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Frédérique DUPIN, professeur des écoles pendant 18 ans, a créé « petit pois », structure dédiée à la petite enfance


Frédérique DUPIN, professeur des écoles pendant 18 ans, a créé « petit pois », structure dédiée à la petite enfance

 

Interview de Rémi BOYER de l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°169 de mars 2016 sur le Café Pédagogique.

 

 

Quel a été votre parcours d'enseignante ?

 

J’ai toujours été portée par des convictions et animée par des passions. Avant d’être enseignante, je suivais un cursus de chant lyrique et j’étais ouvreuse à l’Opéra de Paris. J’avais besoin de rentrer dans la vie active c’est-à-dire de gagner ma vie. L’enseignement privé m’a contacté un soir et m’a confié mon premier remplacement pour 6 mois dans un CE1 à Bagnolet. J’ai remplacé au pied levé une enseignante qui travaillait sur Tom Tom et Nana en français et sur ERMEL en maths.

 

Le ton était donné : travail en atelier, pédagogie active, l’enfant acteur placé au coeur de son apprentissage, le travail en projet, l’aspect ludique et créatif. Au milieu des enfants et au sein de l’équipe Je me suis immédiatement sentie chez moi. J’ai enseigné 3 ans en tant que vacataire dans le privé avant de passer le concours dans le public par conviction.

 

J’ai enseigné 15 ans en ZEP, pour améliorer mon expertise, je changeais régulièrement de niveaux et d’établissements. En exerçant de la petite section au CM2, j’ai acquis une vision d’ensemble de l’école primaire et du système éducatif ainsi qu’une connaissance très précise des programmes et des apprentissages au service de la continuité pédagogique. J’ai eu l’occasion de collaborer avec des professeurs de la ville de Paris, des équipes enseignantes très variées, le RASED, les parents d’élèves et des partenaires extérieurs. Mes valeurs pédagogiques reposaient sur une attention bienveillante et positive portée à chacun des élèves associés à une réponse adéquate à leurs besoins pour les aider à progresser et à grandir avec optimisme et confiance.

 

Ma pratique pédagogique prenait appui sur des situations réelles liées à la vie et aux expériences de la classe pour donner du sens aux apprentissages et créer du lien entre les différents champs disciplinaires. Dans chaque école je plaçais mes pas dans ceux d’une personne ressource avec laquelle je créais un projet : (Apprendre à lire et à écrire en partenariat avec le PVP de sport, élaborer une comédie musicale avec le PVP musique, lire-écrire GS/CP, CP/CM2, jeux et mathématiques, tutorat, semaine de la presse, rallye du petit quotidien, classe de découverte, classe APAC, partenariat avec des lieux culturels).

 

L’ouverture au monde et l’ouverture aux autres ont toujours été ma priorité, afin que dans le groupe chacun trouve sa place avec sa propre culture et sa propre histoire en construction. J’invitais des auteurs, des illustrateurs, tous les créateurs étaient les bienvenus. Finalement tout mon parcours d’enseignante a préparé de manière logique ma reconversion professionnelle.

 

Qu'est-ce qui vous a donné envie d'en repartir, après 15 ans comme professeur des écoles ? Et quelles compétences y avez-vous acquises ?

 

Je ne crois pas que je me suis jamais dit « je vais arrêter », car j’ai toujours laissé s’exprimer ma part créative dans mon métier, ce qui fait que j’y allais en chantant. Les compétences didactiques et sportives que j’avais développées en élémentaires ont été complétées par celles plus artistiques développées en maternelle (création d’installations, expérimentations plastiques, approches pédagogiques par le jeu…). Mes compétences de formatrice ont été initiées de plusieurs manières : être maître d’accueil, le soutien à la parentalité, le travail avec les équipes par l’accueil d’enfants porteurs de handicap, la gestion d’une équipe l’ASEM de la classe, les différents intervenants, les parents, font de la maternelle un lieu très ouvert.

 

Je me suis passionnée à la suite d’une conférence animée par l’équipe pédagogique du Tarn pour l’expérimentation d’un album à danser. J’ai suivi des formations en danse, proposé des ateliers aux enfants participé avec mes classes à des rencontres chorégraphiques. Intéressée par la formation et désireuse d’évoluer dans mon métier, je me suis présentée à l’examen du CAFIPEMF.

 

Manifestement, je ne correspondais pas aux attentes du jury. Un problème de santé il y a 3 ans m’a fait réfléchir j’y ai vu le signe que quelque chose d’autre était possible. Des amis autour de moi montaient leur entreprise.

 

J’ai commencé à animer des ateliers dans les crèches qui ont eu tellement de succès que je suis intervenue lors de deux conférences à Paris et à Lille devant 1.000 personnes. Avec les acteurs de l’enfance, nous avons une volonté commune, celle de porter le projet de l’enfant explorateur, les échanges et les rencontres ont été vraiment très enrichissants.

 

J’ai eu alors le sentiment que mes compétences étaient davantage reconnues dans le privé. Lorsque j’ai animé des ateliers de danse les équipes des EAJE m’ont demandées des formations. J’ai développé mon expertise en travaillant avec des psychomotriciens, des psychiatres, des psychopédagogues…qui s’intéressent à mon travail de recherche. Ces nouvelles expériences, ces échanges et ces retours positifs, ont achevé de me convaincre de monter ma propre structure de formation pour les professionnels de l’enfance et la petite enfance.

 

Quelles démarches ont été nécessaires pour créer votre nouvelle activité, "Petit-Pois" ? Et qu'y faites-vous ?

 

Aujourd’hui j’ai fondé une structure Petit Pois spécialiste de la petite enfance qui propose des ateliers, des formations, des conférences, du consulting en pratiques artistiques et culturelles.

 

J’interviens dans des structures publiques ou privées, auprès des enfants, des professionnels, des parents.

Mes activités sont très variées : de l’animation d’une conférence sur la sensori-motricité du tout petit à la proposition d’un dispositif pédagogique adapté aux enfants pour un salon, en passant par l’expérimentation plastique pour ressouder une équipe jusqu’aux conférences sur la parentalité.

 

Pour créer ma propre activité j’ai d’abord sollicité les services du rectorat. Je me suis vite aperçue qu’ils ne me seraient d’aucune aide. J’ai donc décidé de demander ma mise en disponibilité et de me lancer seule. Ensuite je suis rentrée 8 mois dans une couveuse, au BGE Paris. L’entrée se fait sur dossier et entretien. Etre soutenue par des rdv mensuels c’est une bonne idée au démarrage. Je me suis rapidement aperçue que les autres couvés percevaient des indemnités par Pôle Emploi, pouvaient percevoir des aides à la création d’entreprise, ils pouvaient prendre leur temps pour monter leur entreprise.

 

Moi j’étais dans une urgence car je ne touchais rien et n’avais pas accès aux différentes aides liées à la création d’entreprise. Le BGE m’a prêtée un numéro de Siret et un numéro de formatrice et j’y ai suivie quelques formations utiles pour le prospect. J’ai commencé à facturer mes premiers clients.

 

Les démarches administratives ne m’ont pas paru difficiles, on peut trouver beaucoup de renseignements par internet et via la chambre du commerce (mise en place d’un site web, démarches pour le marketing, achat d’un nom de domaine, numéro de formateur, statuts, mutuelle, compte pro…). Je peux compter sur le soutien indéfectible de mon mari qui m’a épaulée pour l’élaboration du concept Petit Pois et m’aide encore sur la partie administrative et le développement. Plus que les démarches administratives c’est le réseau qu’il faut activer et surtout son sang-froid, la confiance en soi, la ténacité, la créativité.

 

Depuis 2013, vous changez souvent d'activité, c'est un choix ? Ce sont des missions qui vous sont confiées ?

 

Je ne change pas souvent d’activité mais de clients oui ! Et ce sont eux qui font évoluer mon offre. Ils me sollicitent pour une formation, en comprennent la portée et me demandent d’intervenir auprès d’une autre cible ou un sujet connexe. Ils ne sont pas segmentant, c’est très appréciable et je m’adapte à chaque nouveau défi avec enthousiasme. Chacun de mes ateliers avec les enfants nourrit ensuite mon concept et mes formations. Je fais d’une pierre deux coups : j’utilise la médiation artistique pour créer du lien avec les enfants, entre enfants, entre adultes et enfants. Finalement au cours de mes formations chacun découvre son potentiel créatif, retrouve sa motivation et trouve sa place dans le groupe ce qui est primordial. C’est ainsi que je suis amenée à m’adresser à des managers, des professionnels, des enfants ou des parents. Je suis convaincue que pour être un bon formateur il vaut mieux garder un pied sur le terrain qui s’apparente pour moi à un champ d’investigation, je prends des notes, je mesure les écarts, j’émets des hypothèses, je teste des idées, je me documente beaucoup, ensuite mon concept et mes formations. Je diversifie mes expériences, j’adapte mon concept en fonction des structures, des âges, des compétences de chacun. J’ai fait beaucoup de prospection mais le bouche-à-oreille commence à bien fonctionner. Mes clients sont très satisfaits de mes prestations et ce qui est drôle c’est qu’en parlant avec eux j’apprends des choses sur moi qui font avancer mon entreprise.

 

Par exemple ils apprécient mon énergie et ma joie de vivre, certains assimilent ce que je fais à de l’art thérapie, je suis très appréciée pour la gestion de groupe, récemment on m’a demandé de l’observance ce qui n’était pas mon champ d’action de départ. Mes compétences qui se sont étendues me permettent de toucher une cible importante de la petite enfance à l’enfance sur un concept qui est maintenant bien ciblé.

 

Quels conseils pouvez-vous donner à un enseignant désireux de quitter l'Education nationale pour se réaliser autrement, en créant son entreprise ou en allant travailler dans le privé ?

 

- Je pense qu’il faut s’attacher à un projet qui reste dans votre domaine de départ, qui s’attache à votre domaine de compétences. C’est comme avec les enfants partir du connu et introduire la nouveauté très progressivement. Si j’avais eu le choix j’aurais été à mi-temps tout le temps de l’élaboration du projet (étude du marché, prospect, test de l’activité…)

 

- Avoir une motivation en béton armé.

 

- Il faut être soutenu par son conjoint et par sa famille.

 

- Il faut prévoir une trésorerie d’au moins 1 an (et savoir qu’une entreprise met 3 ans pour enclencher son cercle vertueux et 7 ans pour se développer).

 

- Faire du sport ! Car il faut être endurant !

 

Parmi vos anciens collègues enseignants, lorsque vous avez quitté votre métier, quelles ont été les réactions ? Et au niveau de votre hiérarchie ?

 

L’inspectrice avec laquelle j’ai échangé me proposait une évolution en interne devenir maître E ou maître G. Je crois qu’elle suit également de loin mon parcours. Je constate que mes collègues suivent avec intérêt et bienveillance l’évolution de Petit Pois. Ils respectent mon choix tout en s’interrogeant sur leur propre carrière car le pari d’enseigner jusqu’à 70 ans leur parait quand même difficilement réalisable.

 

Je sais que certains sont en marche vers des projets d’édition, d’investissement, d’entreprenariat. Je ne peux que les encourager à prendre leur temps pour construire leur projet de reconversion. Qui pourrait aujourd’hui envisager d’être chargée de classe jusqu’à 70 ans ? cela manque un peu de perspective.

 

NDLR 2025: "Petit Pois" a bien grandi et Frédérique DUPIN est très créative et dynamique, passionnée par sa reconversion.

 

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