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Gérard DUCHEMIN, une succession dynamique de secondes carrières au service de la pédagogie


Gérard Duchemin, une succession dynamique de secondes carrières au service de la pédagogie

 

Interview de

Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°100 de février 2009 sur le Café Pédagogique.

 

Quel a été votre parcours professionnel ?

 

« Mes racines sont dans le Cotentin. Fils d’instituteur et d’une secrétaire de mairie, mon engagement dans l’Education Nationale a été précoce : en fin de 3e (1963), j’entre à l’Ecole Normale d’Instituteurs où je suis boursier. En 1966, j’entre en classes préparatoires au lycée Malherbe de Caen, puis j’effectue une licence de Lettres, et devient professeur de Lettres au collège de Bricquebec pendant 10 ans. J’ai mené pas mal d’activités associatives et militantes en parallèle.

 

Ensuite, j’ai passé naturellement le concours d’Inspecteur de l’Education Nationale (IEN) et j’ai été affecté à Cherbourg, puis à Bayeux où je suis resté 5 ans. C’est un métier que j’ai adoré, au contact des instituteurs, de leurs difficultés, des fermetures de classes… En 1987 je deviens directeur de l’Ecole Normale de Rouen, qui est devenu l’IUFM en 1991. A ce moment là, je suis devenu directeur de la Mission Académique pour la Formation des Personnels de l’Education Nationale (MAFPEN), responsable de la formation continue des personnels de l’académie (ATOSS, enseignants, chefs d’établissements), et j’étais le seul à ne pas être universitaire.

 

Les MAFPEN étaient vraiment un outil efficace, créées par SAVARY en 1982. C’est dommage que Claude ALLEGRE une fois ministre les ait démantelées. Chaque MAFPEN avait un fonctionnement autonome.

 

Dans les années 90, je suis devenu par concours interne IPR en Vie Scolaire, et en 1998, j’ai réalisé une mobilité au Sénégal comme conseiller du ministre de l’Education, en détachement auprès du Ministère des Affaires Etrangères (MAE). J’y ai passé trois ans, et j’y ai laissé beaucoup de bons souvenirs, plus avec les africains qu’avec les coopérants. Au retour, j’ai d’abord été affecté comme IA-IPR en AVS dans l’académie de Toulouse, puis j’ai obtenu mon affectation comme directeur du Centre Régional de Documentation Pédagogique (CRDP) d’Orléans-Tours et conseiller TICE du Recteur. Enfin, quelques années avant ma retraite, je suis devenu directeur du CRDP de Rouen, à Mont-Saint-Aignan. J’aurais ainsi connu quasiment toutes les fonctions pédagogiques et administratives auxquelles un enseignant peu avoir accès au sein de l’Education Nationale. »

 

En quoi consiste le métier d’Inspecteur de l’Education Nationale (IEN) ?

 

« C’est une fonction que j’ai beaucoup aimé, qui m’a laissé beaucoup d’indépendance, moi qui n’aime pas la hiérarchie stricte. Je disposais d’un budget, d’une autonomie, en étant responsable d’une circonscription et des instituteurs qui la composaient, soit 300 à 400 collègues. Je gérais les heurts et les malheurs professionnels et personnels. Les choses sont très bien délimitées sur le plan de la responsabilité et sur le plan géographique : « on a un territoire », c’est sécurisant, mais c’est aussi pour le meilleur et pour le pire. Il faut entretenir des relations avec les élus locaux. On dispose d’une marge de manœuvre intéressante dans ce type de fonctions, comme un chef d’établissement. Cependant, je crois bon de rappeler que le corps des IEN date de 1830, de la Loi Guizot, et qu’il fonctionne de la même manière qu’il y a 179 ans…»

 

En quoi consistait le métier d’IA-IPR en Vie Scolaire ?

 

« C’est un peu pareil, mais dans le 2nd degré. Nous sommes au cœur des établissements. Certains réussissent bien et d’autre mal. Dans ce cas, c’est souvent l’équipe de direction qui est en cause. Si l’équipe est soudée, cela facilite les choses. L’IA-IPR a donc un rôle d’éclairage. Il va à la fois évaluer les professeurs documentalistes, les Conseillers Principaux d’Education (CPE) et les chefs d’établissements.

 

Un bon CPE est un élément précieux dans un établissement, on le sous-estime trop souvent. C’est une personne clé, une vraie cheville-ouvrière. Ces fonctions d’IA-IPR en Vie Scolaire ont un côté « flic », pour évaluer les dysfonctionnements et y remédier. On fait l’audit de personnes incapables de manager en équipe, souvent du fait de problèmes personnels.

 

L’IA-IPR a un métier solitaire, il est autonome et seul, et doit rédiger des rapports sur ce qu’il observe, constate. Est-ce que les inspections que l’on réalise sont pertinentes et efficaces ? On perçoit très vite les points négatifs et positifs sur le terrain, et si les choses négatives priment, on réalise un rapport, afin que les choses aillent mieux. »

 

Prendre la direction du CRDP de Rouen à quelques années de votre retraite, c’était un nouveau challenge ?

 

« C’était l’agiornamento. Ce CRDP, c’était « la Belle endormie ». La librairie avait vieilli, la médiathèque était léthargique, il fallait redynamiser tout cela. J’ai donc remis sur la scène les relations avec les élus, l’Education Nationale, les collectivités locales, pour envoyer le message que « le CRDP est toujours là, qu’il fonctionne, qu’il existe ». J’ai eu envie de montrer ce que le CRDP était capable de réaliser. Le CRDP de Rouen comprend aussi le CDDP d’Evreux, le CDDP du Havre et une antenne à Lillebonne. Dans l’académie de Rouen, il y a des besoins en formations. J’ai donc organisé des « petits déjeuners de travail » sur tous les bassins avec de la documentation pédagogique pour expliquer ce qu’était la politique de fonctionnement et de développement d’un CRDP. Je suis partisan du contact, des relations avec les élus, les chefs d’établissements, pour dynamiser les choses.

 

J’ai fonctionné en équipe. Des collègues se sont donnés beaucoup de mal pour faire l’animation, et pour ma part j’ai dû « remettre les pendules à l’heure », en montant une nouvelle équipe. Le CRDP, ça date des années 50. Depuis plus de 50 ans, les missions n’ont guère évolué, même si les statuts ont un peu changé. Ce sont des établissements publics autonomes. Dans leurs missions, rien n’a été remis en cause. Ils ont tous une librairie, une médiathèque… Pour ma part, j’ai souhaité un « virage à 180° », en montrant quelle utilisation des TICE il était possible d’introduire dans les pratiques pédagogiques, en y associant le Recteur de l’académie de Rouen, monsieur Jean-Jacques POLLET, car la mission TICE de l’académie a un fonctionnement complexe. Par exemple, dans le sous-sol du CRDP de Rouen, il y a une personne qui s’occupe de la mission TICE, payée par le Recteur de Rouen, dans les mêmes locaux que le responsable audiovisuel payé par le CRDP. J’ai proposé que ces personnes soient payées par la même structure, l’une ou l’autre, pour travailler plus efficacement dans le même objectif, et j’attends toujours la réponse… La mise en cohérence n’est toujours pas appliquée. Si j’avais pu, j’y aurais ajouté l’action culturelle du rectorat, pour travailler tous ensemble dans la même structure. J’ai cependant réussi à mettre en place un espace pédagogique multimédia d’environ 100 m2, grâce à la recherche et l’obtention de crédits : deux salles équipées en haut débit, avec tous les appareils nécessaires, pour constituer un centre multimédia gratuit accessible aux élèves, aux professeurs, aux IA-IPR et aux élus qui le souhaitent. Le matériel a été totalement financé grâce aux entreprises que j’ai sollicitées : elles ont mis gratuitement du matériel à notre disposition. Apple a prêté des IPod, des I-Book, etc. C’est un fabuleux appui technico-pédagogique. Il faut aussi travailler avec les collectivités locales si l’on veut que le système de l’éducation fonctionne. Pour cela, il faut ce que j’appelle un « trépied » : - les professeurs, - les sociétés, - les collectivités locales. La difficulté, c’est que la marche s’effectue souvent deux à deux, et l’on a besoin des trois. C’est pour cette raison que, quelques jours après avoir pris ma retraite, j’ai créé mon entreprise.

 

Que pensez-vous de la fermeture plus ou moins programmée du réseau SCEREN ?

 

« Il est fortement souhaitable que l’administration préserve les acquis, les richesses éditoriales de ce réseau. Il y a au total 31 CRDP et 130 CDDP. Ce réseau a de grandes qualités, et les supprimer toutes sera un réel gâchis matériel et humain. Il est important d’adopter une démarche prospective, basée sur des éléments objectifs : refonder, réfléchir, recadrer. Ausculter l’état des finances. Les CRDP sont des établissements publics qui assurent sur fonds propres les paies des personnels, et leur bilan à ce niveau va être dans le rouge d’ici un à deux ans. On constate dans le réseau CRDP une baisse des ventes éditoriales, les enseignants achètent moins. Il y a actuellement une inadéquation au niveau des DRH, entre ce que l’on attend d’eux, et la mission qui leur est confiée.

 

Je me souviens d’un IGEN qui disait : « si les DRH dans l’Education Nationale servaient à quelque chose, ça se saurait ». Je me permets de citer un exemple courant : j’avais besoin d’un poste d’animateur en multimédia. Le contrôleur financier a opposé un « non » catégorique, sans évaluer notre besoin de manière pédagogique. En revanche, au CRDP, il y avait un conducteur d’offset…alors qu’il n’y avait plus d’offset au CRDP depuis plusieurs années. Donc cette personne était payée sans avoir d’affectation réelle. Je lui ai proposé de se reconvertir en TICE, c’est en cours, mais c’est un bricolage interne.

 

Quelles compétences possédiez-vous quand vous étiez enseignant ?

 

« Du pragmatisme. Le professeur dans sa classe apporte des savoirs et des savoir-faire à ses élèves, des éléments concrets, lisibles, réutilisables. Il faut éviter la complexité avec les élèves, garder les deux pieds sur terre. J’ai toujours été agacé par les formulations complexes pour dire des choses simples. Il faut être plus au cœur des réalités.

 

Au Rectorat, il y a des tas de gens qui ont le regard « tourné vers le haut », plutôt que « vers le bas ». Il faut exécuter des circulaires, et l’on se préoccupe d’abord de satisfaire la volonté du ministre plutôt que de s’occuper du chef d’établissement qui rame à appliquer la circulaire sur le terrain. C’est le principe de réalité. On ne peut pas tout résoudre. Quand un professeur est mis en classe dans des conditions difficiles, il faudrait s’y mettre à plusieurs pour dénoncer ça, être plus courageux collectivement, vraiment. Or, il y a des situations inacceptables que l’on accepte… ».

 

Quelles autres compétences avez-vous développées par la suite ?

 

« Le sens des réalités, des injustices, des iniquités. » J’ai été souvent confronté à des tas de choses. Les gens finissent souvent par dire « c’est l’administration », « c’est comme ça », « c’est le système », par lâcheté en fait, par impuissance. J’ai beaucoup appris sur ce plan.

 

Notre dispositif global croule sous le poids des hiérarchies, qui ne sont pas acceptées, ni acceptables. »

 

Comment crée-t-on une EURL ?

 

« Je m’y suis pris une année à l’avance, car l’Education Nationale n’aide pas à réaliser ce genre de projet. Créer son entreprise, c’est basculer dans un monde nouveau.

 

Au CRDP, je savais ce que signifiait l’ordonnancement, comment gérer les salaires, la comptabilité, les contrats avec les entreprises. Pendant une année, j’ai recueilli un maximum d’avis auprès de mes amis, de collègues, pour tester le concept dont j’avais eu l’idée.

 

Ensuite, deux mois m’ont été nécessaires pour réaliser les différentes démarches : coups de fil ici et là, quel statut adopter, documentation, à quels impôts s’attendre, etc. L’EURL, c’est un choix fondamental, du fait des aspects fiscaux, de la TVA et de la plus ou moins grande complexité du dispositif. Le statut d’autoentrepreneur paraît simple mais n’existait pas encore quand j’ai créé ma EURL. Il faut rédiger les statuts de sa société. J’ai d’abord pris des modèles standards, que l’on trouve sur le web, puis je les ai adaptés en fonction de mes objectifs et des missions que je me suis fixées, avec le moins de restrictions possibles. Dès le départ, quand on crée son entreprise, il faut cibler large. Demander l’avis d’un expert comptable sur mes statuts m’a coûté 600 euros environ, et je devais disposer de 1000 euros pour mon capital social. J’ai aussi employé les services d’une société en ligne, EITAG, à laquelle j’envoie mes factures, et qui intègre toute la comptabilité dans un logiciel. Cela me fait gagner beaucoup de temps et ne me coûte que 50 euros par mois, et je peux ainsi consulter en ligne ma comptabilité. J’ai choisi aussi mon régime fiscal par rapport à la TVA, en prenant le régime simplifié. Dans le cadre de l’EURL que j’ai créée, je vends de l’assistance maîtrise d’ouvrage pour compenser les formations diplômantes pour Véolia par exemple. Pour Apple et Prométhéan, je réalise la promotion pédagogique de leurs outils auprès des collectivités locales, notamment les petites communes rurales, souvent délaissées par l’essor numérique. Beaucoup ne savent pas comment s’y prendre, ne connaissent pas les rouages. Favoriser l’investissement dans les écoles pour le numérique est un créneau porteur, j’en ai pas mal discuté auparavant avec des IEN, avec des IA. Bien entendu, je n’ai pu démarrer l’activité qu’après avoir obtenu l’extrait KBis de ma société, et un numéro de SIRET/SIREN. Les démarches ont pris grosso modo 6 mois. Je n’y connaissais rien, il a fallu que j’y passe le temps nécessaire pour maîtriser les différentes étapes et assurer la viabilité de ce que je voulais créer. »

 

Quels conseils donneriez-vous

maintenant à un enseignant qui souhaite créer son entreprise ?

 

« Etre au clair avec lui-même. Créer une entreprise, ce n’est pas jouer au loto. Il faut être sûr de son coup, de son projet, que ça va plaire et lui plaire. Il faut aussi un contexte économique favorable, et en parler autour de lui. Il existe un organisme spécialisé pour les entreprises en profession libérale, OPCALIA, à Bois-Guillaume, qui dispense une demi-journée de formation avec des spécialistes du fisc, de l’urssaf, ce qui permet d’avoir des réponses précises à toutes les questions que l’on se pose : http://www.opcalia.com/ »

 

Pourquoi avoir créé MEDIAPLUS au lieu de prendre tranquillement votre retraite après un tel parcours ?

 

« J’ai toujours été un militant, dans un tas d’associations, et vice-président de la Fédération des Œuvres Laïques (FOL) par exemple. J’ai été à la Ligue de l’enseignement, et à un organisme ministériel de l’organisation pré-scolaire. Je n’ai pas souhaité passer mon temps à regarder la télévision. Je veux faire avancer les dossiers des communes pour leur permettre d’accéder à l’ère du numérique. »

 

Que conseillez-vous aux étudiants qui souhaitent devenir enseignants dans les années à venir ?

 

« Bon courage…Les conditions de travail ont radicalement changé, physiquement, avec une gestion de la classe au quotidien qui est devenue plus difficile. Le métier est d’une plus grande complexité, et elle est accrue par le fait que l’on est quasiment aveugle au niveau national sur ce que l’on veut réellement faire du système éducatif dans les années à venir. Au niveau des gouvernements qui se succèdent, il n’y a pas de vision prospective, on ne peut pas avancer longtemps comme ça, au radar…il n’y a pas d’objectifs simples, mais une superposition de réformes. Mettre en place les TICE, structurer des collèges, au Sénégal, c’étaient des objectifs simples.

 

En France, on se complaît avec des formules comme « l’élève est au centre du système éducatif », « 80% d’une classe d’âge au Bac », « égalité des chances pour tous », « 32 élèves par classe », etc. Quelles sont les perspectives pragmatiques de ce genre de slogans infaisables dans la réalité ? L’Education Nationale est jalonnée d’avancées, d’essais, et de renonciations. »

 

Que vous inspire un dispositif associatif comme Aide aux Profs ?

 

« Je suis séduit par l’idée, le concept, la mise en place : c’est utile, intéressant, car le métier de professeur est de plus en plus difficile et anxiogène. Il est indispensable d’avoir des portes de sortie, de ne pas se sentir enfermé dans sa vie professionnelle. Il faut introduire de la flexibilité, de la liberté de pouvoir faire autre chose. Cependant, j’ai du mal à croire que beaucoup de collègues sauteront le pas, vu la bulle dans laquelle ils sont…. ».

 


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