
Il n'est pas toujours nécessaire de quitter son métier de professeur pour s'investir dans sa passion, la preuve ! Yves MERET, à travers son cumul d'activité, prouve qu'il est possible en exerçant comme professeur, d'être artiste et de conjuguer deux vies, sans bouleverser la première.
Interview de Rémi BOYER d'AIDE AUX PROFS
Quel a été votre parcours professionnel de la fin de vos études jusqu’à votre double activité actuelle ?
Après la fin de mes études, j’ai été titularisé dans un collège de l’Eure en 2004. J’y ai rencontré une équipe d’enseignants absolument remarquable, dont la
cohésion, la solidarité et les approches pédagogiques m’ont profondément marqué. C’est un environnement qui m’a donné envie de m’investir pleinement dans l’enseignement.
La même année, je découvre la magie. C’est une révélation : je suis immédiatement fasciné par cet art. Très vite, la magie ne
reste pas qu’un loisir – elle devient un terrain d’exploration intellectuelle. Dans cette même dynamique, je découvre le
livre Math et magie du magicien américain Harry LORAYNE. Cette lecture est fondatrice : elle ouvre des perspectives insoupçonnées en liant des techniques de magie avec des
principes mathématiques. J’y trouve les prémices de ce que deviendra ma spécialité : la mathémagie.
Je décide alors de me former sérieusement et je prends des cours dans l’un des lieux emblématiques de la magie française : Le Double Fond, à Paris
(2004-2005). J’y apprends les bases solides de la magie professionnelle. Je me lance ensuite dans la magie de close-up, une branche
de la magie où les effets se déroulent à quelques centimètres des yeux des spectateurs, souvent autour d’une table. C’est une magie intime, interactive, qui demande une grande rigueur
technique et un sens du rythme précis. Je me produis dans cette discipline pendant une dizaine d’années, jusqu’en 2014.
En 2014, je décide de me lancer dans la préparation de l’agrégation externe de mathématiques, un défi intellectuel intense qui me conduit à
mettre temporairement de côté mes activités magiques. Je deviens lauréat en 2016, ce qui constitue une étape importante dans mon parcours professionnel.
La même année, je publie mon premier livre de magie : Inv3rsion. Ce livre propose une lecture originale d’un grand classique de la magie à travers le
prisme du groupe symétrique S₃. C’est une année charnière : je prends pleinement conscience qu’il existe une discipline à part entière que l’on nomme mathémagie.
Durant mes années d’enseignement au collège (de 2004 à 2016), je n’ai jamais cessé d’intégrer la magie dans mes cours, essentiellement par le biais de
la mathémagie. Elle me permet d’aborder de nombreux concepts mathématiques et me donne l’occasion d’enseigner de manière stimulante.
Durant toutes ces années, je conjugue mon métier d’enseignant avec de nombreuses prestations dans le domaine de la magie.
En 2016, j’obtiens ma mutation au lycée, ce qui marque une nouvelle étape dans mon parcours d’enseignant. La mathémagie continue de m’accompagner : elle
s’intègre naturellement à mes cours, non seulement comme outil de motivation, mais aussi comme levier de compréhension de concepts abstraits. Elle devient un vrai vecteur
pédagogique. Cette même année, je crée mon premier spectacle de mathémagie. C’est une manière de sortir des murs de la classe, de m’adresser
à un public plus large, tout en conservant cette articulation entre mathématique et magie.
Je poursuis en parallèle mes prestations magiques, principalement en close-up, tout en publiant deux nouveaux ouvrages : The elephant stack, The coffee
project . Ce va-et-vient constant entre la scène, la salle de classe et les lieux de représentation m’a permis d’affiner ma démarche : ne jamais dissocier la clarté d’un
raisonnement de l’effet qu’il peut produire.
En 2023, je franchis un nouveau cap : je suis certifié ADAGE, ce qui me permet d’intégrer pleinement mes propositions dans le cadre de l’Éducation
nationale via le Pass culture pro. Ma double activité prend alors une nouvelle dimension. Je propose un spectacle de mathémagie à destination des collégiens et lycéens, intitulé
Cerveau, mode d’emploi, ainsi que des ateliers de mathémagie pensés pour les établissements scolaires.
Le spectacle "Cerveau, mode d’emploi" est une synthèse de mes deux domaines de compétence. Il mêle des principes mathématiques et des effets magiques
pour interroger notre façon de penser, de percevoir et d’apprendre. Il éveille à la fois la curiosité scientifique et la capacité d’émerveillement du spectateur.
Les ateliers de mathémagie, quant
à eux, sont une projection directe des activités que je propose à mes élèves. Chaque atelier repose sur un tour de magie mathématique que les participants apprennent, analysent et
s’approprient. L’objectif est double : apprendre la structure d’un tour de magie et en retirer des outils transférables en classe.
J’ai également développé des ateliers spécifiques, notamment pour les lycées professionnels. Dans ce cadre, chaque élève apprend un tour de magie, puis, en lien avec les spécificités de sa filière, conçoit et fabrique son propre matériel de magicien. Ces ateliers valorisent les compétences techniques, tout en renforçant l’estime de soi et la prise de parole.
Quelles ont été les étapes de conception de votre cumul d’activité actuel d’organisation et d’animation de spectacles de mathémagie ?
Les choses se sont mises en place de manière assez naturelle. Je n’ai jamais envisagé la magie comme une rupture par rapport à mon métier d’enseignant,
mais plutôt comme une prolongation cohérente de ce que je cherche à transmettre : curiosité et plaisir intellectuel.
Avec les années, j’ai vu ces activités prendre de plus en plus d’ampleur. Le temps de création, d’écriture, de préparation technique, de déplacements…
tout cela demande une organisation rigoureuse, pensée sur le long terme. Il ne s’agit pas de tout faire, mais de faire des choix. Cela implique de savoir dire non : non à certaines
prestations trop éloignées géographiquement, non à certaines missions dans le métier d’enseignant qui pourraient nuire à l’équilibre global.
J’ai appris à me recentrer sur l’essentiel, en me fixant des objectifs clairs : écrire un nouveau livre, concevoir un nouveau spectacle, me former sur
un point technique précis en magie, approfondir une idée mathématique… C’est cette ligne directrice qui me permet d’avancer sans me disperser.
Un autre point fondamental a été d’apprendre à m’entourer. On ne peut pas tout faire seul, et il faut savoir reconnaître ses forces et ses
limites. À partir de là, je m’oriente vers les bonnes personnes : un graphiste pour donner vie à un livre, un webdesigner pour concevoir un site, un metteur en scène pour donner
corps à un spectacle. Cette coopération est précieuse et elle enrichit ce que je propose.
Comment ressentez-vous ce type de spectacle à chaque fois face à votre public ?
Monter sur scène reste à chaque fois un plaisir profond. C’est l’aboutissement d’un travail de fond, mais aussi une rencontre unique avec le
public. Chaque représentation est l’occasion de partager une réflexion, une surprise, un émerveillement. Ce qui me touche le plus, c’est de voir les visages
s’illuminer, d’entendre un "ah !" de compréhension ou d’étonnement. C’est là que tout prend sens : quand le spectacle devient à la fois un moment de magie, d’émotion et de
transmission.
Quels projets pédagogiques avez-vous pu mener dans votre carrière de professeur et dont vous êtes le plus fier ?
Deux projets me viennent immédiatement à l’esprit, et ce sont d’ailleurs parmi les plus anciens.
Il y a quelques années, alors que j’enseignais en classe de cinquième, nous avions mis en place les IDD (Itinéraires De Découverte). En
collaboration avec une professeure de français, nous avons construit un projet commun : de mon côté, j’explorais avec les élèves des tours de magie en mettant en avant les
éléments mathématiques et techniques ; de son côté, elle travaillait avec eux sur l’écriture d’un scénario et la mise en scène de chaque tour. L’objectif final était ambitieux et
motivant : proposer un véritable spectacle en fin d’année.
Par ailleurs, j’ai également travaillé pendant deux ans avec des élèves en ULIS. Le principe était de proposer chaque semaine un nouveau tour de magie
en lien avec les notions mathématiques abordées en classe. C’était un vrai défi : il fallait à chaque fois trouver ou créer un tour adapté au programme et au niveau des
élèves.
Si je choisis de parler de ces deux expériences, c’est sans doute parce qu’elles ont été fondatrices dans ce que je propose
aujourd'hui. Elles m'ont appris l'importance d’adapter chaque atelier au public concerné, de veiller à ce que chacun reparte avec le sentiment d’avoir appris, progressé et réussi
quelque chose. Endosser le rôle du magicien déclenche chez les élèves un sentiment très particulier : celui de posséder un secret, de maîtriser quelque chose que les autres
ignorent. Lorsqu’ils réalisent un tour de magie devant un public, ils vivent une expérience valorisante et unique qui renforce leur confiance en eux
Quelles compétences avez-vous développées durant tout votre parcours de carrière ?
Tout au long de mon parcours en tant qu’enseignant, j'ai développé des compétences essentielles à l'adaptation pédagogique et à la transmission des
savoirs. La pédagogie différenciée m’a permis d’ajuster mes approches à des publics très variés, allant des élèves du lycée général aux élèves en ULIS. J'ai également renforcé
mes capacités de gestion de groupe et de prise de parole en public, compétences indispensables en classe comme sur scène.
Parallèlement, ma pratique de la magie m’a conduit à développer d’autres compétences complémentaires. La création de contenu est au cœur de cette
activité, avec l’élaboration de tours originaux, de présentations adaptées et de scripts construits. Chaque atelier ou spectacle est aussi pensé comme un projet à part entière, ce qui
m’a amené à développer une solide compétence en gestion de projet, de la conception aux ajustements en cours de réalisation. Enfin, l’improvisation est devenue une
compétence précieuse : un public, qu’il soit jeune ou adulte, réserve toujours des réactions imprévisibles, ce qui impose d’être flexible et créatif à chaque instant.
Devenir formateur d’enseignant, inspecteur, chef d’établissement… est-ce un projet qui vous attire ?
Aujourd'hui, je ressens encore le besoin d’explorer pleinement la richesse du métier d’enseignant. Enseignant au lycée depuis 2016, je n'ai pas encore
eu l'opportunité d'intervenir dans toutes les sections proposées par mon établissement, ce qui me laisse de nombreux domaines à découvrir et à approfondir. À ce stade de ma carrière, je
ne me sens pas particulièrement attiré par un poste d’encadrement, que ce soit en tant qu’inspecteur ou chef d’établissement.
Avez-vous peur de vieillir dans ce métier ?
Le métier d'enseignant demande effectivement beaucoup d'énergie, tant sur le plan physique qu'intellectuel. Il nécessite une capacité constante
d'adaptation, de renouvellement et d'engagement face aux élèves. J'ai conscience que cet investissement quotidien peut devenir plus exigeant avec le temps. De plus, les dernières
réformes ont complexifié l’exercice du métier, en ajoutant de nouvelles contraintes et en renforçant la charge de travail. Cela rend naturellement plus légitime une certaine appréhension quant à
la manière dont on vieillit dans ce métier.
Que conseilleriez-vous aujourd’hui à une personne qui souhaite enseigner pour bien s’y préparer ?
Pour bien se préparer à ce métier, je conseillerais avant tout d’avoir une très grande maîtrise de son domaine d’enseignement. Cette solidité
disciplinaire est indispensable pour enseigner avec confiance et souplesse. Je recommande également, pour des raisons de reconnaissance professionnelle et d'opportunités de carrière,
d'intégrer le métier via le concours de l'agrégation. Par ailleurs, il est essentiel de cultiver sa curiosité bien au-delà du programme officiel, d'observer des
enseignants expérimentés, de lire, de tester différentes approches et de ne pas avoir peur de se tromper. C’est en expérimentant, en ajustant et en restant ouvert que l’on
construit une posture d’enseignant épanouie et durable.
Que conseilleriez-vous à un enseignant qui souhaite quitter définitivement son métier ?
Ne souhaitant pas moi-même quitter ce métier, je ne me considère pas forcément comme le mieux placé pour donner des conseils en la matière. Toutefois,
ma double activité, entre enseignement et spectacle vivant, me permet d’avoir un regard différent sur la question. Il s’agit d’équilibre en ce qui me concerne. Peut être aller
vers moins d’enseignement et plus de math et magie.
Son site web (pour découvrir la palette de ses prestations)
Deux de ses ouvrages: Inv3rsion - The Elephant
Stack -
- un extrait ci-dessous -
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