
Gwenn, de l’agrégation de géographie à la création d’une entreprise de couture
Interview de Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°117 de novembre 2010 sur le Café Pédagogique.
Pouvez-vous nous retracer votre parcours de carrière ?
« Après une maîtrise de géographie en 1995 (à Brest), j’ai obtenu l’agrégation de géographie et le Capes d’histoire-géographie en 1997 à l’université de Nantes. A la rentrée suivante, j’ai obtenu un poste de PRAG (professeur agrégé) à l’université de Bretagne occidentale. Je pensais poursuivre par une thèse, mais j’ai préféré élever mes enfants.
De plus, les relations humaines à l’université ne sont pas simples, et les cours dans des amphis de 250 étudiants pas toujours intéressés, quand la géographie ne correspond qu’à une option de leur cursus (en psychologie, Staps, etc) m’ont lassée. Enfin, un PRAG enseigne 15h par semaine, autant qu’en collège ou en lycée, alors que le travail de préparation des cours est nettement plus important, c’est un travail très prenant : je dépassais allégrement les 50h par semaine. En 2002, je vais voir le doyen de l’université pour lui annoncer ma réintégration dans le 2nd degré, et j’obtiens un poste fixe en collège à Brest pendant 4 ans, dans un super collège, vraiment. En 2005, je contacte la conseillère psychologue du Rectorat de Rennes et je reçois alors un accueil très chaleureux, enthousiaste : « c’est très bien de partir… » me dit-elle alors.
Lorsque je me renseigne sur le délai d’obtention d’un congé de formation professionnelle (CFP), elle m’indique que c’est « 7 à 8 ans d’attente »… !!! (une de mes collègues a même attendu 14 ans avant d’en décrocher un…)
Mon principal de collège a tout fait pour m’empêcher de partir, alors que depuis la rentrée 2005, j’avais déjà fait la démarche, dans ma tête, de sauter le pas.
Fin janvier 2006, je demande à démissionner, mais le rectorat refuse en me proposant à la place une disponibilité, que j’accepte. J’ai alors cherché à me former dans la couture, une activité que je pratiquais depuis mon enfance. Au départ, je voulais apprendre à enseigner la couture en lycée professionnel, mais le rectorat m’a rétorqué que ce n’était pas possible, car c’est réservé aux titulaires du PLP. Avec une agrégation de géographie, on m’a fait comprendre que mes chances de devenir professeur de couture étaient nulles…je n’ai donc pas voulu prendre le risque de passer un nouveau concours, et en juin 2006 j’ai trouvé un lycée qui a accepté de m’accueillir pour faire un Bac professionnel des métiers de l’art, en formation initiale. A 32 ans, je me suis retrouvé en classe avec des 18-24 ans, et des enseignants qui vivaient plus ou moins bien d’avoir une de leurs collègues en classe.
En juin 2007 j'ai réussi le Bac Pro "Artisanat et métiers d'arts", mais en 2008 j’ai travaillé pour des associations afin de réaliser des costumes de danse, de spectacle, pour la scène nationale « Le Quartz » à Brest. Ce CDD a duré 6 mois, puis 2 mois à temps partiel. J’ai pu créer des modèles.
En Juin 2008, j’ai créé mon activité dans le cadre juridique d’une coopérative d’activités (une SCOP) qui s’appelait « Chrysalide », jusqu’en janvier 2009. J’ai alors rencontré un brodeur, et j’ai travaillé en association avec lui pour une commande d’un musée de Plougastel, une robe de mariée moderne inspirée du costume traditionnel. Forte de cette expérience collaborative, j’ai créé en février 2009 mon entreprise sous le statut d’Entreprise Individuelle (E.I). Dans ce statut, les biens personnels et professionnels se confondent, et je suis inscrite en profession libérale comme styliste et prof de couture. »
Pourquoi avoir quitté l’enseignement alors que vous aviez réussi deux concours difficiles ?
« J’avais des parents enseignants, toute ma famille dans la fonction publique : postes, douanes, impôts, armée…alors j’ai passé l’agrégation et le Capes sans me poser de questions après des études générales. J’avais déjà fait de la couture, ça me plaisait, mais je ne pensais pas en faire un métier. J’ai donc enchaîné les années sans réfléchir, en passant les concours de manière automatique…je ne savais rien faire d’autre, et ça ne m’a pas demandé d’efforts particuliers, ce n’était pas un vrai choix.
J’ai été déçue par le système éducatif, où l’on ne mesure pas souvent le résultat de son travail. Je n’ai pas eu de problèmes de discipline, mais des difficultés à me conformer au « moule ». A un moment j’en ai eu assez de m’investir sans rien obtenir en retour, aucune reconnaissance de la part de l’institution, alors j’ai décidé de partir. »
En quoi votre métier actuel vous plaît ?
« Dans l’Education nationale, je n’avais jamais de retours de satisfactions comme actuellement. Quand on enseigne, on passe entre le prof précédent et celui d’après…on ne sait jamais si ce que l’on fait est utile ou pas. Alors que les gens dont je m’occupe font des progrès en couture, et ils sont heureux que je leur transmette mon savoir-faire. Je donne 16h de cours de couture par semaine pour une cinquantaine d’élèves de tous âges, surtout des adultes. »
Quels modèles créez-vous ?
« J’ai abandonné le spectacle, trop contraignant en termes de délais de fabrication. J’ai décidé de me lancer dans la création de pièces de haut de gamme sur mesure : tailleurs, manteaux, robes de mariée…je ne m’investis pas dans des défilés de couture, je réalise seulement des pièces à la demande, des costumes d’hommes par exemple. Je travaille la soie, les lainages, le lin.
Travaillez-vous pour de grandes maisons de couture ?
« Tous leurs ateliers sont à Paris ou en Ile-de-France, ça ne m’intéresse pas. Je ne veux pas devenir une « petite main ». Je suis très heureuse en étant à la fois styliste, modéliste, couturière. Je m’occupe de mes créations du début à la fin. Je ne suis pas du tout attirée par le monde de la mode, assez superficiel. »
Administrativement, comment s’est déroulée votre reconversion ?
« Mal. A la rentrée 2007, juste après la formation de Bac Pro, j’ai eu un coup de téléphone du Rectorat qui pour l’enseignement privé sous contrat recherchait un prof remplaçant pour enseigner en BEP couture à Quimper.
Le chef d’établissement a alors accepté que je vienne, et au bout de 3 semaines, un jour, il débarque dans ma classe devant mes élèves en me demandant de sortir, en me disant que «ma situation administrative est incompatible avec mon statut ».
Ce n’était pas une question de confiance dans mes compétences, mais une simple incompatibilité administrative entre mon statut de professeure agrégée et celui de remplaçante. Je me suis battue 5 semaines en vain, puis ai décidé de demander ma démission.
Le Rectorat ne voulait pas me donner la procédure à suivre pour que j’obtienne ma démission.
J’ai même eu une véritable engueulade avec le service juridique qui ne voulait rien me dire sur l’existence du (entendre, même en leur brandissant le) décret de 1986 sur la démission. J’ai quand même fait ma lettre, restée sans réponse au bout de 4 mois, ce qui équivaut à un refus.
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AIDE AUX PROFS T'INFORME (en date de Juillet 2025) :
=> Professeur contractuel souhaitant démissionner : la procédure et les conseils du Syndicat SPELC
=> Professeur titulaire souhaitant démissionner: la procédure et les conseils de Martin VEBER.
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L’administration ne motive pas le refus.
Alors j’ai créé mon entreprise cette fois pour de vrai. Puis en 2008, j’apprends la création prochaine de l’Indemnité Volontaire de Départ. Je la demande en février 2009…et la réponse du rectorat ne m’est parvenue qu’en septembre 2009, soit 7 mois plus tard !!! On m’a alors dit que je pouvais prétendre à la somme de 15 000,00 euros. J’ai alors été convoquée pour un entretien le 23 septembre 2009.
L’entretien a été d’une grande hostilité, on m’a reproché mon « attitude individualiste », on m’a proféré des critiques personnelles, sans témoin… Je n’ai plus jamais eu affaire ensuite à la conseillère psychologue du rectorat, qui m’a complètement larguée dans mes difficultés, et je n’ai eu aucun contact avec la cellule de ressources humaines, ni même le DRH…le black-out total. Pour l’IDV, ils ont eu le culot ce jour là de me dire qu’ils « s’étaient trompés », car pour eux, je n’avais pas créé d’entreprise…et ils ont ramené la somme promise à 1500,00 euros seulement.
J’ai alors demandé pourquoi ils n’avaient pas accepté ma démission en 2007, et il m’a été répondu que « vu ma demande, j’avais été considérée en état de fragilité psychologique » !!! J’ai quitté le rectorat en pleurant, devant l’absurdité de la situation et de la mauvaise foi de mes interlocuteurs. Ils m’ont refait ensuite une proposition d’IDV à 1500,00 euros que j’ai refusé, par fierté, par dignité.
J’ai été menacée de radiation pour rupture de lien avec l’administration récemment, pour n’avoir pas fait la demande écrite de prolongation de ma disponibilité. Dans l’attente de trouver peut-être enfin une solution un peu plus digne, j’ai renouvelé ma demande au dernier moment, tout en sollicitant la médiatrice de la République sur ma situation. J’attends une réponse… Actuellement, ma nouvelle activité professionnelle fonctionne bien, même si je n’ai pas été aidée moralement, techniquement, financièrement. Cela a été le parcours du combattant, une galère, mais un immense bonheur au final. »
Que pensent vos anciens collègues de votre reconversion ?
« Certains ont trouvé ça très bien : ce sont ceux qui en général aiment leur métier. Ceux qui ont peut-être mal jugé ma reconversion étaient ceux qui auraient aimé avoir le cran d’en faire autant ! » Le nombre d’enseignants que je rencontre et qui veulent changer de métier est énorme, c’est phénoménal. J’ai une ancienne collègue d’espagnol devenue vendeuse dans un magasin de vêtements. »
Et si c’était à refaire ?
« Oui, car le métier d’enseignant ma apporté une vision positive de la vie. Grâce à ce métier, j’ai su ce que je ne voulais plus…et ce que je voulais : la liberté d’action, des responsabilités, de la reconnaissance de mes compétences.
Dans l’Education Nationale, il n’y a pas de Gestion des ressources Humaines, mais une infantilisation constante de la part des cadres administratifs, c’est très pesant. Les marges de manœuvre sont très réduites pour innover. Travailler avec des collégiens, cela rend vif, combatif, alerte, ça maintient en forme… »
Quelle vision de l’avenir avez-vous actuellement ?
« Je vis au jour le jour. J’ai créé mon entreprise, et j’essaie de ne pas trop anticiper. Je fais confiance dans l’avenir, je n’angoisse pas car j’ai confiance en mon projet. J’ai regretté de ne pas voir trouvé votre association Aide aux Profs lors de ma reconversion, car cela m’aurait bien aidé, j’aurais nettement préféré votre aide à celle de l’administration, car leur volonté, c’est de refuser les démissions des profs, c’est de les décourager d’aller voir ailleurs. »
Si toi aussi tu te sens mal valorisé, mal traité(e) dans l'Education nationale, et que tu veux t'évader de ce gigantesque Quartier de Haute Sécurité, il te reste à réfléchir avec nous à une évolution professionnelle.

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