Inspecteur d’Académie du département souhaité, pour y entrer !

 

Autant dire qu’il est très long d’obtenir la mutation de son choix, ce qui explique le succès du mouvement « Mutez-Nous » ! Il n’est plus rare que les profs des écoles attendent plus de 5 ans la mutation de leur choix, même quand les couples sont séparés…

 

NDLR: Le collectif des "mutez-nous" a été lancé par des Professeurs des Ecoles et fait parler de lui chaque année. En 2025, 13 ans après l'interview de Gwendoline, rien n'a changé au pays des mutations empêchées dans l'Education nationale, la preuve. C'est à désespérer de cette administration qui pleure parce qu'elle manque d'enseignants, mais qui ne fait rien pour s'en faire apprécier.

 

Vous aviez pourtant choisi ce type d’affectation, pourquoi en avez-vous eu assez ?

 

J’ai eu des classes difficiles à tenir, des parents d’élèves peu coopératifs, situation très déstabilisante psychologiquement. Certains se permettaient de venir faire la discipline dans les classes de mes collègues, d’autres voulaient interférer sur la pédagogie en indiquant à notre place comment enseigner les programmes aux élèves, etc. Je n’avais pas de soutien des parents pour mener des projets avec les élèves, peu de soutien de la part de la hiérarchie et des discours complètement décalé par rapport aux moyens matériels dont je disposais.

 

Ainsi m'a-t-on reproché de ne pas utiliser le Tableau Blanc Interactif (TBI) ni le rétroprojecteur, alors que l’école dans laquelle j’enseignais n'en avait pas, tout simplement !

 

J’en ai eu assez de ces incohérences. Comme des professeurs qui obtiennent ce qu'ils veulent en « dérangeant » alors que d'autres travaillent sans relâche pour peu de reconnaissance. De plus, je dois dire que les taches des professeurs des écoles se sont sérieusement alourdies avec cette manie de l’Education nationale de vouloir tout évaluer.

 

Pour chaque élève, chaque année, c’est un dossier interminable à remplir : évaluation du socle commun, des compétences acquises, attestation de sécurité routière, attestation de natation, attestation TICE, etc. La constitution de ces dossiers est obligatoire, et en plus, ils ne servent quasiment jamais ! Cela permet de rassurer une administration qui est dans l’évaluationnite aïgue. Remplir des tonnes de paperasses est-il professionnel, dans un métier dénigré ?

 

Mais dans ce cas, pourquoi ne pas prévenir votre supérieur hiérarchique ?

 

En Primaire, c’est bien simple, dans l’école, il n’y a pas de supérieur hiérarchique, et ça pose réellement problème. Les profs des écoles ne se pressent pas au portillon pour devenir directeur d’école car c’est une fonction très prenante, parfois sans décharge, pour une centaine d’euros par mois en plus.

 

La fonction de Directeur d’école actuellement sème plus la zizanie dans les équipes qu’autre chose, puisqu'on leur demande de « piloter » les écoles sans rôle hiérarchique. Elle est synonyme de pénibilité, et souvent l’administration trouve des « volontaires » en leur affectant d’office la mission d’être directeur. Et refuser, c’est être du coup mal vu de l’inspecteur…

 

L’Inspecteur, un IEN de circonscription, lui, est trop loin. A chaque rentrée, il vient faire ses visites dans toutes les écoles de sa circonscription, c'est assez rapide, ce qui ne lui permet pas vraiment de voir ce qui ne fonctionne pas. Ensuite, tous les 3 à 4 ans, il inspecte les profs des écoles de sa circonscription. J’ai connu un IEN qui était à l’écoute, et un autre qui ne l’était pas. En général ils sont faciles à contacter, mais ne raisonnent que par les chiffres, les % de réussite, car avant tout, les IEN doivent rentrer de bonnes statistiques pour faire avancer leur carrière. Ils manquent parfois de diplomatie. Le rôle de l’IEN c’est d’inspecter, de noter.

 

Quelles étaient vos motivations en entrant dans l’enseignement ?

 

J’avais la passion des apprentissages, avec une envie de transmettre, de partager. J’étais amoureuse de la connaissance, et j’avais déjà enseigné le FLE et l'anglais à des adultes. Je m’imaginais aussi que j’allais motiver des élèves, leur redonner le moral en enseignant différemment. Tout cela n’était qu’un beau rêve, du fait du fonctionnement très rétrograde de l’Education nationale.

 

Comment vous y êtes-vous prise pour quitter l’Education nationale ?

 

Ça n’a pas été sans mal. Un prof qui veut démissionner, ça n’est pas prévu par le système, et ça reste tabou, même entre profs !

 

D’abord, entre septembre et novembre 2011, j’ai voulu tester mon employabilité dans le privé et dans la fonction publique territoriale. Après envoyé des dizaines de CV, de lettres de motivation, en répondant à des annonces, j’ai réussi à passer quelques entretiens.

 

Quand mon profil plaisait, je me suis entendu dire plusieurs fois par un recruteur « comme vous avez été prof, je ne vais pas prendre le risque de vous recruter, même si votre CV est bon. » Voilà, tout est dit : il ne fait pas bon avoir été prof quand on souhaite se reconvertir ensuite.

 

Alors, comme j’avais depuis longtemps dans l’idée de créer mon entreprise, j’ai commencé à préparer ce projet en novembre 2011. Quitter l’Education nationale n’a pas été facile.

 

Fin novembre 2011 j’ai écrit une première lettre sous couvert de mon IEN à l’Inspecteur d’Académie, pour demander à bénéficier d’une Indemnité de Départ Volontaire (IDV) puis de démissionner. Trois semaines plus tard, cette personne me téléphone, m’indique qu’elle a toujours ma demande entre ses mains, et m’interpelle ainsi « êtes-vous sûre de bien comprendre ce que cela entraîne ? » puis « Vous êtes un bon élément, pourquoi souhaitez-vous quitter l’Education nationale ? ».

 

Après avoir exposé mes raisons, l’IEN a transmis ma demande aux services RH, qui m’ont répondu début janvier 2012 pour me dire qu’il leur fallait calculer le montant de mon IDV. Puis rien. Alors je les ai relancés en février par courrier. Ils ont mis deux mois pour calculer le montant de l’indemnité, car ils m’ont dit avoir dû d’abord rechercher dans les circulaires internes à quoi j’avais droit pour création d’entreprise. C’est là que j’ai appris que chaque Recteur fait la pluie et le beau temps en fixant le barème qui lui plaît pour le montant de l’IDV dans des fourchettes données par les textes et plus ou moins respectées. Certaines académies sont généreuses et d’autres pas. J’ai su à cette occasion que l’académie de Reims, où j’étais alors, était la moins payante de France. Une fois mon attestation obtenue, on m’a pressé de démissionner et de créer mon entreprise, comme ça, en cours d’année, et je me suis demandée « pourquoi si vite » et j’ai alors lu les petites lignes contenues dans l’attestation.

 

Il était bien indiqué que l'IDV serait versée sous réserve de création d'entreprise après la date effective de la démission. L’administration espérait-elle ne rien me verser en me poussant à la faute ? J’ai donc refuser de démissionner, et ai demandé que soit indiqué sur l’attestation que mon entreprise serait créée avant ma démission, afin de pouvoir bénéficier de l’IDV.

 

Pendant 2 mois, tous les mercredis, je me suis rendue à l’Inspection Académique pour obtenir cette attestation, et, laconiques, les secrétaires du bureau de gestion me répondaient « …justement, nous étions en train de nous occuper de votre dossier… ».

 

Puis rien, ça a duré 2 mois à ce train là. Etait-ce les lenteurs administratives habituelles ? Du désintérêt ?je ne le sais pas. Ils étaient polis, mais pas très efficaces. J’ai donc pu créer ma société fin juin, en fournissant mon KBis début juillet, tandis que ma démission a été acceptée le 5 juillet à 16h40, le dernier jour, à la dernière minute. Mais voilà, j’attends toujours que me soit versée l’IDV promise, ça fait déjà 4 mois ! Je suis donc obligée de les relancer jusqu’à obtenir satisfaction.

 

NDLR: IDV qu'elle a fini par obtenir. Son témoignage des lenteurs administratives est toujours pleinement d'actualité, 13 ans plus tard. L'administration  fait preuve de la plus mauvaise volonté qui soit pour les professeurs qui cherchent à la quitter et c'est un véritable parcours du combattant que de tenter de quitter provisoirement ou définitivement l'Education nationale.

 

Mais comment avez-vous pu créer votre entreprise puisque vous ne pouviez pas compter encore sur l’IDV ?

 

Pour créer une EURL comme agence de voyages, il faut un capital social minimum de 8000 € pour être crédible auprès des banques, des professionnels de l’hôtellerie, les restaurateurs, les prestataires, etc. J’avais économisé 1600 € et j’ai bénéficié d’une aide de la part d’une association, Ardennes initiatives, qui m’a prêté au taux de 0% la somme de 5000 €. J’ai aussi apporté à l’entreprise mon matériel informatique et bureautique personnel, dont la valorisation a permis d’atteindre ces 8000 € de capital social. L’avantage de créer une EURL est que l’on crée une personne morale, responsable aux yeux de la loi. Cela m’a permis de bien distinguer mes biens professionnels de mes biens personnels.

 

L’inconvénient, c’est que la comptabilité est plus difficile que dans une auto-entreprise, car on doit gérer la TVA, et faire sa comptabilité est assez complexe. J’y passe 2 jours par mois en moyenne pour calculer quoi reverser à l’Etat, respecter le plan comptable...

 

Quand vous vous êtes installée, avez-vous été bien accueillie par les professionnels en place ?

 

Très vite, une fois l’EURL créée, j’ai appelé ma concurrente directe, dans mon secteur, et elle m’a encouragée dans mon projet, en me donnant des conseils, cela s’est très bien passé. Au début de l’entreprise, j’ai bien senti que les professionnels que je rencontrais tentaient de me décourager, mais quand ils se sont aperçus que mon activité allait sensiblement être différente de la leur, tout s’est bien passé.

 

Mon activité est double :

- Je développe d’une part une agence de voyages sur mesure pour particuliers provenant du Monde entier, et qui souhaitent visiter l’Europe principalement;

 

- D’autre part, je propose des services aux professionnels, en leur apportant de la visibilité sur le plan international, grâce au réseau que je développe, avec des offres intégrées de proximité. Je propose par exemple de traduire leur site web, puisque je parle plusieurs langues. Je peux aussi employer un traducteur pour le faire. J’organise des séminaires pour des professionnels, des soirées publicitaires pour promouvoir un produit, des inaugurations de bâtiments, j’organise des formations, des mariages, des anniversaires…mon métier est de réaliser la logistique de chaque évènement, incluant le transport, l’hébergement et la restauration, puisque mon autre activité est d’être agence de voyages.

 

Quels types de voyages sur mesure proposez-vous ?

 

Par exemple, j’ai organisé pour une famille de 20 personnes venue des Etats-Unis une semaine d’accompagnements, avec un guide, de monuments historiques, pour des visites privées, sur Paris. Je propose aussi des semaines tout compris pour deux ou plusieurs personnes, selon les critères définis par les clients. Je peux aussi m’adapter en fonction du budget des personnes, pour leur concocter leur séjour.

 

Quelles compétences, développées dans l’enseignement, vous sont utiles actuellement ?

 

La gestion de projets, de gros dossiers impliquant différents partenaires, avec une analyse de la situation, la définition des principaux axes d’action, et l’évaluation de la prestation réalisée. La pédagogie aussi, me sert beaucoup dans le cadre de l’organisation de voyages culturels.

 

Que vous a apporté AIDE AUX PROFS ?

 

D’abord, vos bons conseils dans mes démarches vis-à-vis de l’administration, votre soutien, et votre réseau. Chaque fois que je souhaite une mise en relation spécifique, vous en disposez dans votre réseau : cela me permet de gagner un temps précieux, donc de faire des économies.

 

AIDE AUX PROFS m’apporte aussi une aide dans mes recrutements, puisque j’ai besoin d’accompagnateurs pour les voyages que j’organise, et que vous proposez aisément des candidatures de profs, en provenance de toute la France. Là aussi, je peux réaliser des économies.

 

Comment voyez-vous l’avenir aujourd’hui ?

 

Je me sens en pleine forme, beaucoup mieux qu’avant !

 

Je ne pense plus du tout à mon ancien métier d’enseignante, qui m’usait, me vidait, et surtout je ne ressens plus du tout ce stress face à la classe, cette pression permanente en classe tout au long de la journée, où chaque mot que l’on prononce peut être très mal interprété par les élèves, par leurs parents, ou par les collègues !

 

J’en ai fini de ce stress…et je n’ai plus jamais de mal être au travail. Ma société démarre, et malgré les lenteurs de l’Education nationale qui m’ont fait perdre du temps dans l’élaboration de mon projet, les partenariats se multiplient, avec de grands groupes, et mes clients sont très contents, je me sens nettement plus valorisée dans cette activité que lorsque j’étais prof des écoles.

 

Aux dernières nouvelles, Gwendoline a continué d'évoluer dans le domaine du tourisme. Puis est devenue Guide conférencière, guide accompagnatrice et traductrice-interprète.

 


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