
Nadine ESQUERRE-BOUCHER, professeur de Lettres Modernes pendant 25 ans, a démissionné avec une I.D.V pour devenir écrivain public et biographe
Interview deRémi BOYER de l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°156 d’octobre 2014 sur le Café Pédagogique.
Quel a été votre parcours de carrière depuis la fin de vos études jusqu'au seuil de votre reconversion ?
Après des études d'assistante de service social que j'avais entreprises pour pouvoir être autonome rapidement, j'ai travaillé durant quatre ans dans ce secteur. Parallèlement, j'ai repris des études de lettres modernes par correspondance, plus par intérêt pour la matière que pour envisager une reconversion. J'ai entamé une maîtrise, mais mener les études et le travail de front devenait de plus en plus difficile. Je ne me sentais pas à ma place dans le social et j'ai décidé de prendre une année de réflexion en demandant une disponibilité pour partir une année à l'étranger en tant qu'assistante de langue française en Écosse. De retour en France, j'ai demandé un poste de maîtresse auxiliaire et j'ai préparé le CAPES.
C'est ainsi que je suis devenue professeure de français, en lycée puis en collège pendant vingt-cinq ans. J'ai notamment animé un atelier cinéma, des ateliers théâtre, et je me suis occupée d'enfants dyslexiques. J'ai toujours suivi des formations, car j'aime apprendre, un diplôme universitaire d'études cinématographiques, une licence de sciences de l'éducation et une formation à la relation d'aide entre autres. Enfin, j'ai pensé à une reconversion et j'ai préparé la formation d'écrivain public avec le CNED.
Pourquoi aviez-vous eu envie de devenir enseignant(e) ? Qu'avez-vous aimé/détesté dans ce métier ?
Je pense que j'ai eu envie de devenir enseignante par intérêt pour le français plus que par désir de transmettre. Et puis, je vais oser le dire, parce que je voulais changer le monde ! Enfin, je viens d'une famille d'enseignants et je ne me croyais pas capable d'autre chose...
J'ai aimé une certaine liberté du métier, le fait de se retrouver seule dans sa classe, de pouvoir varier les livres à étudier, de pouvoir mettre en place des projets. J'ai apprécié aussi le fait de pouvoir organiser mon temps assez librement.
J'aimais beaucoup le contact avec les parents, surtout en début de carrière, j'y passais beaucoup de temps. J'appréciais les activités que je menais en plus de mon enseignement de français, l'aspect culturel que je pouvais apporter. Mais, dès le début, j'ai été gênée par la difficulté de travailler en équipe, ce que j'avais beaucoup apprécié en consultation médico-psychologique quand j'étais assistante sociale. Je me suis vite heurtée à des collègues que je trouvais peu ouverts, j'ai mal vécu une mesure de carte scolaire qui m'éloignait d'un établissement au sein duquel je m'étais beaucoup investie, j'ai été très déçue de constater qu'un projet et une formation que j'avais mis en place pour les élèves dyslexiques n'étaient pas du tout acceptés par certains collègues et étaient mis à mal par ma hiérarchie qui ne connaissait rien au problème et qui refusait de nous donner les moyens nécessaires et de composer les classes en fonction de ce problème.
Je me sentais instrumentalisée, l'établissement mettait en avant un accueil pour ces enfants alors qu'en réalité, rien n'était vraiment mis en place pour les recevoir. J'ai enfin détesté la langue de bois qui est de mise en réunion et la différence entre les discours et la réalité. Je ne pouvais pas accepter par exemple qu'on nous demande de valider des compétences alors qu'en fin d'année, tout le monde était validé par l'administration. Je n'ai pas aimé me rendre compte que je ne réussissais pas à vraiment aider les élèves, que je devenais de moins en moins patiente et qu'il était de bon ton de ne jamais évoquer les problèmes. Enfin, mes propres enfants, précoces, n'ont pas été acceptés par l'EN et découvrir que nous ne réussissions ni avec les meilleurs ni avec les élèves en difficulté a été plus que déstabilisant.
Quelles compétences, qui vous sont utiles aujourd'hui, avez-vous développées dans votre pratique quotidienne ?
C'est une question difficile, les enseignants ont du mal à se rendre compte de leurs compétences. Je rédigeais souvent des projets, ce qui m'aide aujourd'hui à en présenter à d'éventuels clients, lorsque je prospecte pour un atelier d'écriture, par exemple. J'ai développé mes capacités d'écoute avec les parents d'élèves, ce qui me sert beaucoup dans mon métier de biographe.
En ce qui concerne le français, j'ai un niveau en orthographe qui me permet de trouver du travail de correctrice, le fait d'avoir toujours enseigné cette matière m'a donné cette compétence. Je suis en mesure de travailler avec des professeurs des écoles pour bâtir des projets d'écriture longue avec leurs élèves, car j'aimais beaucoup enseigner cette partie du français. Je peux animer des groupes, ce que l'enseignement m'a évidemment appris.
Pour avoir cotoyé de nombreux enseignants, comment perçoivent-ils la reconversion professionnelle ?
Dans les établissements, la reconversion professionnelle est souvent considérée comme une « chance » ou comme une folie, même si je caricature un peu, je ne crois pas être loin de la vérité.
Une chance, parce que beaucoup vont toujours se trouver toutes les excuses pour ne même pas envisager cette perspective. S'ils sont seuls, ils ne le font pas parce qu'ils n'ont qu'un salaire, s'ils ont des enfants, il y a les études, s'ils vivent à deux, le conjoint ne gagne pas assez, etc.
Enfin, ils ne voient pas du tout ce qu'ils pourraient faire d'autre. Certains admettent aussi qu'ils ne sont pas prêts à renoncer à leurs vacances et au salaire. Je pense que toutes ces raisons ne sont que des leurres et je crois que beaucoup ont peur d'aller vers d'autres mondes dont ils n'ont souvent aucune expérience.
En ce qui concerne l'administration, je ne peux pas vraiment répondre, je n'ai eu aucun retour de ma hiérarchie qui affiche une indifférence polie et distante. J'ai rencontré des personnes, une conseillère en mobilité notamment qui semblait très effrayée par la perspective d'une démission et n'avait pas du tout compris que je n'avais strictement rien à faire de « ma carrière ». Je ne sais pas si cela est juste, mais je ressens toujours une certaine méfiance de l'administration lorsqu'on parle de reconversion.
Quelles démarches avez-vous entreprises pour réussir ce changement ? Notamment, avez-vous démissionné avec une IDV ?
Je pensais prendre un mi-temps pour consacrer une partie de mon activité professionnelle à ma création d'entreprise, mais les choses se sont précipitées, j'ai fait un «burnout» (= syndrome d'épuisement professionnel) et il est très vite apparu que si je voulais aller mieux, il n'était plus question que je remette les pieds à l'Éducation nationale.
Après un arrêt maladie, j'ai obtenu une disponibilité pour création d'entreprise et j'ai démissionné six mois après pour percevoir l'IDV et ne plus être en relation avec l'EN. Pendant mon arrêt, j'ai rencontré une conseillère en mobilité et le RAPE, réseau d'aide au personnel enseignant de Lille. J'y ai obtenu beaucoup d'informations concernant des possibilités de reconversion, mais j'avais déjà mon projet en tête et je ne voulais plus de hiérarchie. Une profession libérale me convenait tout à fait. Je précise que l'Éducation nationale m'a réclamé plusieurs fois et même encore en 2014 des preuves de l'existence de l'entreprise. Je vais aussi devoir rembourser une partie de l'indemnité : 2.700 € sur 48.000 € à la suite d'une erreur de calcul du rectorat, erreur qui résulte d'un retard de paiement de leurs services et d'une somme que j'ai pourtant perçue, mais en retard. Elle n'a donc selon eux pas à figurer dans le calcul. J'ai mal vécu ces différentes demandes, ayant la désagréable impression d'être encore harcelée par l'EN. Pour la création d'entreprise, j'ai été accompagnée par une Boutique de Gestion : BGE Hauts de France.
Quelle est actuellement votre activité professionnelle et quels services y proposez-vous ?
Je suis à la fois écrivain public, biographe, correctrice et formatrice en langue étrangère. J'aide les particuliers à rédiger des lettres, j'écris leur autobiographie, j'anime des ateliers d'écriture dans les médiathèques, les associations et en milieu scolaire, je fais de la correction et de la rédaction pour des sites web et des éditeurs, je présente des ouvrages de sciences humaines dans une revue, et enfin, j'assure de temps en temps des cours de français aux étrangers.
J'ai créé mon auto-entreprise en 2012 : Par les Chemins de Plume
Devenir adhérent d'Aide aux Profs, ça signifie quoi selon vous ? Que pensez-vous apporter à votre tour à ce dispositif ?
Devenir adhérente d'AIDE AUX PROFS, c'est avant tout faire partager mon expérience à d'autres, montrer que oui, il est possible de se reconvertir, et que c'est même selon moi une décision sensée, lorsque l'on ne supporte plus le métier d'enseignant.
Depuis trois ans, je reçois régulièrement des demandes de personnes qui se posent la question de la reconversion et j'aime être à leur écoute pour y répondre. Au-delà de la problématique enseignante, je suis persuadée que le monde irait mieux si chacun réussissait à trouver la place qui lui convient et à oser. J'avais failli un temps me reconvertir dans la relation d'aide et je pense que cette activité me permet d'assouvir cette envie. Il s'agit de témoigner, sans juger ou imposer ses convictions et j'aime pratiquer cette forme d'aide.
Le 6 mai 2015 au 2e Colloque d'AIDE AUX PROFS à Paris, Nadine ESQUERRE-BOUCHER témoignait devant plus de 180 professeurs présents pour cet évènement national de notre dispositif:
Pour devenir Biographe, tu peux obtenir une remise intéressante auprès d'une ancienne enseignante, Julie GAAB, partenaire d'AIDE AUX PROFS, qui exerce la profession de Biographe.
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