
Marian BARRANTES, professeur de Lettres, est devenue Marian LI, comédienne
Interview de Rémi BOYER de l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°162 de mai 2015 sur le Café Pédagogique.
Replacez-vous au moment de votre choix de devenir enseignante :
En fait ce n'est pas un vrai choix, ca m'est tombé dessus. Je faisais des études de Lettres, je me destinais à la recherche. J'étais en DEA de littérature comparée et j'ai décidé de passer le CAPES juste pour voir et, à ma grande surprise, je l'ai obtenu ! J'ai donc obtenu un poste et au bout de 2 ans j'ai eu envie de partir à l'étranger. Je suis partie au Costa Rica. J'y suis restée 10 ans, j'enseignais au Lycée Français de San José.
A quel moment de votre carrière avez-vous eu envie de partir ?
Après 2 ou 3 ans d'enseignement. Je m'étais dit que j'allais enseigner quelques années et ensuite essayer de changer de voie. Cependant, enseigner dans les lycées français à l'étranger c'était très agréable, même si j'avais toujours envie de faire autre chose ; je suis donc restée 10 ans dans ce poste ! Pendant ces années d'enseignement j'ai continué à développer des compétences que j'avais déjà avant d'enseigner, mes véritables passions: la danse, le cinéma, le théâtre et les cours de chant, j'ai toujours eu beaucoup d'activités artistiques car impossible pour moi d'imaginer la vie sans la scène. Une fois la routine bien installée, je n'avais pas envie de rentrer en France pour être enseignante. Puis, des évènements personnels douloureux ont fait office d'éléments déclencheurs, je n'avais plus d'attaches, plus de passion, j'ai donc vendu tout ce que j'avais, je me suis mise en disponibilité et je suis rentrée à Paris.
Quels ont été les obstacles pour vous reconvertir ? Quels ont été les besoins ?
Ma situation personnelle était difficile à vivre. J'ai donc contacté une thérapeute que je connaissais et elle m'a aidée à faire des choix. Je ne savais pas quoi faire, être actrice était une utopie que je n'osais même pas imaginer, même si mon agent artistique à Paris me conseillait de m'y installer pour pouvoir passer des auditions.
Ma thérapeute m'a donc demandé, en dehors de toute considération matérielle, ce que j'aimerais faire et je lui ai dit « actrice professionnelle à Paris». Elle m'a demandé ce qui m'empêchait de le faire et je lui ai répondu « l'argent ». Elle m'a conseillé de rentrer chez moi et de faire mes comptes. Ce que j'ai fait, et je me suis aperçu qu'en vendant tout, et avec l'argent de côté que j'avais, je pouvais vivre pendant 6 mois à Paris sans emploi. Je suis donc arrivée avec deux valises seulement à Paris.
Afin de ne pas arriver dans le vide, je me suis inscrite à une école d'acteurs. Je suis donc redevenue étudiante, j'ai dû trouver des jobs alimentaires : assistante commerciale, traductrice de sites web, agent de billetterie du Musée du Grand Palais, là même ou je me rendais en tant que « savante », je vendais des billets aux groupes scolaires !
Un jour, j'ai appris que chez Luc BESSON, à la Cité du Cinéma, ils recherchaient une hôtesse d'accueil sachant parler plusieurs langues, et comme j'en parle quatre, j'ai candidaté et obtenu le poste. Un travail à temps partiel, payée le SMIC, le soir jusqu'à 21 heures pendant 1 an- 1 an et demi.
J'ai fini mon école de théâtre, j'ai tourné dans pas mal de pubs TV, séries TV et court-métrages. Parallèlement, je continuais à passer des castings et à développer mes projets personnels (une pièce de théâtre et un groupe de rock, car je suis également chanteuse). Puis, toujours chez BESSON, on m'a proposé un poste d'Assistante de Production, que j'ai accepté un peu contre ma volonté, mais il fallait bien manger et payer les factures ! Je suis restée 6 mois, et au bout de 6 mois j'éprouvais la même chose qu'en étant prof, j'étais enfermée dans un bureau, les conditions de travail étaient difficiles, et j'avais moins le temps pour mes projets artistiques.
Heureusement, un théâtre a fini par s'intéresser à mon projet de monologue et m'a proposé plusieurs dates. Du coup, je n'ai pas renouvelé mon CDD chez BESSON et aujourd'hui (en 2015) je suis au chômage (et très heureuse de l'être !). En effet, j'ai joué deux fois par semaine mon Seule en Scène « Baby-Boom au Paradis », un monologue comique sur le thème de la grossesse, qui s'est arrêté le 31 mars 2015 au Théâtre du Ricochet dans le 15e arrondissement de Paris.
Depuis combien de temps êtes-vous reconvertie ?
Ça fait 3 ans que je suis en disponibilité.
Y a-t-il des inconvénients à votre nouvelle carrière ?
Financièrement c'est certes difficile mais je suis la personne la plus heureuse au monde. Je ne mène plus du tout le même train de vie qu'avant, mais ma vie actuelle est mille fois plus riche. J'ai vécu des expériences incroyables : travailler pour Luc BESSON, rencontrer Robert DE NIRO, Kevin COSTNER, être coach d'espagnol de Scarlett JOHANSSON, entre autres ! Des choses que je n'aurais jamais vécues si j'étais restée certifiée de Lettres.
J'ai aussi connu le monde de l'entreprise et je me rends compte que le secteur privé me convient bien mieux que le public. Ça m'a donné envie de créer ma propre structure de production de spectacles. Comédienne est un métier dur et comme 99% des comédiens je galère pour me faire connaître. Surtout en tant que femme car il y a deux fois moins de rôles pour des femmes que pour des hommes. Je tente d'élargir mon réseau dans le domaine depuis 3 ans, il n'y a que ça qui marche, envoyer des CV ne sert à rien. Je suis bien placée pour le savoir puisque j'ai travaillé des deux côtés de la barrière.
Quelle est votre nouvelle activité ? Est-elle définitive ?
J'ai été récemment pendant 2 mois en représentation au théâtre du Ricochet avec mon spectacle : « Baby-Boom au Paradis ». Mon metteur en scène, je l'ai rencontré à la Cité du Cinéma, c'est un ami de Luc BESSON. Par ailleurs, cette année de chômage je veux absolument la consacrer à développer mes projets personnels de théâtre, cinéma et musique, à créer ma propre structure de production. Mon objectif ultime à long terme étant d'aider les artistes femmes à développer leurs projets dans un marché qui est curieusement encore de nos jours très hermétique à la parité. En parallèle, je travaille également avec mon groupe de rock, dont je suis la leader et la chanteuse et nous aimerions faire des versions rock de tubes d'un autre genre que le rock, dans les petits bars. Et puis je suis en attente d'une formation financée par Pôle Emploi sur l'accompagnement des artistes.
J'ai fait un vrai choix de vie, un choix intime, je suis née pour être actrice. Lorsque j'étais prof, j'étais malheureuse et frustrée, j'ai voulu faire comme tout le monde : avoir un travail « normal » et avoir un salaire tous les mois, mais le naturel m'a rattrapée.
On ne peut pas nier qui on est fondamentalement, et moi, je suis résolument artiste. Aujourd'hui je ne roule pas sur l'or, je ne connais plus la stabilité matérielle, mais je suis dix fois plus heureuse et plus en accord avec moi-même qu'avant.
NDLR 2025: Marian BARRANTES nous a recontacté au moment où elle souhaitait bénéficier d'une IDV, mais étant alors en disponibilité depuis 3 ans, cela n'était pas possible. Elle s'est donc résolue dans un premier temps à obtenir le prolongement de sa disponibilité pour convenances personnelles jusqu'au maximum des 10 ans, en retournant au Costa-Rica où elle vit toujours. Elle y alterne entre activités d'enseignement et activités d'artiste de la scène.
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