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La pénurie de professeurs touche l'Europe et au-delà


Le hussard noir de la République en France, c'est le fantasme de certains politiques restés ancrés dans le XIXè siècle, au moment où tous les professeurs étaient respectés et obéissaient au doigt et à l'oeil, dans un système scolaire où à peine 20% des élèves atteignaient un Bac très sélectif pour réaliser des études supérieures.

 

 

Un métier victime des politiques publiques

 

Deux siècles plus tard, avec des politiques toutes différentes les unes des autres, sans véritable continuité, avec un esprit réformiste toujours prononcé, chaque ministre rêvant de marquer son passage à la tête d'une administration gigantesque, l'Education nationale conduit jusqu'à plus de 80% d'une classe d'âge au Bac, objectif fixé par des politiciens qui ont commandé à l'Education nationale que tout soit fait pour les atteindre.

 

Des générations de professeurs ont dû réduire leurs exigences progressivement, accepter de remonter certaines notes, renoncé à la dignité de leur métier, à leur expertise, pour que la logique comptable des meilleurs résultats possibles, triomphe.

 

Et maintenant, on manque de professeurs en France, le métier attire moins de bons étudiants, est-ce bien étonnant ?

 

Un métier mal payé, délaissé par les politiciens de tous bords

 

Les gouvernements qui se sont succédé sous la Ve République ont toujours repoussé à plus tard la revalorisation que les professeurs auraient dû obtenir à chaque nouveau Ministre de l'Education, comme ce que les cadres administratifs, de direction et d'inspection ont, eux obtenue. Leurs indices et leurs primes leur accordent 2 à 4 fois le salaire d'un professeur et désormais, un professeur titulaire a tout intérêt à rester le moins de temps possible enseigner pour grimper le plus vite possible dans les fonctions administratives pour un meilleur salaire, et des responsabilités, plutôt que de se contenter d'être traité comme un exécutant.

 

Il aurait fallu inscrire dans la Constitution l'obligation de maintenir le pouvoir d'achat des professeurs, avec une programmation sur le long terme, pour qu'ils ne perdent pas en pouvoir d'achat. 

 

Les 867.000 professeurs du Public et du Privé sous contrat forment tous les citoyens de France, c'est grâce à leur savoir-faire et leurs savoir-être avec les élèves que se construit la Nation Française.

 

Mais cette élite passée par l'Ecole, qu'elle ait décidé de rejoindre la haute fonction publique ou de se faire élire, a eu tendance à l'oublier.

 

25 à 30% de perte de pouvoir d'achat depuis 30 ans ne seront jamais compensés car le cumul des sommes perdues par chaque professeur, c'est définitivement un manque à gagner qui les a relégués au banc de la société malgré leur Bac+5. La revalorisation des politiques s'est trompée de voie dans les années 2008-2011 en élevant au niveau d'un Master2 l'entrée dans ce métier qui n'est plus depuis longtemps le "plus beau du monde", mais seulement l'un d'entre eux. D'autres métiers l'ont sérieusement dépassé depuis, plus calmes, nettement mieux payés, avec plus de considération et d'avantages sociaux.

 

La France voudrait continuer de fonctionner avec ses schémas du XIXè siècle, confortée par des syndicats qui ne veulent rien changer, eux non plus, puisque jusqu'à la loi Dussopt du 6 août 2019, ils assuraient une forme de co-gestion des promotions et des mutations, très inégalitaire puisqu'elle favorisait leurs adhérents au détriment de ceux qui ne l'étaient pas.

 

Et l'Etat français d'appeler ça le "dialogue social".

 

D'autres pays d'Europe sont concernés, alors que les salaires versés aux professeurs y sont nettement plus élevés

 

La Belgique, l'Allemagne, la Suisse, sont eux aussi touchés par des pénuries de professeurs alors que leurs salaires sont nettement plus élevés, 2 à 3,5 fois supérieurs en début comme en fin de carrière à ceux des professeurs en France. Et pourtant il manque des candidats.

 

Donc le problème n'est pas que salarial.

 

Comment résoudre ce problème d'attractivité du métier de professeur en France ?

 

Dans une société où les entreprises facilitent la flexibilité avec des entrées/sorties 12 mois sur 12, l'Education nationale agit telle un dinosaure, pire qu'un Mammouth tant cité ces dernières années. Même l'ouvrage d'un ancien Directeur de l'enseignement scolaire (1998), Bernard Toulemonde, n'y a rien changé, en 2017.

 

Il est toujours impossible aux professeurs titulaires en France de réaliser leur départ de ce métier en-dehors du seul 1er septembre, et encore, quand leur académie ne les bloque pas par une nécessité de service !

 

Sur ce fil Linkedin, viens contribuer avec ton expérience du métier de professeur, à la réflexion que nous lançons sur la question internationale du manque d'attractivité du métier de professeur (même dans les pays qui les paient 3 fois plus qu'en France, comme la Suisse).

Et tout se sait au 21e siècle sur les réseaux sociaux, et ce que l'Education nationale française n'a pas pu empêcher, c'est la libération phénoménale de la souffrance des professeurs sur les groupes privés sur Facebook, Instagram, sur des comptes Twitter, des Pages Publiques Facebook, sur You Tube, sur Tik-Tok, sur des groupes parfois nés d'une parole maladroite d'un politique ("800.000 feignasses") jusqu'aux "Stylos Rouges" qui ont pris des proportions importantes et ont fini par conduire le système à s'inquiéter.

 

 

Oui, il y a "le feu au lac" et tout réside dans la capacité de l'administration de l'Education nationale à transformer radicalement son mode de management en réduisant de manière importante sa politique de verrouillage des départs, au lieu de ne favoriser que les entrées.

Qui, avec Bac+5 en France, a envie de s'engager dans un métier dont il lui sera très difficile de repartir, malmené dans un véritable parcours du combattant ? C'est ce que de nombreux témoignages évoquent sur la Toile, mais qui ne remontent pas encore assez dans les moteurs de recherche, ça viendra sous peu, certainement...

L'attractivité reviendra lorsque l'administration dans son entier aura su renouer ce lien indispensable de confiance avec ceux qu'elle gère, et sans qui, elle n'existerait pas. Au lieu de traiter les professeurs comme des bouche-trous, des larbins, des exécutants, de les sous-payer, de chercher à leur imposer toujours plus de tâches supplémentaires, et de leur imposer de devoir rester lorsqu'ils veulent partir, il faut absolument qu'elle fasse son introspection sur ses pratiques managériales, désavoue ceux de ses cadres qui ont un comportement toxique et autoritariste envers les professeurs.

 

La GRH qui s'adresse aux professeurs doit devenir plus souple dans leurs désirs de mobilité professionnelle. Elle doit savoir anticiper sur plusieurs années les départs en retraite au lieu de les traiter au fil de l'année en cours. Elle doit recruter de plus en plus de contractuels pour adapter sa masse à l'évolution de la masse des élèves, au lieu de recruter le plus de fonctionnaires possibles.

 

La loi Dussopt du 6 août 2019 a introduit la possibilité de contrats de 2 à 6 ans. Une manière de fidéliser et pérenniser tous les professeurs volontaires qui préféreront cette souplesse, tout en ayant la garantie d'un renouvellement possible du contrat.

 

Si l'Etat garantit lors de ces contrats la même progression indiciaire que les titulaires en se basant sur les grilles des Professeurs des Ecoles et des Professeurs Certifiés, elle aurait enfin une Gestion des Ressources Humaines plus respectueuse des attentes et besoins de mobilité des personnes, au lieu de conserver toutes les rigidités d'un autre âge qui sont les siennes.

 

C'est de cette manière que l'Education nationale saura s'adapter à ce que vivent les entreprises privées, et à la post-crise sanitaire (2020-2022) qui fait la part belle au télétravail des cadres, avec peut-être la semaine de 4 jours, à tel point que bientôt, les cadres du privé auront le sentiment d'avoir plus de temps libre que les professeurs (leur travail forcé à la maison pour la moitié de leur temps de travail, leurs 14 semaines de congés dont la moitié est rongée par la conception de leurs cours et la correction de leurs copies, n'intéressent pas les cadres qui peuvent en télétravaillant, avoir de bien meilleures conditions de vie, sans compter les inquiétudes et conflits générés par leurs élèves et leurs parents, jamais simples à régler).

 

Tant que la France, l'Etat, ne s'attaquera pas au coeur du problème, la pénurie perdurera puisque les classes d'âge les plus nombreuses à partir en retraite se situent en ce moment, depuis 2010 au moins et jusqu'en 2035 au moins.

 

Et la souffrance au travail continuera d'augmenter, avec le problème que pose la pénibilité des fins de carrières à partir de 60 ans, les réformes des retraites depuis 2011 ayant supprimé la Cessation Progressive d'Activité pour les fonctionnaires, alors qu'elle perdure dans les grandes entreprises publiques comme EDF, Orange, etc.

 

Dans les autres pays européens le problème se pose moins, puisque leur Gestion de Ressources Humaines sait libérer les professeurs de leur emploi avec un préavis de 1 à 3 mois en cours d'année scolaire.

 

Le risque pour la France est de ne plus attirer que des professeurs mal formés, au niveau moins exigeant que par le passé, tandis que les meilleurs étudiants iront grossir les rangs des professeurs dans les pays qui les paieront le mieux: Belgique, Allemagne, Luxembourg, Suisse, et même Canada. 

 

Le papy-boom est là, et si l'Education nationale tarde à réagir, c'est une des évolutions possibles, qu'elle ne pourra pas empêcher.

 

 

Mais que l'on se rassure: l'élite de se pays trouvera toujours dans des écoles privées chères et prestigieuses des professeurs triés sur le volet pour garantir à sa progéniture un enseignement de qualité pour que leur lignée se prolonge à la tête des grandes entreprises ou des grands corps de l'Etat.


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