· 

La GRH de proximité peut-elle tenir ses promesses ?


La GRH de proximité qui se déploie depuis la rentrée 2019 n'est pas une idée nouvelle.

 

Abordée dans un bulletin de juin 2013 de l'AFAE, elle trouve ses origines dans les rubriques publiées depuis novembre 2006 par Rémi Boyer sur le Café Pédagogique tous les mois jusqu'en 2016, et dont se sont saisis de multiples acteurs. En parallèle, agissant au nom de notre association, Rémi Boyer a publié plus de 7.000 articles sur le web sur nos différents portails, dont l'ancienne plateforme que nous avions utilisée de 2006 à 2016 et que nous avons dû abandonner car trop coûteuse et qui atteignait pourtant 40.000 visites uniques par mois.

 

La GRH de proximité naît du constat de l'échec de la GRH, tout simplement, dans l'Education nationale. En 1998-99, les ministères passent de la "Gestion des Personnels" à la "Gestion des Ressources Humaines".

 

Seule l'expression avait changé. Il s'agissait toujours d'une gestion des carrières en annonçant aux agents leurs passages d'échelon dans leur grade. Voilà à quoi se résument toujours en 2020 les carrières des professeurs qui ne passent pas d'autre concours interne ou externe. Ce mode de fonctionnement n'a guère changé, puisque l'Education nationale n'est pas en mesure de fournir autant de secondes carrières que souhaité à un nombre grandissant de professeurs intéressés.

 

Tous les sondages des grands syndicats comme l'UNSA en partenariat avec Carrefour Santé l'ont montrés depuis une décennie: sur la vingtaine de milliers de professeurs de toutes académies sondés à chaque fois, ils sont 40% environ à souhaiter faire autre chose qu'enseigner en cours de carrière, alors qu'en examinant de plus près ceux qui peuvent réellement faire autre chose avec les postes proposés en mobilité interne, on atteint à peine 3% de l'effectif global. 

 

Les postes proposés sont majoritairement conditionnés à des concours internes pour devenir IEN, IA-IPR, Personnel de Direction (abrev: Perdir), attachés d'administration, secrétaires d'administration pour ceux que ça ne dérange pas d'être déclassés en catégorie B.

 

Les autres postes sont proposés de manière temporaire sous forme de détachement et de mise à disposition dans un certain nombre d'organismes que les académies ne se pressent pas à dévoiler, et pour cause: elles ont du mal à recruter, il faut donc éviter de donner de mauvaises idées aux professeurs, puisque les concours ont du mal à faire le plein, et qu'il est impossible de savoir  combien mourront du coronavirus dans les années qui viennent.

 

En théorie, tout poste en FPT, FPH et FPE peut être pourvu par la voie du détachement pour un agent titulaire d'une de ces trois fonctions publiques, avec un avantage pour ceux issus de la FPE.

 

En fait dans l'Education nationale, si l'on vous ouvre grande la porte pour entrer, c'est à la sortie que cela se complique, car l'image d'Epinal du "métier le plus beau du monde" tend à convaincre les autorités académiques qu'il faut éviter que les professeurs quittent l'Education nationale ensuite. Certains Recteurs et Dasen s'opposent farouchement aux départs de professeurs en leur opposant des nécessités de service" qui démontrent qu'ils n'ont pas compris la flexibilité souhaitée par le Président de la République Emmanuel Macron à travers la loi Dussopt du 6 août 2019.

 

En l'état actuel des choses, la GRH de proximité a beaucoup investi:

 

- des référents mobilité ont été recrutés dans chaque département, rattachés à un certain nombre d'établissements, afin que le maillage soit dense. Ils sont ainsi plusieurs centaines à pouvoir accueillir des professeurs en recherche d'autre chose ou en difficulté professionnelle. 

 

- des DRH adjoints dans certaines grandes académies

 

- une politique nouvelle de GRH qui se veut bienveillante envers le professeur. Les corps d'inspection et de direction ont été "briefés" en ce sens, puisque certains ont besoin qu'on le leur demande par circulaires et injonctions pour essayer de devenir sympathiques, alors que la majorité des personnels d'encadrement, rassurons-nous, fait preuve naturellement de sympathie. Nous recevons des milliers de témoignages chaque année de toute la France de tous établissements, qui nous prouvent régulièrement qu'une partie des personnels d'inspection, de direction, d'administration, agissent de manière autoritaire envers les professeurs sans que cela se justifie, sans tenir compte des recommandations de la politique actuelle.

 

La GRH de proximité présente de nombreuses failles qui tiennent à la manière dont l'Education nationale, plus gros ministère de France et du Monde, et plus gros budget des ministères du Gouvernement, est gérée :

 

- les référents mobilité n'ont pas forcément de diplôme en coaching ni en psychologie du travail, ni forcément de Master en Ingénierie de Formation, et n'ont pas forcément reçu une formation solide de conseiller en mobilité, celle-ci se limitant à des stages de quelques jours par an. Certains sont employés au prix de quelques heures supplémentaires, et n'ont pas dans leur cursus d'expérience démontrant qu'ils aient prix des risques professionnels pour changer de voie, ce qui les décrédibilise dans leur action.

 

- référent de mobilité n'est pas un statut acquis par concours. Leur poste est donc un siège éjectable et c'est d'autant plus dommageable qu'ils doivent pour être efficaces, négocier avec des IEN, des IA-IPR, des DRH, des DPE, des DASEN, des Recteurs, qui, occupant leur poste statutaire, ont forcément toujours le dernier mot, lié à leur gestion administrative des effectifs dont ils ont la charge, et ce serait la garantie de perdre leur poste que de s'opposer à eux. Pas d'échelle indiciaire spécifique, pas de primes de sujétions. Un statut précaire.

 

- l'Education nationale manque de professeurs et est prise en tenaille entre des départs massifs en retraite de professeurs au moins jusqu'en 2045, et la désaffection de la nouvelle génération pour ce métier. Le système semble espérer que le coronavirus vecteur d'un taux de chômage massif, enraye cette désaffection, mais tout va se jouer au nombre de professeurs qui seront affectés par le coronavirus dans l'exercice de leurs fonctions en 2020-2021. C'est donc une rentrée à haut risque pour le devenir de l'attractivité du métier de professeur.

 

- une soumission totale aux politiques publiques pratiquées d'un quinquennat à l'autre. Nous l'avons vu avec les alternances politiques depuis 2006, avec une augmentation du nombre de conseillers mobilité sous la Droite (2007-2012); puis une forte réduction sous la Gauche (2012-2017). Un virage politique à gauche reviendrait à annuler l'application de la loi Dussopt et à réduire le nombre de référents mobilité actuels.

 

- un manque de formation aux softskills d'une minorité des personnels d'encadrement, ceux connus dans leur entourage professionnel pour se vanter de "casser du prof". Ils sont peu nombreux, ne sont jamais sanctionnés par leur hiérarchie, se font craindre pour asseoir leur autoritarisme, ce qui engendre de nombreuses dépressions chez les professeurs qui en sont victimes. Aide aux Profs demande régulièrement, sans être écoutée, que les personnels d'inspection, de direction et d'administration connus par le passé pour avoir abusé de leur autorité envers des professeurs, retournent en formation ou soient démis de leurs fonctions, puisqu'ils ne savent pas être empathiques, attentifs, accompagnateurs de bien-être professionnels.

 

Nous nous étions donnés 2 ans pour apporter notre point de vue sur ce qui se met en place. Le Ministre a voulu une mise en place à la manière d'une guerre éclair pour tenter d'endiguer les vélléités de reconversion des professeurs afin de contenir les effectifs.

 

Si cet effort institutionnel est louable, en revanche nous restons dubitatifs sur les moyens des référents mobilités à pouvoir faciliter les départs de ceux qui les consultent, puisqu'ils n'ont pas de pouvoir hiérarchique pour contrer les nécessités de service qu'imposent ceux qui les ont nommés.

 

En cela, la GRH de proximité n'a qu'un rôle et un seul: être à l'écoute des difficultés des professeurs pour les aider à mieux vivre leur métier, qu'on n'imagine pas qu'ils puissent un jour quitter.

 

Écrire commentaire

Commentaires: 0