
Audrey RAPICAULT, professeur des écoles pendant 12 ans, a démissionné en obtenant une I.D.V pour créer son entreprise
Interview de Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°156 d’octobre 2014 sur le Café Pédagogique.
Quel a été votre parcours de carrière depuis la fin de vos études jusqu'au seuil de votre reconversion ?
Eh bien j'ai préparé le CRPE par le CNED. Je l'ai obtenu la première fois, je suis entrée en formation à l'IUFM de Tours Fondettes. Ma formation s'est bien passée, les stages que j'ai réalisés m'ont conforté dans mon choix. J'ai obtenu mon premier poste dans le Loiret à La Chapelle Saint Mesmin, à 1h15 de chez moi puisque j'habitais dans l'Indre et Loire. Tout s'est bien passé, l'équipe était super, j'ai réalisé ma première classe de découverte : 15 jours au printemps à Combloux avec des CM, c'était vraiment bien. J'ai réussi à réintégrer l'Indre et Loire à la rentrée suivante : un quadruple niveau (CP/CE1/CE2/CM1) avec la direction ! Une nouvelle difficile à digérer mais j'étais heureuse de rentrer. Finalement je me suis retrouvée dans un petit village et surprise ma collègue, nous n'étions que deux, c'était une ancienne camarade de l'IUFM. Tout s'est très bien passé, une école sympa, des parents sympas et une équipe municipale très axée sur l'école, donc très bien. Mais bien sûr je n'étais pas titulaire de mon poste (à cause de la direction), il a donc fallu que je participe au mouvement, les parents ont fait des courriers à l'IA pour que je reste mais.... La règle s'est la règle ! L'inspectrice de ma circonscription m'a donc contactée afin de m'indiquer des postes susceptibles de m'intéresser.
J'ai suivi son conseil et je me suis retrouvée directrice d'une école de 3 classes, avec un triple niveau, le cycle 3 et 29 élèves ! Ce que j'ignorais c'est que le directeur que je remplaçais était là depuis 1973, une institution, et que toute l'équipe était partie après de gros soucis avec les parents et la mairie. Bref, je me suis retrouvée dans un nid de guêpes ! Une expérience horrible, avec des parents vraiment haineux pour certains. J'ai donc demandé une habilitation pour la direction d'école (puisque j'étais directrice faisant fonction depuis 2 ans), que j'ai obtenue et j'ai ainsi pu re-participer au mouvement pour obtenir la direction de l'école que j'avais quittée auparavant. Je suis donc revenue dans « mon école » avec ma collègue et j'y suis restée pendant 9 ans. L'école a grandi, 4 classes quand je suis partie. Les collègues ont changé.
La situation est devenue plus difficile : la construction d'un lotissement (en zone rurale) nous a fait accueillir des élèves plus difficiles, nous avions également beaucoup de gens du voyage, et un élève d'ITEP, bref des conditions qui se sont durcies.... J'ai donc décidé, après avoir fait deux enfants, que les journées de 11 heures à l'école ne me convenaient plus, donc j'ai participé au mouvement, j'ai laissé tomber la direction et j'ai choisi une petite école à 10 minutes de chez moi. Ce choix n'a pas été bénéfique, la motivation était partie et du coup j'ai laissé tomber la direction pour n'être « plus que » enseignante, cela a participé à cette démotivation, mais du coup m'a confortée dans l'idée que j'avais envie de faire autre chose.
Pourquoi aviez-vous eu envie de devenir enseignante ? Qu'avez-vous aimé/détesté dans ce métier ?
J'ai eu envie de devenir enseignante par hasard ! En fait après ma licence de psychologie, j'ai travaillé à droite, à gauche et c'était l'époque des emplois jeunes. J'avais entendu parler des emplois jeunes dans l'Education Nationale, je me suis donc inscrite pour un entretien. J'ai passé un entretien et on m'a recontactée, peut-être 6 mois après pour me demander si cela m'intéressait toujours, j'ai dit que oui, et voilà à la rentrée suivante, je me suis retrouvée avec un autre emploi jeune, chargée de créer, d'informatiser, puis de faire vivre une BCD dans une école primaire. Et là, j'ai rencontré des enseignantes formidables qui m'ont intégré à leur projets pédagogiques (classe PAC, création d'un livre documentaire), toute l'équipe a même pris sur son budget perso pour que l'on puisse avoir le nôtre pour mener à bien nos projets.
J'ai donc, pendant cette période, découvert le métier, je n'y avais pas du tout pensé avant. Je ne fais pas partie de ceux qui avaient la vocation depuis toujours. Je me suis donc inscrite au CNED, via le dispositif emploi jeune et voilà ! Ce que j'ai aimé, gérer la classe, préparer, chercher de nouvelles idées, les nouveautés, comme l'arrivée des TNI. Les projets avec les élèves. Parfois je ressentais un sentiment étrange, quand tout le monde est dans la classe, en train de travailler, que tout est calme, on ressent un sentiment de « bonheur », de quiétude, qui était très agréable. Ce que je détestais : les conflits avec les parents, les conflits avec les élèves, quand il faut se réunir avec des tas de personnes à propos d'un élève mais que la langue de bois, le fait de ne devoir blesser personne, fait que rien ne sortira si ce n'est le fait que l'enseignant doit adapter sa méthode pour accueillir au mieux cet enfant. Adapter, sans moyen, sans personnels, sans aide mais « comme c'est quelqu'un d'intelligent elle y arrivera et sinon c'est peut-être qu'elle n'est pas faite pour ce métier ! » Bref durant tous ces moments où on est seul, et que l'on se rend compte qu'on ne fait rien finalement pour aider tous ces élèves, tous ces gens qui ont besoin d'aide et que finalement l'école est très bien pour tout ceux qui s'en sortent et qui finalement n'en n'ont pas vraiment besoin. Donc finalement les enseignants ont le sentiment, de travailler, d'œuvrer pour leurs élèves et pour leurs collègues (en tant que directrice) sans que personne ne s'en rende compte. La hiérarchie est inexistante au quotidien. J'ai détesté le sentiment de ne pas travailler pour ceux qui en avait vraiment besoin, j'ai détesté le manque de cohérence dans ce que l'on nous imposait, j'ai détesté le manque de reconnaissance : que l'on travaille tout juste le nombre d'heures en présence ou que l'on travaille 11 heures par jour, pas de différence.
Quelles compétences, qui vous sont utiles aujourd'hui, avez-vous développées dans votre pratique quotidienne ?
La première qui me vient à l'esprit, est celle que j'utilisais tous les jours : la faculté de parler en public, de me faire comprendre ! Les élèves constituent un public et au départ c'est impressionnant !
Réussir à capter l'attention, ne pas avoir peur de prendre la parole en public, cela est utile, très utile ! Ensuite la rigueur, dans la gestion des dossiers, la somme d'administratif que l'on est capable de traiter, le fait de monter des dossiers, d'aller chercher l'information là ou elle est, lire les textes officiels, les comprendre, tout ceci fait partie du quotidien de l'enseignant et du directeur, il faut beaucoup d'organisation que j'ai développée pendant mes années, de directrice et d'enseignante. Mais également la gestion du temps et une organisation sans faille : quand on a un quadruple niveau plus une direction d'école, on n'a pas de temps à perdre ! Du coup cette faculté de travailler, beaucoup, seule, me permet aujourd'hui de reprendre des études à distance et très longues sans que j'aie besoin que l'on me remotive toutes les semaines ! Et une qualité indispensable dans beaucoup de métier, c'est le dialogue, la rencontre, le débat, indispensable lorsque l'on est enseignant, la faculté de réussir à expliquer des choses, aux parents, aux intervenants.
Pour avoir côtoyé de nombreux enseignants, comment perçoivent-ils la reconversion professionnelle ?
Eh bien je ne sais pas trop. En fait, on n'en parle pas ! Jamais, comme si cela n'était pas possible comme si cela n'existait pas. En fait on a tendance à « dénigrer » ceux qui ne peuvent plus tenir une classe, l'enseignant dépressif... On a tendance à se moquer de lui. En fait je pense que les enseignants n'ont pas le sentiment qu'ils peuvent faire autre chose, tout simplement, ils ont appris ce métier, point. Moi, j'ai commencé à en parler quand j'ai su que j'allais partir et en fait, là les langues se délient.... « Tu as de la chance, moi j'aimerai bien... » « Dans telle école y'a untel qui aimerait bien aussi... » Et on se rend compte que finalement un tas d'enseignants n'a plus envie d'enseigner, pour qui c'est devenu trop dur. Les gens que je revois maintenant m'interrogent : « et alors c'était le bon choix ? Tu ne regrettes pas ? » Et on se confie, moi aussi je ne me vois pas faire ça toute ma vie, jusqu'à la retraite c'est trop dur....
Du point de vue de l'administration, eh bien mon inspecteur, m'a étonné... Quand je lui ai demandé un entretien pour l'avertir de mon souhait de quitter l'EN et de demander une IDV, il m'a dit : « ah bon, ca existe ? Il y a vraiment des gens qui démissionnent ? Vous êtes sûr ? J'en ai jamais entendu parler ! » Voila tout était dit, et je me suis dit : il m'a donc proposé de venir m'inspecter, peut-être que j'avais des difficultés en classe (en fait je lui avais demandé de venir l'année d'avant car cela faisait 5 ans que je n'avais vu personne). Je lui ai dit qu'il pouvait venir, que je n'avais pas de difficultés mais que je n'avais juste plus envie de faire ce métier. Il m'a donc dit que je pouvais devenir chef d'établissement ou IEN. On s'est donc quittés là et il n'est pas venu dans ma classe. Du côté de l'Inspection Académique, que j'ai contacté pour savoir à qui et comment demander mon IDV, un tout autre accueil, une femme charmante qui m'a tout bien expliqué, qui m'a donné des conseils, bref en 4 mois tout était réglé et j'obtenais une IDV qui me semble convenable pour 12 ans d'ancienneté : 36.000 €.
Quelles démarches avez-vous entreprises pour réussir ce changement ?
En novembre 2012, j'ai envoyé un mail à l'IA, service scolarité, pour indiquer mon souhait de démissionner et la procédure pour obtenir une IDV. Le 12 novembre j'ai reçu un mail (sur ma boite perso pour tout ceci) de la personne qui gère tout ceci, qui m'indiquait qu'il était mieux de se contacter par téléphone pour qu'elle m'explique la procédure. Elle m'a laissé son téléphone direct. Le 16 novembre, nous nous sommes donc contactées, elle m'a très gentiment et très professionnellement expliqué la procédure, les dates, ce qui doit figurer sur les documents, et à qui et quand les envoyer. Après qu'elle ait reçu mes documents, nous nous sommes donc rencontrées en janvier 2013 (c'est la procédure). Pendant cette rencontre, elle m'a ré-expliqué ce que cela veut dire de quitter l'EN, et elle m'a indiqué le montant qui m'était accordé. Elle m'a renvoyé tout cela par écrit en février. En mars j'ai envoyé ma demande de démission et un courrier dans le lequel je stipulais que j'acceptais le montant de l'IDV. En juin tout était ok. Ma démission serait effective au 1er septembre et j'ai reçu l'argent fin août 2014. Tout s'est très bien déroulé, cette personne a été très efficace. Tout le long de la procédure nous avons communiqué par mail, chaque fois que j'avais une question et j'ai toujours obtenu une réponse rapidement. Bref de ce côté l'aide a été très efficace.
Quelle était votre activité professionnelle en 2014-2015 et quels services y proposiez-vous ?
Je travaillais avec mon conjoint à mi-temps (chargée de l'administratif et de la comptabilité) dans sa société. Ce travail « pour vivre » me permet d'une part de faire ma formation professionnelle : un Master en Psychologie du Travail à l'IED Paris 8, et d'autre part, grâce à l'IDV , je finance les travaux d'un gîte qui doit ouvrir au printemps prochain.
En quoi l'accompagnement d'une association comme AIDE AUX PROFS vous a-t-il été bénéfique pour entreprendre votre projet ?
A plusieurs degrés, d'une part j'ai pu découvrir les ouvrages de Rémi BOYER, et ceci m'a réconforté, en effet, je n'étais pas la seule, la méchante dame qui veut quitter ce formidable métier, que personne n'a envie de faire mais qui est formidable. Déjà c'est pas mal de ne pas se sentir seule, et de savoir que des gens ont réfléchi à ce problème. J'ai donc pu faire le pré bilan de carrière, mon projet était déjà clair, et ce pré bilan de carrière m'a permis de me poser des questions que je ne m'étais pas posées, de m'interroger sur des problèmes que je n'avais pas soulevés, et finalement de me conforter dans mon choix.
Grâce à l'association je me suis lancée sereine, motivée dans mon projet.
Devenir adhérente référente d'AIDE AUX PROFS, ça a signifié quoi selon vous ? Que pensiez-vous apporter à votre tour à ce dispositif ?
Je voulais aider les gens qui se sentent mal dans ce travail. Mon Master m'a appris que les choses peuvent être encore pire que ce que je pensais. Ce travail, (les autres aussi bien sûr) peut être destructeur, mais le souci c'est qu'ici, si l'enseignant est détruit, il détruit des enfants. Il est donc indispensable d'aider les élèves. Je me suis rapidement rendu compte que lorsque ma motivation baissait, ma relation avec les élèves se dégradait, donc mon travail et donc le leur... Ceci n'est pas tolérable pour des professionnels de l'enfance.
Grâce à mon stage dans l’association, j’ai pu répondre aux questions que se posent certains enseignants, publier des témoignages de profs qui sont partis, qui ont envie de partir, les aider à construire un projet. Et réaliser des pré bilans de carrière afin de permettre aux enseignants qui ont envie de partir, de leur permettre de mettre toutes les chances de leur côté afin qu'ils puissent mener à bien leur projet.
NDLR : l’année qui a suivi en 2014-2015 pendant 7 mois, Audrey n’étant plus adhérente, et devenue auto-entrepreneure, nous lui avons proposé un contrat avec une somme forfaitaire pour réaliser des pré-bilans de carrière et accompagner des adhérents. Nous n’avons pas pu poursuivre l’année d'après cette expérience qui fut efficace, car la trésorerie de l’association (qui ne reçoit aucune subvention depuis sa création) ne nous le permettait plus.
Cette forme de sous-traitance de certains accompagnements de nos adhérents a donc été abandonnée pour qu’elle demeure l’activité principale de nos bénévoles.
Par la suite son parcours professionnel a été très diversifié puisqu’ayant obtenu un Master2 de Psychologie du Travail et des Ressources Humaines en 2016, elle est devenue Psychologue du Travail à La Poste en 2015-2016 puis Psychologue du Travail et Formatrice à l’ESG de Tours de 2018 à 2023, puis Conseillère RH en parallèle de 2014 à 2024 et Coach via son autoentreprise (intervenant alors pour différentes structures en Touraine). Depuis mars 2024, le délai de remboursement de l’IDV étant très largement écoulé (c’était 5 ans), elle a pu revenir travailler en CDD comme Conseillère RH de proximité dans l’Education nationale, ce qui est une bonne idée puisqu’elle a été professeur des écoles et directrice d’école de 2001 à 2013. Son expérience lui permet d’être efficace auprès de ceux qu’elle accompagne.
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