
Jean-Claude ROUANET : de l’enseignement des Lettres aux missions et responsabilités captivantes d’Inspecteur d’Académie
Interview de Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°112 d’avril 2010 sur le Café Pédagogique.
AIDE AUX PROFS a rencontré Jean-Claude Rouanet aux Colloques de l’Association Française des Administrateurs de l’Education (AFAE : www.afae.fr ) auxquels nous participons depuis 2 ans (en 2010). Cette année, il animait l’un des ateliers de réflexion auxquels nous avons pu contribuer sur le thème général du colloque « équipe de direction, équipe enseignante ». Rapidement, un courant de sympathie s’est établi et Jean-Claude ROUANET a accepté de témoigner de son parcours, et de rejoindre le réseau de personnes ressources que nous constituons au sein de la sphère éducative pour épauler les projets de mobilité des adhérents de l’association.
Le parcours de Jean-Claude ROUANET a été d’une grande diversité, toujours dans un esprit de Service Public :
« Professeur certifié de Lettres Classiques au lycée André Maurois de Limoges en 1969-70, je pars en coopération pour mon service militaire en 1970-72 en Algérie au lycée d’EL Asnam, au titre de la coopération culturelle. De retour dans ma région natale, Midi-Pyrénées, je suis nommé au lycée Edmond Rostand de Bagnères-le-Luchon où j’enseigne le Français, le Latin et le Grec de 1972 à 1976 tout en animant un club théâtre et un club de foot.
J’obtiens l’agrégation de Lettres Classiques. En 1976, je décide d’orienter ma carrière vers des fonctions plus diversifiées, au carrefour de la pédagogie, en devenant Censeur au lycée technique d’Auch, spécialisé dans l’industrie et le bâtiment, jusqu’en 1980.
De 1980 à 1982, le lycée Edouard Vaillant de Vierzon m’accueille comme Proviseur, puis de 1982 à 1984 je suis appelé à exercer les fonctions d’Inspecteur d’Académie Adjoint au Rectorat de Nancy-Metz : en 1982, on a détecté mon potentiel et ces fonctions m’ont été proposées.
En 1984, en pleines Lois de Décentralisation, le Conseil Régional de Lorraine m’accueille en détachement comme Directeur de l’Education. J’y reste 2 ans, en créant alors le 1er Schéma Prévisionnel de Formation (« quel projet éducatif pour la Lorraine ? ») et le Service Educatif.
En 1986, je deviens Inspecteur d’Académie, Directeur des Services Départementaux de l’Education Nationale (IA-DSDEN) en Ardèche, jusqu’en 1990, à Privat. Par la suite, en 1990-91, j’effectue une escale à Bourges comme Inspecteur d’Académie puis je réalise de nouveau un détachement de 4 ans dans un Conseil régional, cette fois dans la région d’origine, à Toulouse, de 1991 à 1994.
De 1994 à 2002, j’ai la chance de pouvoir demeurer plus longtemps dans cette belle région où j’ai alors commencé à cultiver quelques lopins de vigne, une autre de mes passions. J’occupe pendant 8 ans les fonctions de Chef du Service académique d’Information et d’Orientation (CSAIO) de Toulouse.
De 2002 à 2009, une dernière migration m’attire dans la Sarthe comme IA-DSDEN au Mans, et depuis le 1er octobre 2009 mon activité ne s’est pas ralentie avec la retraite, puisque je suis l’un des membres actifs de l’AFAE, du Bureau des Inspecteurs d’Académie, tout en publiant de temps en temps des articles pour l’Université du Mirail à Toulouse (j’avais réalisé ma thèse de Lettres sur Julien GRACQ, encore l’une de mes passions !) tout en produisant quelques bouteilles de vin de mon hectare de vignes. »
Comment avez-vous réussi à concilier, durant cette itinérance, vos vies professionnelle et familiale ?
« Je suis marié depuis 40 ans, et nous avons élevé deux filles. Ce fut parfois difficile lors de leur adolescence, de ne jamais pouvoir se fixer très longtemps au même endroit, mais au final cette mobilité géographique a été un atout précieux, leur développant une grande capacité d’adaptation, grâce à la vision de contextes différents. Pour ma part, cette mobilité, je la vivais déjà dans ma tête, j’avais envie de parcourir les différentes étapes de ma carrière de cette manière jusqu’aux fonctions d’Inspecteur d’Académie. »
Pourquoi avoir décidé un jour de « quitter les élèves » ?
« Pour les retrouver autrement, en fait : je ne les ai jamais quittés vraiment. J’ai continué d’animer des clubs, et même si j’ai quitté ma discipline d’enseignement, j’ai conservé un contact avec les élèves, pour leur apporter beaucoup plus sur le plan éducatif que didactique. Au-delà des cours, les élèves ont besoin d’autres réponses, et quand j’étais Censeur au lycée d’Auch par exemple, je m’occupais d’un internat de 450 élèves avec 4 Conseillers Principaux d’Education (CPE), ce qui a exigé une capacité d’écoute, de dialogue, d’accompagnement au quotidien. »
Quelle fonction avez-vous préférée ?
« IA-ISDEN car c’est la fonction la plus polyvalente, qui nécessite une régulation de la Maternelle jusqu’au bac, avec un investissement local, auprès de tous les ministères. Je me suis occupé de la prévention de l’absentéisme, des relations avec le Préfet, de l’Interministérialité, de la Revue Administration (de 2003 à 2008). J’ai eu à travailler sur les problématiques : « la sécurité et l’hygiène » et « l’action éducatrice » de manière active et volontariste. »
Quelles sont les missions et responsabilités d’un IA-DSDEN ?
« L’IA-DSDEN représente le Recteur dans son département. Ses missions et responsabilités sont très variées :
- conduite de l’action de l’Education sur le territoire de son département,
- gestion du 1er degré, des personnels, des moyens (ouverture et fermeture de postes, de classes quand c’est nécessaire, des décisions souvent difficiles à prendre), et des collèges, parfois des lycées, comme par exemple lorsque j’étais à Toulouse,
- veiller au respect de l’obligation scolaire (de 6 à 16 ans),
- s’assurer de la qualité de l’action éducative et pédagogique dans les établissements du département, en réalisant des visites pluri-hebdomadaires,
- organiser son « collège » d’Inspecteurs de l’Education Nationale (IEN). Chacun a en charge une circonscription. Tous les mois l’Inspecteur d’Académie les réunit (dans le 2nd degré, les chefs d’EPLE sont les relais responsables et font appliquer les consignes ministérielles, académiques et départementales),
- contribuer au « collège » des IA-IPR, un lieu pour réaliser différentes analyses, via des rapports de terrain,
- participer à la conception des aspects des projets d’établissements portant sur les aspects disciplinaires par exemple,
- travailler sur les contrats d’objectifs. La charge de l’IA-DSDEN est assez complète, et on y réussit grâce à un réseau de relais fiables, une bonne organisation. »
Pouvez-vous nous décrire ce qu’était l’une de vos « journées-type » ?
« Je travaillais en général de 7h-7h30 le matin jusqu’à 20h30-21h le soir, avec un emploi du temps d’une grande variété :
Le matin :
- débriefing avec l’équipe rapprochée sur ce qu’il s’est passé la veille dans l’Académie. Evocation de l’actualité brûlante avec les chefs de service,
- découverte du courrier,
- réunion à 9h-9h30 des commissions paritaires ou préparatoires à la prise de décisions ou à l’extérieur (par exemple avec le Préfet du Département ou de la Région)
L’après-midi :
- visite d’une école, d’un collège ou d’un lycée de l’académie si cela n’avait pas été prévu le matin,
- vers 17h, étude des questions résiduelles, et entretiens, audiences avec des personnels du 2nd degré,
- réponses aux courriers, signatures,
- concertation avec l’assistante de direction,
- lecture des circulaires ministérielles, conception des circulaires académiques,
- courriers à destination des élus locaux, car la qualité de l’Ecole en dépend. Le travail d’un IA-DSDEN comporte un volet important de communication, c’est un travail immense, qui exige un réseau fiable de relais.
Le soir :
- de 18h à 21h, car la journée n’est pas terminée, il faut être disponible pour les représentants de parents d’élèves, pour les maires, pour définir aussi les tâches du lendemain, programmer celles des autres jours, en fonction des priorités et des imprévus quotidiens,
- mise en ordre des dossiers personnels des personnels de Direction : il faut lire les rapports d’inspection de ceux du 1er degré. L’IA-DSDEN vise et arrête la note proposée par l’IEN. L’IA-DSDEN a un travail de prospective aussi à réaliser, ce qui m’a permis pour ma part d’ouvrir des Unités Pédagogiques d’Intégration (UPI).
L’emploi du temps d’un IA-DSDEN ne s’arrête pas le vendredi soir, loin s’en faut :
- le week-end, presque les deux-tiers de l’année (20 sur 36 en moyenne), nous réalisons des visites, pour des « opérations portes ouvertes », des inaugurations d’écoles, car l’IA-DSDEN a un rôle majeur à jouer, comme représentant délégué du Recteur, au milieu des personnes qui agissent au sein des différents maillons de l’Ecole dans le département.
- Plusieurs fois par semaine, il faut se rendre du chef-lieu de département au siège de l’académie. Par exemple, lors de mon dernier poste, je réalisais la distance Le Mans-Nantes pour des commissions, avec à chaque fois 4 heures de trajet aller-retour, et des journées de travail souvent intensives (11h à 13h).
Globalement, être IA-DSDEN n’est pas un « travail administratif », cette fonction exige une très forte implication personnelle. On y est entouré d’experts au quotidien : chefs de service, secrétaire général, etc. »
Considérez-vous qu’il existe un fossé entre les fonctions d’enseignant et celles exercées au sein de l’administration ?
« C’est un vrai saut. La gestion de l’emploi du temps requière une grande rigueur. En tant qu’enseignant, on ignore bon nombre de procédures de fonctionnement de l’univers administratif, comme être ordonnateur, responsable des dépenses, même si dans la cadre de la direction d’un EPLE un intendant est là pour vous guider, vous épauler. Il faut se familiariser avec la méthodologie de la conception d’un budget, d’un compte financier, donc apprendre les principes de la LOLF et de ses Branches Opérationnelles de Programmes (BOP). Le cœur, avant tout, c’est l’enseignement, qui a un impact important dans les tâches de communication. »
Quelles sont les qualités indispensables pour réussir sur les différentes fonctions que vous avez occupées ?
« - D’abord, une grande ouverture d’esprit, un intérêt pour la chose éducative et d’autres choses,
- Ensuite, une grande capacité d’ouverture aux autres.
- En matière de communication, il faut être capable d’entendre et de restituer de manière fidèle, de s’informer, de trier l’information, ce qui mérite d’être répertorié.
- Posséder une bonne santé, morale et physique, intellectuelle.
- Faire preuve de déontologie par rapport aux valeurs que véhicule l’Ecole, avec l’égalité des chances, pour que le système éducatif puisse répondre autant que faire se peut à toutes les attentes et les besoins.
- la créativité est l’un des aspects importants de ces fonctions : lancer des expérimentations, des réponses adaptées, prendre en compte la nécessité de donner des réponses diversifiées, de moderniser
- être présent auprès des autres, être force d’encouragement pour les chefs d’établissement, car « lIA-DSDEN n’est pas que pour couper tout ce qui dépasse » (rires).
- on prolonge aussi la formation initiale des chefs d’établissement sur le terrain, ce qui nécessite un regard empathique, une volonté de les aider à faire face, à agir au quotidien. C’est un travail d’accompagnement, de management d’équipes. »
Quelles étaient vos missions et responsabilités quand vous étiez CSAIO ?
« D’abord, en arrivant sur cet emploi, je n’avais pas d’expérience comme conseiller d’orientation ni comme IEN en Information et Orientation, mais j’avais été deux fois Inspecteur d’Académie et professeur délégué à l’information et l’orientation quand j’enseignais. Quand j’étais professeur à Bagnères-de-Luchon, l’ONISEP venait de naître. Le parcours de carrière naturel dans le domaine de l’orientation était alors d’être d’abord CIO, puis IEN puis CSAIO. Les responsabilités sont là aussi immenses dans ce type de fonctions. Il faut coordonner dans chaque département (huit en Midi-Pyrénées !) l’action des IEN chargés de l’orientation auprès des élèves ayant besoin d’information pour des choix d’orientation. Le système éducatif français permet ce pilotage, car il est d’une arborescence rare.
La fonction de CSAIO suppose aussi de savoir dialoguer avec les différentes branches professionnelles pour élaborer des contrats d’études professionnelles (dans la bâtiment, l’industrie mécanique, etc.), de connaître les besoins en qualifications, de réaliser de la prévision, de la prospective. J’ai signé pour ma part plus de 20 contrats d’objectifs. Il faut aussi diffuser de la documentation aux familles (brochures ONISEP par exemple), et à ce titre le CSAIO remplit aussi les fonctions de Délégué Régional à l’ONISEP en étant l’un des adjoints de l’IGEN délégué à l’ONISEP, en étant directeur éditorial, dans son académie, des publications à réaliser.
Enfin, le CSAIO est aussi l’un des conseillers du Recteur de l’Académie. J’avais à ce titre lorsque j’étais en poste à Toulouse élaboré une charte de l’information et de l’orientation pour donner aux EPLE la marche à suivre pour travailler en concertation. »
Qu’avez-vous retenu de la fonction de chef d’établissement en collège ou en lycée ?
« Evoluer des fonctions d’enseignant vers chef d’établissement est un bon choix de carrière, car l’établissement est un lieu d’action où se joue la réussite de tous les élèves, où il faut être inventif, créatif, réactif au quotidien, c’est une vie professionnelle pleine d’imprévus. C’est le métier le plus gratifiant sous cet angle là, et qui exige un fort investissement personnel, avec une équipe d’enseignants au même diapason pour accompagner la réussite des élèves. Le rôle du chef d’EPLE est de savoir mobiliser les enseignants justement, d’être un bon manager, de savoir motiver, valoriser les compétences multiples et complémentaires qui peuvent interagir au sein d’un collège ou d’un lycée. »
Quelles étaient vos responsabilités lorsque vous étiez « Directeur de l’Education » au Conseil Régional ?
« J’étais alors « Monsieur Education ». J’étais chargé de d’apporter des avis, des conseils, d’assurer les fonctions de délégation du Président et du vice-président, de négocier des contrats, des devis, des marchés… Je devais pourvoir à l’équipement des établissements, pour assurer leur rénovation en temps utile, leur restructuration quand c’était nécessaire, et pour programmer les constructions nouvelles. Dans cet emploi, il est aussi question de pédagogie, car lors du dialogue avec les architectes, on met en œuvre son expérience d’enseignant, en concevant sur le papier le nombre de salles nécessaires au bon travail des professeurs sur le terrain, ou pour déterminer quel doit être le bon emplacement du Centre de Documentation et d’Information (CDI) dans l’établissement scolaire. On est amené à définir le nombre de salles que doit contenir l’établissement, les activités qui y seront pratiquées, en concertation avec les ingénieurs du bâtiment. »
Quel regard portez-vous sur AIDE AUX PROFS, que vous connaissez depuis deux ans au travers de nos deux rencontres aux colloques de l’AFAE ?
« Du bien. Il faut quelque chose qui réponde aux questions des professeurs qui croient qu’ils sont sur les mêmes rails à vie. Ils ont besoin eux aussi de perspectives, et votre association doit être pluraliste dans ce domaine.
Cette question des parcours de carrière préoccupe aussi le Ministère de l’Education Nationale, et un rapprochement me semble souhaitable afin d’apporter des solutions. Votre dispositif associatif permet de remotiver les gens, de faciliter la réflexivité, les retours en arrière sur soi, sur son parcours de carrière. »
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