
Jean-Pierre OBIN, enseignant devenu IGEN, a réalisé une mobilité professionnelle très diversifiée au sein de la sphère éducative
Interview de Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°126 d’octobre 2011 sur le Café Pédagogique.
Quel a été son parcours de carrière, ses « secondes carrières » ?
Ingénieur de l’Ecole centrale de Lille et docteur de spécialité en mécanique des solides, Jean-Pierre OBIN enseigne ensuite en collège et lycée en Algérie, pendant 3 ans, avec des classes à effectifs chargés (50 à 60 élèves), son premier contact avec l’enseignement.
Il occupe ensuite successivement les fonctions de:
- maître de conférences de mécanique à l’université Joseph-Fourrier de Grenoble (1970-1983),
- Responsable de la formation professionnelle initiale des étudiants à l'UER de formation des enseignants de l'Université Joseph Fourrier (1976-1980),
- Responsable du Diplôme inter universitaire de formation de formateurs d'adultes (1980-1983),
- Directeur de l'Institut de formation des maîtres (IFM) de l'Université Joseph Fourrier de Grenoble (1982-1983),
- Directeur de la Mission de la formation et de la recherche en éducation (MIFERE), à l’administration centrale du Ministère de l’éducation nationale (1983-1986),
- Adjoint au directeur général du Centre National de Documentation Pédagogique (CNDP) ;
- Expert auprès de la CEE pour la formation continue des enseignants (1986-1988),
- Conseiller technique au cabinet du Secrétaire d’État chargé de l'enseignement technique Robert CHAPUIS (1988-1990).
Il soutient en 1992 une thèse de doctorat ès lettres et sciences humaines dirigée par Philippe MEIRIEU.
De 1990 à 2008 il a été Inspecteur Général de l’Education Nationale (groupe Etablissements et vie scolaire) et, de 1993 à 2008 Professeur associé à l'Institut universitaire de formation des maîtres de Lyon.
Depuis 2008 il est expert associé au Centre International d’Etudes Pédagogiques (CIEP devenu France Education International).
En 2011, il a préfacé « Mon projet pour l’Ecole » d’Arnaud MONTEBOURG et publié « Etre enseignant aujourd’hui » publié aux éditions Hachette. Jean-Pierre OBIN est l’auteur de nombreux rapports, remis aux ministres Alain SAVARY(sur la recherche en éducation), Jean-Pierre CHEVENEMENT (sur la rénovation des collèges et la formation des instituteurs), Roland CARRAZ (sur la formation continue des personnels de l’enseignement technique).
Il a aussi, comme conseiller technique de Robert CHAPUIS, rédigé de nombreux rapports, sur la « revalorisation de la condition enseignante », sur la « mise en place des IUFM », sur la « formation continue des enseignants » dont il est l’un des plus ardents défenseurs, sur « l’évolution du statut des chefs de travaux » entre autres.
Son activité d’IGEN est énergique et passionnante, en participant aux évaluations nationales pour les académies de Lyon et de Grenoble pour les lycées professionnels (1990-1991) puis les collèges (1991-1992). Il s’intéresse aussi successivement à ces problématiques, rédige ou participe à des rapports essentiels :
- le passage du cycle d'observation au cycle d'orientation et l'accueil des élèves en difficulté (1992-1993)
- l'évaluation des établissements (1992-1993)
- la rénovation des lycées (1992-1993)
- la formation des enseignants dans les IUFM (1993-1994)
- la violence dans les établissements scolaires (1994-1995)
- l’absentéisme des lycéens (1995-1996)
- les zones d’éducation prioritaires (1996-1997)
- la formation des chefs d’établissement (1997-1998)
- l’avenir du métier d’enseignant (2002-2003)
Président du jury du concours de recrutement externe (1995-1998 et 2004-2008) et du concours de recrutement réservé (1997-1998) des conseillers principaux d’éducation, vice-président puis Président du jury du concours de recrutement des personnels de direction (1998-2004), il a aussi été membre du comité national de coordination de la recherche en éducation (1998-2001), rapporteur de l’évaluation de la formation des personnels de direction (2005), co-rapporteur de l’évaluation des mesures d’assouplissement de la carte scolaire (2007) et de bien d’autres rapports, dont celui, en 2004, sur « Les signes et manifestations d’appartenance religieuse dans les établissements scolaires » qui suscitera beaucoup de controverses sous l’appellation de « rapport OBIN ».
Il a également participé, entre 2003 et 2007, aux travaux de l’OCDE sur le métier d’enseignant et sur la direction des écoles et des établissements scolaires. Toute sa carrière, Jean-Pierre OBIN a ressenti une soif insatiable de connaissance et d’étude de l’Ecole et de ses acteurs, qu’il n’a eu de cesse de défendre, de promouvoir, de former, de conseiller, d’accompagner, devenant un expert de haut niveau dans de nombreux domaines, tant en France qu’à l’international, multipliant les activités de formation, d’écrivain (plus de 15 ouvrages et 150 publications au moment de l'interview et bien plus depuis), de directeur de collection, de formateur, de conseiller, autant de « secondes carrières » qui ont fait de sa mobilité professionnelle un parcours exceptionnel, atypique, au service de l’Education nationale et de ses valeurs : la recherche en éducation, l’éthique, la loyauté à l’institution et le bonheur de contribuer par passion à sa réflexion et à son évolution.
Ce qu’il a réalisé est un véritable patrimoine d’idées et de réflexions constructives pour améliorer l’Ecole et les conditions de travail de ses acteurs.
Vous avez eu un brillant parcours de carrière, si diversifié qu’il est devenu difficile de le résumer : qu’y avez-vous préféré, et pourquoi ?
« Ce que j’ai préféré, c’est sans doute avoir été formateur à l’IUFM de Lyon, pendant 15 ans. J’enseignais à des étudiants en 1ère année pour la préparation aux concours de CPE et aux Capes, et à des stagiaires en 2e année.
J’ai bien aimé aussi présider le concours des personnels de direction pendant 4 ans et celui des CPE pendant 8 ans. J’ai eu alors l’impression de pouvoir influer sur le cours des choses. »
Comment perceviez-vous alors vos étudiants, futurs enseignants ?
« J’ai toujours été partisan d’une formation solide pour les étudiants devenant professeurs, avec une 2e année de terrain. Dans la formation dispensée aux enseignants, ma préférence allait aux interventions des formateurs, universitaires et de terrain, plus que dans l’exposé des savoirs disciplinaires, car enseigner, c’est gérer des classes, des personnalités différentes, rencontrer des problèmes relationnels, institutionnels, juridiques, faire face à des imprévus multiples, gérer les conflits (parents, élèves).
J’ai toujours eu du plaisir à revoir mes anciens étudiants et stagiaires, et j’aurais eu besoin de plus de temps pour ma part pour leur transmettre ces outils indispensables pour leur permettre de réussir dans ce métier qu’ils avaient choisi par passion de former, d’éduquer et de transmettre les savoirs et la culture. Ils aimaient le travail en équipe en général, et lors de leurs premières affectations en collège ou lycée, beaucoup étaient amers de ne pouvoir le mettre en pratique, car isolés dans des établissements ou les collègues plus anciens étaient souvent moins adeptes du travail collectif.
Lorsque j’ai enseigné à l’IUFM de Lyon, mes séquences de formation étaient très généralement consacrées à un apport de connaissances suivi d’une analyse de situation professionnelle, sur un cas réel rencontré par l’un de mes stagiaires dans son quotidien professionnel. De plus, nous travaillions en binôme avec une collègue chef d’établissement.
C’était une manière d’aider, de conseiller, d’accompagner les jeunes enseignants dans leur pratique professionnelle, pour qu’ils apprennent à enseigner, à manier le groupe-classe, à se situer dans l’institution et à acquérir de l’expérience, avec l’envie de progresser. »
Vous avez consacré une grande partie de votre carrière à conseiller, former les enseignants dans leurs pratiques professionnelles. Pourtant, vous n’avez jamais enseigné dans les conditions difficiles des enseignants d’aujourd’hui : ZEP, ZUS, PEP IV, RAR, ECLAIR… Comment avez-vous compensé cette absence de vécu pour arriver à les aider sur le terrain ?
« Tout d’abord, le savoir n’est pas l’apanage de l’expérience, fort heureusement, il est même, profondément, capacité à s’abstraire de ses contingences pour en dégager des constances, des lois, de « l’universel ».
Et puis je ne suis pas dénué d’expérience de l’enseignement secondaire : j’ai enseigné en Algérie, en collège, dans des classes de 50 à 60 élèves, au tout début de ma carrière d’enseignant. Ce n’était pas facile tous les jours, j’ai été confronté à des situations difficiles. 10 à 20 % de mes élèves, nous étions en 1965 au sortir de la guerre, s’appelaient SNP Mohammed ou Fatiha ; SNP cela voulait dire « Sans nom patronymique » !
Mais je reconnais que les choses aujourd’hui sont bien différentes dans ces établissements difficiles, même si en ZEP les effectifs sont moins nombreux qu’ils ne l’étaient sur mon premier poste. Mais surtout, mon travail d’inspecteur m’a conduit, presque pendant 20 ans, à fréquenter en permanence les établissements et les classes, les enseignants, les CPE et les personnels de direction. Par la suite, ma pratique de formateur, à partir de cas réels vécus dans leurs classes par mes stagiaires, m’a permis de me tenir au fait de ce qui se passait dans les classes, afin d’aider les enseignants à progresser dans leurs pratiques professionnelles.
En partant d’analyses de situations diverses et variées, j’ai alors conçu une méthode de travail qui est appelée depuis « la méthode OBIN », pratiquée en particulier à l’ESEN par des formateurs d’enseignants. Elle est fondée sur une grille d’analyse fondée sur l’action.
Pour agir, on s’appuie toujours sur trois systèmes normatifs :
- Un système de normes obligatoires privées, la morale
- Un système de normes obligatoires publiques, le droit
- Enfin un système normatif non obligatoire, public et privé, fondé sur des valeurs multiples et en tension entre elles dans un contexte où le choix est ouvert : l’éthique.
Ma méthode de formation est de travailler à partir de cas réels, tant pour les enseignants que les CPE ou les chefs d’établissement, car c’est ainsi qu’on apprend le mieux le positionnement professionnel, et que l’on s’adapte aux imprévus de la meilleure manière possible. »
Vous avez contribué à la mise en place des IUFM en 1988-90. Quel sentiment vous cause leur suppression récente ? Etait-il nécessaire de porter à BAC+5 l’entrée dans le métier d’enseignant ?
« J’y ai contribué bien avant 1988-1989. J’ai été le premier directeur du précurseur des IUFM créé en 1981 à Grenoble, qui s’appelait alors Institut de Formation des Maîtres (IFM) de l’Université Joseph Fourier de Grenoble. Cet institut a été la matrice sur laquelle Alain SAVARY a présenté en 1984 le premier projet d’IUFM.
En 1983, j’ai été appelé à l’administration centrale pour travailler sur ce projet, mais Alain SAVARY a brutalement quitté ses fonctions en 1984. Lionel JOSPIN a repris ce projet quelques années plus tard, et ainsi j’ai pu beaucoup y travailler, surtout quand j’ai été conseiller de Robert CHAPUIS devenu ministre de l’enseignement technique (1988-1991) dans le Gouvernement de Michel ROCARD, qui a impulsé cette réforme, Lionel Jospin la mettant ensuite en œuvre (1988-1992).
La récente suppression des IUFM, de ce pour quoi nous nous sommes battus et enthousiasmés dans les années 80-90, suscite en moi de la tristesse, de l’amertume, le sentiment d’un véritable gâchis, même si ces IUFM étaient critiqués et suspectés de défauts trop souvent imaginaires. Certains professeurs du Secondaire ont eu peur avec ces structures d’une « primarisation » de leur statut, puisque l’on y formait aussi les enseignants du primaire, d’où leur résistance au changement. Les critiques ont parfois pris des tournures un peu délirantes, comme avec cette rumeur malveillante mais persistante que l’on y enseignait aux professeurs la recette de la pâte à crêpes ! Par la suite, les IUFM ont été les victimes d’une agressivité permanente de la Droite, qui a une conception élitiste de l’enseignement, qui selon elle doit préparer dès la 6e les meilleurs élèves aux classes préparatoires aux grandes écoles, ce qui est pertinent avec la formation purement académique des professeurs. Il ne s’agit pas de faire réussir tous les élèves et de traiter les difficultés, mais de faciliter le parcours d’une élite, minoritaire. Cela va à l’opposé de ma conception de l’Ecole qui doit tenter de faciliter la réussite de tous.
Claude ALLEGRE a eu aussi une grande responsabilité dans la disparition des IUFM, qui préparaient, quoi qu’on en dise, à une professionnalisation des enseignants. Aujourd’hui, l’université forme les enseignants dans leurs savoirs disciplinaires, tandis que les CPE et les professeurs des écoles sont toujours formés dans les IUFM, comme si l’on était revenu à la situation d’avant 1990 et avait recréé les écoles normales. Ce mouvement, cette évolution est profondément réactionnaire.
En 1970, un élève en fin de 3e pouvait, après 3 années d’études en Ecole normale, devenir instituteur. Maintenant, il faut un Master, Bac+5. Qu’attend-t-on de cette réforme pour les élèves ? Rien en fait.
Seulement une amélioration des débuts de carrière des enseignants. Le seul objectif poursuivi par le Gouvernement a été la suppression des 17 000 postes de stagiaires, dans la seule logique de réaliser des économies. Ainsi, il y a eu diminution d’un an de la formation professionnelle, et élévation de deux ans du niveau d’entrée dans le métier, ce qui ne coûte rien l’Etat, et a pour effet de réduire très fortement les viviers de candidats et la part des classes moyennes dans l’intégration du métier, qui va encore « s’embourgeoiser » car on sait que la sélection sociale ne fait que croître au long des études universitaires. Certains syndicats, non sans cynisme, ont accepté cette réforme car ces deux années de plus étaient synonymes d’une amélioration du revenu à l’entrée dans le métier. Mais ce sont les élèves qui en ont pâti. »
Une vidéo en 2016 au Parlement, d'une des nombreuses auditions de Jean-Pierre OBIN:
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