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Jean-Claude GUEZENNEC, professeur de Lettres pendant 43 ans, passionné de cinéma et fondateur d’Archimède-Films


Jean-Claude GUEZENNEC, professeur de Lettres pendant 43 ans, passionné de cinéma et fondateur d’Archimède-Films

 

Interview de Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°125 de septembre 2011 sur le Café Pédagogique.

 

Préambule :

J’ai interviewé Jean-Claude il y a 14 ans. Il nous a quittés à 93 ans, toujours actif sur l’association Archimède-Films qui a empli une bonne majorité de sa vie, toujours passionné à transmettre son savoir aux jeunes, grâce aux partenariats réalisés avec des collèges, des lycées et aux DVD produits pour la gendarmerie, la police, les pompiers, etc.

 

C’est un homme que j’ai beaucoup apprécié humainement, qui m’a beaucoup appris pour savoir gérer avec rigueur et éthique l’association AIDE AUX PROFS. Je le voyais quelques fois par an, il était comme un mentor, un conseiller, toujours attentif, à l’écoute, d’une véritable bienveillance, toujours prêt à rendre service. Il est décédé de vieillesse, pendant la crise sanitaire, le 23 juillet 2021, et c’est une personnalité que je regrette beaucoup, mais que je suis heureux d’avoir pu rencontrer à de nombreuses reprises, pendant 16 ans à partir du moment où nous nous sommes rencontrés.

 

Je republie et actualise son interview avec beaucoup d’émotions pour ce grand humaniste que fut Jean-Claude, un ami, à 5 mn de chez moi en voiture, c'était facile d'aller le voir. Nous prenions un thé, nous échangions sur nos passions respectives. Je lui ai amené mon fils dès ses 12 ans qui a été passionné par l'activité de son association. Et c'est ainsi que j'ai rencontré d'autres passionnés du même âge que mon fils, qui ont suivi les traces de Jean-Claude, et contribuent toujours activement à l'association, comme Doltin BAVEUX et Annie DESHAYES (sa maman, qui fut une de mes collègues passionnantes de mathématiques au CNED de Rouen quand j'y ai été 16 ans Responsable de Formations en détachement)

 

Pour quelles raisons vous êtes-vous orienté vers l’enseignement et sous quel statut ?

 

Adolescent, j’avais plusieurs vocations dont celle d’enseignant. J’avais été dans des mouvements de jeunesse, d’éducation populaire, je me passionnais pour le cinéma, le journalisme. A 17 ans, j’avais écrit mon premier roman. Mes parents étaient issus d’un milieu modeste, et m’ont conseillé l’enseignement : je n’ai jamais eu à regretter ce choix. « Passe l’agreg d’abord » m’a dit mon père, et je l’ai obtenue en 1955.

 

Mon premier poste fut en Algérie à Blida, puis en 1957 je suis affecté à Rouen au Lycée Corneille, que je ne quitterais qu’à mon départ en retraite, en 1993. J’ai eu le sentiment durant toutes ces années de construire quelque chose de durable, d’avoir été un homme d’action au service des élèves.

 

Agrégé de Lettres classiques, j’ai enseigné le Français, le Latin, et un peu le Grec, de la 6e à la Terminale. J’ai refusé d’enseigner en classes préparatoires, préférant les échanges que je pouvais entretenir avec des classes qui n’étaient pas focalisées sur la réussite d’un concours. J’ai travaillé à plein temps jusqu’en 1982, puis j’ai travaillé au ministère sur un poste de mis à disposition (MAD) à mi-temps pendant 10 ans, pour réaliser la mise en place en France de sections cinéma, ma grande passion.

 

Quelles compétences avez-vous acquises dans l’enseignement ?

 

Un professeur est toujours en quête de la meilleure démarche pédagogique pour intéresser ses élèves, et c’est ce que j’ai fait, pour captiver mon public d’année en année, pour que les élèves n’aient pas le sentiment de s’ennuyer. J’ai toujours su être à l’écoute des attentes et des besoins de mes élèves. A travers de nombreux voyages pédagogiques à Rome, à Pompéi, en Grèce, j’ai acquis un savoir-faire en matière de pilotage et de coordination d’équipes, d’organisation, de gestion de budget, de projets, c’est très formateur et très enrichissant comme expériences professionnelles.

 

Quand avez-vous ressenti un besoin de changement professionnel ?

 

Je n’ai jamais ressenti de routine quand j’étais prof car mes activités ont largement débordé le cadre de la classe. Dès mon arrivée au lycée Corneille, j’ai initié de nombreux clubs d’activité, 15 en tout, en y entraînant 15 de mes collègues : théâtre, cinéma, club Unesco, etc. J’étais animateur, et il y avait un coordinateur avec un secrétariat.

 

J’ai créé un atelier cinéma d’abord au lycée, puis dans l’agglomération de Rouen, puis à Jeunesse et Sports, tout est allé très vite.

 

En 1978 j’ai créé l’Institut Régional d’Image et du Son (IRIS), qui a compté jusqu’à 15 salariés, association dont j’étais le directeur, et qui a contribué à mettre en place l’enseignement du cinéma ici et là.

 

En 2000, la région Haute-Normandie a voulu mettre la main sur l’IRIS en le fusionnant avec une association de photo pour donner le Pôle Image. J’ai quitté en 2001 tout cela, je l’ai mal vécu, la tournure que cela a pris avec les enjeux de pouvoir et les conflits d’influence ne m’ont pas plu.

 

Durant ma carrière, j’ai créé 12 associations, car j’étais très créatif, avec cette profonde envie de transmettre, d’agir pour les autres. Cela fait déjà 50 ans que je m’investis dans des activités associatives.

 

Par la suite, nous avons réalisé des Rencontres Cinéma, avec 800 jeunes venus de toute la France, en montant des pétitions, des listes, des appels au ministre. Nous avons été entendus, puisqu’en 1978-79, une classe de cinéma expérimentale a été créée au Lycée Corneille, intégrée dans le programme des élèves. J’ai rédigé de nombreux rapports, et quelques années après, quand il était Ministre de la Culture, Jack LANG les a lus.

 

C’est grâce à lui que tout a pu commencer à grande échelle, avec la proposition de créer un enseignement nouveau, et le Conseil National des Programmes a créé un Bac Cinéma à ma grande satisfaction. A partir de 1982, j’ai pu travailler à mi-temps grâce à des heures de décharge concédées par le Rectorat de Rouen. J’ai conservé mon enseignement en Français et Latin dans un premier temps, puis en Latin seulement, car le Ministre Jack LANG m’a alors nommé chargé de mission pour l’enseignement du cinéma. J’étais chargé de mettre en place 4 lycées cinéma qui furent ceux de Dieppe, de Montivilliers, d’Evreux et de Rouen. L’IGEN a même indiqué un jour que le Lycée Corneille était le meilleur lycée de France dans le domaine de l’enseignement du cinéma. Par la suite, selon les besoins, j’ai eu à réaliser des déplacements à Paris et dans toute la France pour créer d’autres sections cinéma dans toutes les académies. J’ai pu décider seul, j’étais tellement investi dans cette dynamique.

 

Aviez-vous eu peur de ce changement et avez-vous eu besoin d’entreprendre une formation en cinéma ?

 

Pas du tout, au contraire, j’étais très content. J’ai eu très tôt une vocation d’éducateur, pour aider les jeunes à s’épanouir. Mon énergie a intéressé ma hiérarchie qui m’a alors proposé de devenir chef d’établissement, ou inspecteur, mais j’ai refusé, car je voulais rester au contact des élèves, sur le terrain.

 

Je me suis formé sur le tas sur le cinéma et ses techniques, tellement cela me motivait et me passionne toujours. J’avais déjà réalisé des films et constitué mon réseau avec des professionnels et été sur des tournages. Je n’ai jamais compté mon temps, même si cela a été parfois difficile. Tous les soirs après 17h je recevais les élèves pour les former dans le domaine des techniques du cinéma. Durant mes congés, j’effectuais des voyages à l’étranger, souvent en lien avec ma passion.

 

Comment se sont déroulés vos relations avec vos collègues, votre hiérarchie ?

 

Très bien, ils n’ont pas opposé de résistance à ma passion dévorante, ils ont suivi le mouvement. J’ai eu par contre des proviseurs de qualité très inégale, certains avaient fait ce métier uniquement pour fuir les élèves, mais ils me laissaient mener les choses comme je voulais.

 

Comment vos élèves vous percevaient-ils ?

 

Pour eux, je menais une double vie, ça leur plaisait que le prof ne soit pas « que prof ».

 

Votre départ en retraite a-t-il interrompu votre investissement pour le cinéma ?

 

Pas du tout, bien au contraire, tout mon temps y est consacré, et c’est un vrai bonheur, car j’y retrouve d’anciens élèves, qui réalisent de brillantes carrières dans le cinéma !

 

Depuis ma retraite, j’ai poursuivi mon activité de pilotage au sein d’Archimède-Films dont nous avons fêté les 50 ans l’an dernier. Depuis 2001, Archimède-Films a pris de la vigueur pour faire ce que le Pôle Image ne pouvait pas faire. J’ai créé les Ateliers d’Archimède, une structure de production de type professionnel.

 

Quelles ont été vos productions cinématographiques ?

 

Je suis très fier de ce petit chef d’œuvre, « Moi, Pierre C. », tourné en 35 mm avec 400 figurants, et qui marche très bien, sur la vie de Pierre Corneille, quand il avait 13 ans. J’ai participé à beaucoup de films dans la mouvance de 1968 comme « l’Ecole et la vie » d’une durée de 52 mn en 16 mm.

 

Avec les Ateliers d’Archimède, nous réalisons chaque année beaucoup de films de prévention avec la Gendarmerie Nationale, dix au total à ce jour. Il y a eu par exemple en film sur « les dangers de l’Internet » pour les enfants de 10 à 12 ans, mais aussi sur la sécurité routière, les pompiers aussi.

 

Que conseilleriez-vous à un enseignant qui souhaite faire du cinéma ?

 

De partager sa passion, de savoir motiver ses élèves, de faire preuve de créativité, de tisser des liens de confiance avec ses élèves, et surtout, de leur montrer qu’il se sent bien dans son métier, qu’il est heureux d’être prof.

 

Ensuite, il y a différents métiers dans le cinéma. Il faut débuter par l’écriture de scénarii tout en restant prof, considérer le cinéma comme un loisir, car il est très difficile de s’y faire une place professionnellement et d’en vivre. Quitter le métier de prof pour faire du cinéma, ce n’est plus du cinéma…la réalité va dépendre des contrats que l’on décroche, la loi du marché est implacable, il n’y a plus de protection, il faut vraiment en vouloir, c’est comme partir au combat…

 

Devenir comédien, c’est pire, on n’est jamais sûr de rien, des contrats que l’on décrochera, cette vie professionnelle est l’acceptation d’une instabilité permanente, où il ne faut compter que sur soi, et sur l’image que l’on sait diffuser autour de soi, à travers le réseau relationnel et professionnel que l’on tisse.

 

Que conseilleriez-vous à des étudiants qui souhaitent devenir enseignants ?

 

Je leur conseille de bien réfléchir et de le devenir que si cela les attire vraiment, pour la variété des contacts humains que cela procure. Il ne faut pas choisir ce métier pour la sécurité de l’emploi qu’il procure, il faut vraiment avoir envie de transmettre un savoir, une passion.

 

Etre enseignant, c’est être vivant, rayonnant, motivé au jour le jour, passionné et donc passionnant. Il faut aimer ce que l’on fait, avoir le désir de créer des liens avec les jeunes, avoir l’envie de s’impliquer, sans prendre le risque de s’enfermer dans ce métier faire autre chose que d’enseigner. Il est important en effet pour l’enseignant de sortir de sa classe, d’ouvrir ses élèves à la vie, à l’extérieur.

 

Toutes les activités associatives que j’ai entreprises ont intéressé des générations d’élèves, c’était très important pour moi. C’est aussi très important de faire comprendre cela aux futurs profs : il est important qu’ils aient le souci d’avoir une vie riche et intéressante.

 

Pour en savoir plus, un ouvrage très intéressant écrit par Jean-Claude Guézennec : « Archimede Films, 50 ans au service du cinéma et de l'éducation à l'image »

 

L'association Archimède-Films lui a rendu hommage par une séance au cinéma où nous fûmes nombreux, c'était très émouvant d'y croiser tous ceux qu'ils avaient formés, certains restés amateurs, d'autres devenus comédiens, artisans du spectacle, techniciens, réalisateurs.

 

France 3 lui a consacré un très bel article

 

L'association Passion-Foot aussi où il initiait les jeunes à la réalisation de journaux télévisés, à tenir une caméra, un micro.

 

Le site Mémoire Normande lui consacre aussi une belle page.

 

Archimède-Films, l'association qu'il a créée, le met à l'honneur, lui qui a brillé par son humilité durant toute sa vie pour donner du temps aux autres, leur transmettre sa passion, aux élèves, aux adultes.

 


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