
Nathalie POMMERY, de professeure des écoles à professeure formatrice et créatrice en couture
Interview d’Alexandra MAZZILLI pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°149 de janvier 2014 sur le Café Pédagogique.
Quelles études avez-vous suivies et pourquoi êtes-vous devenue enseignante ?
J’ai toujours voulu devenir institutrice. Pourquoi ? Impossible de donner une raison particulière mais le goût de transmettre y est sûrement pour quelque chose ! Et puis de magnifiques années comme élève dans une école à niveaux multiples m’ont laissé des souvenirs incroyables. Le tout m’a donné l’envie d’enseigner. J’ai passé une licence d’anglais (qui ne me servait à rien puisque je suis en Alsace et qu’on enseigne l’allemand en primaire !) car c’était là que je me débrouillais le mieux avant de passer le concours d’entrée à l’IUFM.
Quel a été votre parcours de carrière dans l’Education Nationale ?
J’ai commencé à enseigner en 1997. Je n’ai fait que deux années à temps plein car j’ai très vite eu mes deux premiers enfants. J’ai donc fait tout le reste de ma courte carrière à mi-temps. Les premières années m’ont fait connaître absolument tous les niveaux, de la PS au CM2, en passant même par une classe d’adolescents trisomiques en IME. Pas facile de passer d’un niveau à l’autre, de recommencer chaque année avec une nouvelle tranche d’âge mais cela m’a permis de me découvrir, de progresser et de comprendre que j’étais faite pour travailler avec des plus grands.
Que vous a procuré votre métier d’enseignant ?
Enormément de bonheur ! Enormément de fatigue aussi ! Je suis incapable de faire les choses à moitié et je fonce toujours tête baissée dans les projets…au risque de me noyer ! Quelle joie de voir les yeux des élèves pétiller, de partager des éclats de rire et surtout de les voir progresser et s’épanouir avant de rentrer dans l’adolescence.
Comme je travaillais à mi-temps, il me restait du temps pour ma famille et c’était la solution idéale pour marier métier et vie personnelle. Mais j’ai eu chaque année une jeune recrue comme complément de mi-temps, pleine de bonne volonté mais totalement novice…Donc, je jouais (avec ma collègue de CE1/CE2) souvent le rôle de formatrice…Plus vraiment un mi-temps de tout repos !
Mais le revers de la médaille existe aussi : la pression des parents, de l’administration, la sensation d’être considérée comme corvéable à merci par tout ce petit monde. Dur de sentir du mépris pour notre statut alors que la grande majorité des enseignants se donne à fond et sans compter pour le bien-être des enfants. Même si je n’ai pas fait ce métier pour cela, un peu de reconnaissance est nécessaire pour continuer !
Comment en êtes-vous arrivée à une situation de démotivation, avec l’envie d’une seconde carrière ?
Les deux dernières années avant de prendre ma disponibilité, j’ai eu des classes très faciles. Ce n’est donc pas les élèves qui sont la cause de ma démotivation. C’est tout le reste autour : donner pour sa classe au détriment de sa famille, ne pas recevoir un simple « merci » de l’extérieur, donner, toujours donner plus !
Devoir faire des matières pour lesquelles nous ne sommes pas formés ! J’avais l’impression de devoir gaver des oies et de ne plus travailler avec des enfants. J’avais besoin de prendre du recul… sans compter qu’une fermeture de classe se profilait dangereusement à l’horizon et que je ne voulais pas me retrouver avec un triple niveau à plus de 30 élèves ! Puis au niveau personnel, mes trois enfants arrivaient chacun à une période « charnière » de leur scolarité, entrée en sixième de notre dernière, entrée en seconde de notre aînée…et notre fils quatrième « l’âge bête » par excellence ! J’avais envie d’être là pour les épauler. Et une petite voix trottait déjà : « Prends du temps pour développer ta découverte de la couture ».
Quelles compétences transférables pensez-vous avoir acquises dans l’enseignement ?
Pour ma casquette de « professeur de couture », je retrouve évidemment toutes les compétences de l’enseignement. Je suis en terrain connu et c’est même un avantage lorsque je cherche de la clientèle. Je sais expliquer et m’adapter au niveau de mon élève. Pour ma casquette de créatrice, là, c’est tout nouveau pour moi ! Je laisse parler mon imagination.
Comment s’est passée concrètement votre reconversion ?
Pendant ma première année de disponibilité, je ne pensais pas à la reconversion. Puis une occasion de travailler avec ma professeur de couture s’est présentée mais après de longs mois, ce projet n’a pas abouti. C’est là que je me suis dit « pourquoi ne pas te lancer seule?». Ma perte de salaire ne pèse pas sur la famille, j’adore la couture alors pourquoi ne pas en profiter pour en faire une petite activité ? J’arrivais en plus en fin de droit au niveau de la Sécurité Sociale, pour moi et mes enfants. Mon mari travaille à l’étranger et cotise dans une caisse privée.
Raison de plus pour me mettre à mon compte !
J’ai donc pris rendez-vous avec la conseillère Mobilité Carrière qui m’a expliqué que je devais demander l’autorisation de travailler auprès de la DASEN mais que cela ne devrait pas être refusé. J’ai donc reçu l’autorisation de donner des cours de couture et de faire des créations pour l’année scolaire 2013-2014 (l’autorisation est à demander chaque année). J’ai choisi le statut d’auto-entrepreneur pour me lancer car je ne paie pas de taxes si je ne fais aucun chiffre d’affaires. Ca m'a permis de démarrer en douceur depuis le mois de septembre 2013. Je donne des cours de couture dans un périscolaire (dans le cadre des changements de rythmes scolaires) et je retrouve la joie de travailler avec des enfants…sans les contraintes de mon « ancien » métier. Côté création, les commandes commencent à arriver. C’est encourageant.
Comment s’est effectuée la prise en charge de votre formation ?
Je n’ai fait aucune demande de formation auprès de l’Education Nationale car mon activité ne s’y prêtait pas. Je vais tenter de passer le CAP des métiers de la Mode – Couture Floue (c’est –à-dire la confection de vêtements en tissu léger) en candidate libre au mois de juin mais c’est seulement pour ma satisfaction personnelle !
Combien de temps vous a-t-il fallu pour vous installer et en vivre ?
Je n’ai pas rencontré de difficultés particulières mais c’est sûrement car je n’ai pas à faire rentrer un salaire décent pour vivre. Le salaire de mon mari est suffisant… Une inquiétude en moins, il faut l’avouer ! La plus grande difficulté est finalement d’OSER.
Je vais demander une troisième année de disponibilité pour voir si mon activité peut se développer car je n’en suis qu’au début. Je suis consciente qu’il faut du temps pour que cela devienne vraiment rentable. Et puis, j’adore la couture mais ce n’est pas un métier où il est facile de percer. Il est difficile d’en vivre. Ai-je suffisamment de talent pour cela ? La disponibilité me laisse le temps de développer toutes ces questions avec sérénité.
Aujourd’hui, avez-vous des regrets du métier d’enseignant ? Souhaiteriez-vous retrouver la classe ?
Je n’ai strictement aucun regret d’avoir « pris une pause ». Je n’ai d’ailleurs, à l’heure actuelle, aucune envie de retourner dans une classe. Comme je suis travailleuse indépendante, j’organise mon temps comme je le souhaite. Pas de stress si les enfants sont malades, pas de stress pour caser les rendez-vous médicaux, pas de stress tout court ! Je suis disponible pour ma famille tout en m’épanouissant au niveau personnel. Alors il est vrai que je n'arrive pas à dégager plus qu’un mi-temps dans ma semaine pour travailler à ma couture. Mais pour l’instant, c’est suffisant ! Et surtout, j’ai retrouvé le plaisir de me lever le matin pour aller travailler, même si pour cela je ne descends que quelques escaliers pour arriver dans mon atelier !
Que conseilleriez-vous à un enseignant qui souhaite réaliser une mobilité professionnelle hors de l’enseignement ?
Ne pas avoir peur de se lancer. Il faut bien évidemment bien réfléchir au « pour » et au « contre » d’un changement de carrière. Réfléchir à ce qui est essentiel ou non : épanouissement personnel ? Maintien d’un salaire ? Les vacances (surtout avec des enfants) ?... Selon son parcours, les questions ne seront pas les mêmes.
J’ai d’abord pris une disponibilité pour m’occuper de mes enfants, la reconversion est venue par la suite. Mon mari me disait toujours « quitter l’enseignement, oui, mais pour faire quoi ? ». Au début, j’avais l’impression de ne savoir faire que cela (enseigner), que, finalement, mon CV était « vide », que je ne trouverais jamais rien d’autre à faire. J’ai pris une bonne année pour mûrir le tout… et je me suis lancée.
Il faut avoir confiance en soi, en ses capacités. J’ai encore l’impression d’être une « intruse » dans mon nouveau métier…Aucun diplôme pour me rassurer sur mes nouvelles compétences. C’est finalement le regard positif des gens sur mon travail de couturière qui me conforte dans mon choix…Ce même regard appréciateur qui me manquait dans mon métier d’enseignante !
NDLR 2025: Nathalie POMMERY est devenue Professeur de couture à plein temps depuis 2022, pour adultes de grands débutants à confirmés, mais aussi pour enfant dès 5 ans. Elle réalise des intervention au sein d'associations, de boutiques ou directement au domicile d'un particulier, et suit les envies de ses élèves et adapte les apprentissages au niveau de chacun.
En 2024-2025 elle proposait un atelier de dentelle aux fuseaux
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