Bruno André BUREL (54 ans à la date de l'interview, il a donc 68 ans en 2025), un parcours de carrière guidé par la curiosité de la découverte d’autres milieux professionnels
Interview de Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°122 d’avril 2011 sur le Café Pédagogique.
Quelles ont été les étapes de votre parcours de carrière ?
« Je quitte l’enseignement général en 1re en 1974 pour m’engager dans une formation de machiniste agricole. Issu du milieu agricole, je m’expatrie pendant 4 ans pour travailler dans des fermes, via un programme européen organisé par Inter-échanges de Léo Lagrange et la Chambre d’Agriculture de Loire-Atlantique. J’ai ainsi pu travailler en Italie, Allemagne, Irlande, Hollande, Grèce, Maroc, ai fait beaucoup de rencontres entre jeunes et multi-langues.
En 1978 je reviens en France pour vivre avec ma compagne que j’avais rencontrée à Berlin. Je dois préciser que mon départ à l’étranger était aussi lié à ma position d’insoumis et d’objecteur de conscience, cause pour laquelle j’ai milité. Je me pose alors la question d’une réorientation professionnelle.
Je prépare et décroche le concours d’infirmier de secteur psychiatrique, dont l’avantage est que les études sont payées, et je poursuis trois ans de formation, avant de réaliser une carrière de neuf ans, de 1979 à 1988. 1988.
C’est l’année où je décide de devenir instituteur, car mon diplôme d’infirmier psychiatrique me donne l’équivalent d’un Bac+2, le niveau alors requis pour me présenter au concours, que j’obtiens. La formation était alors rémunérée. Je pensais à ce métier depuis mon adolescence. Je regardais de temps en temps les passerelles qui pouvaient m’y conduire. J’avais aussi pensé à tenter l’Ecole des Cadres de santé. Même si le milieu scolaire ne m’a jamais plu quand j’étais élève, car je trouvais la pédagogie nulle car principalement fondée sur la connaissance scolaire stricte et l’autorité du maître. J’ai toujours apprécié l’Ecole comme lieu d’acquisition de connaissances ouvertes, cela a toujours été mon moteur.
Quand je suis devenu instituteur, je me suis investi dans des stages de pédagogie Freinet. Mon premier poste s’est déroulé en deux décharges de direction et avec une décharge d’enseignant IMF durant mon année de stage en 1991. Ensuite, de 1992 à 1996 je suis devenu titulaire dans une école primaire de Grand Quevilly (76), et je me suis beaucoup investi dans la pédagogie Freinet, et j’ai par ailleurs continué mon engagement au Mouvement pour une alternative non violente (MAN).
J’ai aussi participé à la conception d’un Institut de Formation sur la résolution non violente des conflits, situé à Val-de-Reuil (27).
En 1995, je réussi le concours interne de Professeurs des écoles. Entre 1996 et 1998 je migre vers une autre école à Petit Quevilly (76) mais comme je dénonce des pratiques incorrectes et fautives du directeur, l’IA me demande de partir pour que l’école retrouve son calme.
L’institution scolaire n’a pas l’habitude de désavouer sa propre hiérarchie mais une année plus tard j’ai su que ce directeur a été promptement remercié pour la qualité de ses services. En parallèle, j’ai été très investi au niveau associatif, comme président d’une association de parents d’une Ecole de Musique, et responsable de groupe des Eclaireurs et Eclaireuses De France (EEDF).
En octobre 1999, alors en poste sur la commune de Sotteville les Rouen (76), je décide de devenir maître formateur mais cela reste en projet car un mois après, l’IA Adjoint m’appelle et me demande de créer et de coordonner une classe relais sur l’agglomération d’Elbeuf (76). Un challenge intéressant qui me motive. Il fallait être convaincant pour implanter ce projet attendu mais reçu aussi comme « une patate chaude » dans les mains des principaux de collèges ou de celles des maires.
J’ai alors pu quitter ma classe en cours d’année, en janvier 2000. Dans le cadre d’ateliers pratiqués sur l’ensemble du collège, j’ai animé un atelier de fusées à eau mais en mars 2002, lors d’une séance d’essai, une des fusées m’a percuté gravement un œil. Cet accident du travail me place deux ans en congé de longue maladie, et en 2003-2004, prêt pour un projet de reconversion professionnelle, je prépare un Master de Droit et Politiques Sociales.
Je passe le concours d’entrée l’Ecole nationale de la santé publique de Rennes pour lequel je suis seulement admissible. Je me rapproche alors de l’OCCE, de la Ligue de l’Enseignement puis de la Jeunesse au Plein Air (La JPA) pour qui aujourd’hui j’occupe un poste de délégué national au service juridique. Je me suis particulièrement spécialisé sur la réglementation des accueils collectifs des mineurs dans les centres de loisirs et de vacances. J’occupe cet emploi depuis la rentrée 2004, d’abord en situation de « mise à disposition » puis en détachement depuis 2006. »
Quelles compétences pensez-vous avoir acquis quand vous étiez enseignant ?
« Celles du champ pédagogique. L’enseignant est acteur de la vie, ma devise est « on n’est pas là pour faire chier les gamins, l’école doit être un bon souvenir d’enfance ». J’ai toujours eu la volonté d’intéresser les enfants, cela a été mon fil de conduite. Je me suis aussi fait beaucoup plaisir. C’est un choix pédagogique insuffisant mais motivant qui doit être compléter par des références, des modèles de courants pédagogiques qui ont l’intérêt de mettre l’enfant acteurs de ses apprentissages. J’ajoute aussi la compétence sociale. Etre en lien avec les familles, les associations du quartier, les services municipaux, les services sociaux… »
Que pensez-vous de la réaction de l’Education nationale par rapport aux « désobéisseurs » (cf Alain REFALO) ?
« Je respecte là une démarche salutaire pour l’avenir de l’école. L’enseignant n’est pas qu’un simple agent exécutant, il a face à lui des publics variés, et il a besoin de réfléchir à sa pratique, et de se remettre régulièrement en question. Il interroge le présent et l’avenir que l’école prépare à nos enfants.
A l’opposé, l’Education nationale est complètement à côté de la plaque, elle arbore une attitude autoritaire en qualifiant ces enseignants investis dans leur pédagogie, différente, de « désobéisseurs » au sens premier du terme. L’Education nationale a là l’occasion de réfléchir au sens de l’engagement moral et politique des enseignants, c’est là tout l’enjeu de l’action d’Alain REFALO. La désobéissance civile est un acte moral et non violent. »
Quelles compétences vous semblent les plus utiles pour s’adapter ailleurs ?
« Parallèlement à mon activité professionnelle, j’ai toujours eu des engagements ailleurs, cela a été des échanges dans les deux sens, car j’étais prof et administrateur d’une association de prévention spécialisée. Donc j’ai acquis des connaissances et des expériences utiles que j’ai pu réinvestir en classe dans ma pédagogie et mon ouverture aux parents.
Je pouvais être ainsi dans l’Ecole, et en dehors de l’Ecole. Quand on débute par une formation d’agriculteur « à pied d’œuvre», on apprend à tout faire, que ce soit la technique, la conduite d’engin, le commercial, le relationnel, la gestion, la comptabilité, j’ai bénéficié dès le départ d’une formation « informelle » généraliste qui m’a rendu adaptable ailleurs, ce fut une très bonne école. Organiser des camps d’été pour des jeunes ou partir régulièrement en classes de découvertes sont des occasions en or pour maîtriser la conduite d’un projet. Ce sont de fortes expériences de prise de responsabilité et d’analyse de risques utiles dans beaucoup de situations. Toute ma vie j’ai développé une curiosité pour apprendre, en me disant « rien en soi n’est inatteignable ». Je n’ai jamais ressenti de rejet en allant voir ailleurs.
A La Jeunesse au Plein Air, je me suis adapté à des situations nouvelles comme me confronter à des connaissances juridiques spécifiques, la coordination entre plusieurs associations et au travail de « brainstorming » d’un comité de rédaction. J’ai apprécié de me former à l’écriture d’articles journalistiques et spécialisés. J’y ai construis également de bonnes relations professionnelles. Il est bénéfique d’aider les enseignants à prendre conscience des compétences développées dans son métier. Par exemple, l’enseignant est en capacité de parler en public, avec un niveau de langage qu’il sait adapter. Il a des capacités à anticiper, à préparer, il y a peu de métiers où l’on exige autant de préparation. Chaque prof doit anticiper, sinon il lui est difficile de travailler correctement. »
Comment l’Education nationale pourrait-elle valoriser, selon vous, les compétences développées par un enseignant en détachement ?
« Généralement, les institutions ne valorisent pas les personnes ni les parcours. Quand l’institution est intéressée, parfois ça marche, mais actuellement il y a un contexte qui conduit à considérer que la place des profs est uniquement face aux élèves, et que le reste passe bien après. Je suis très déçu à ce niveau.
L’institution se fiche de mes compétences pour former des enseignants par exemple, alors que je m’en sens capable. L’Education nationale est administrativement incapable de reconnaître que j’ai une expérience de neuf ans en secteur psychiatrique par exemple, car si je veux travailler dans l’Education nationale dans ce domaine, mon expérience ne compte pas, il est obligé que je repasse un concours. Et si je vais vers le secteur public, je ne suis pas reconnu, même avec un Master.
Si je voulais devenir directeur d’une structure spécialisée de l’Education nationale, il faudrait que je repasse les bons diplômes, c’est figé, il n’y a aucune passerelle…alors que dans le secteur associatif, c’est encore possible.
En France, nous vivons dans un centralisme conservateur, et nous avons beaucoup de mal à évoluer sur ce plan. Dans d’autres pays d’Europe, c’est la motivation et le parcours professionnel qui prime, et la formation vient ensuite. En France, c’est plutôt l’inverse… Actuellement, il est possible de devenir proviseur ou principal par la voie du détachement quand on vient d’une autre administration ou d’une entreprise publique : il suffit d’avoir été chef de service à France Télécom ou ailleurs. Cela prouve bien que l’Education nationale le fait par nécessité car d’une part les besoins sont importants et d’autre part il faut répondre à la reconversion des cadres des entreprises privatisées. Donc là a priori, la passerelle fonctionne mais il faut se poser cette question : que cherche-t-on à produire ? »
Que pensez-vous des possibilités d’évolution professionnelles proposées par l’Education nationale ?
« Luc CHATEL se vante de relancer les Ressources Humaines à l’Education nationale, c’est noble mais c’est un professionnel de l’effet d’annonce.
Quand un enseignant se pose la question : « est-ce que je peux faire autre chose dans l’Education nationale ou en dehors ? », il faut qu’il se débrouille tout seul le plus souvent, puisque la formation professionnelle interne est centrée sur le métier, ce qui ne permet pas à un prof de se reconvertir ailleurs.
Actuellement, il y a une vraie volonté de l’Education nationale d’organiser le tassement des carrières en freinant les notes pédagogiques et l’accès à la hors classe de son corps. C’est démotivant. »
Quels sont selon vous les facteurs de réussite d’un projet de mobilité ?
« D’abord, une mise en confiance de soi. Les enseignants qui exercent leur métier perdent leur confiance en eux progressivement, car leur hiérarchie est omniprésente et souvent zélée. Ils sont de simples exécutants, peu valorisés dans leurs compétences. C’est dur de résister à cela.
Il faut prendre de la distance par rapport à ce que l’on fait en se disant que ce que je sais faire, je peux aussi aller le faire ailleurs : il faut se projeter mentalement vers autre chose. J’ajouterai, comme dans tout parcours il faut avoir les yeux ailleurs en s’investissant dans d’autres activités en lien ou pas avec son métier. Car c’est aussi ce parcours différent qui pourra être valorisé.
En cela, réaliser un Bilan de Compétences est une bonne idée, un outil de travail, comme un audit personnel. Il permet de connaître ce dont on serait capable de faire, de connaître de multiples passerelles existantes que ne connaissent pas les enseignants et ce dont ils ne sont pas tenus informés par leur administration, notamment l'évolution possible vers les collectivités territoriales ou les associations. On m’a souvent dit que mon parcours professionnel était le signe d’une instabilité ! On me posait la question « pourquoi voulez-vous changer d’activité ? Vous n’étiez pas bien ? »
Effectivement, c’est déjà arrivé que je ne m’y sente plus bien mais l’envie de changer était aussi très forte. Cependant, à une époque où l’on dit aux gens de bouger, c’est paradoxal. Personnellement, je suis curieux de tout, je n’ai jamais voulu faire des études longues mais au bout du compte j’y ai passé beaucoup de temps à me former, et j’ai eu envie de changer, d’avoir plusieurs vies professionnelles. Plusieurs voies sont possibles, la vie est trop courte pour ne pas en essayer plusieurs. Je me fixe toujours des défis à réaliser, à titre personnel, c’est aussi comme cela qu’on entretient sa motivation. »
Que pensez-vous d’une association qui accompagne les enseignants dans leurs changements de carrière ?
« Réaliser un parcours de carrière est légitime, c’est à la société civile d’organiser cette possibilité de faire autre chose et cela tout au long de la vie. Croire que l’institution peut le faire, c’est possible mais croire qu’elle peut tout faire, ce n’est pas souhaitable. Tous les changements institutionnels sont nés de la société civile. La voie associative est la plus adaptée pour mettre efficacement en oeuvre son projet.
NDLR: La suite du parcours de Bruno André BUREL est sur son profil Linkedin.
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