
Ambre GORGET, professeur des écoles en disponibilité en voie de création d'auto-entreprise…
Interview d’Alexandra MAZZILLI pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°147 de novembre 2013 sur le Café Pédagogique.
Ambre GORGET est enseignante depuis 6 ans lors de cette interview de novembre 2013. En juin, elle a choisi de se mettre en disponibilité afin de suivre son compagnon dans le sud-ouest. Il était trop tard pour une demande de mutation et qui plus est, elle souhaite revenir dans le Var d'ici quelques années mais a peur de ne pas y arriver car c'est un département dans lequel il est difficile de rentrer.
Du coup, pour sa première rentrée scolaire sans rentrée depuis plusieurs années, elle se lance dans un vaste projet : créer une auto-entreprise pour donner des cours et vendre du matériel pédagogique. D'autres idées trottent dans sa tête mais la voici au tout début du parcours d'auto-entrepreneuse… Un témoignage vivant qui montre à tous, notamment aux enseignants qui n'osent pas ou qui manquent de confiance en eux, qu'ils sont tous capables de se mobiliser pour faire autre chose ou faire différemment.
Quelles études as-tu suivies et pourquoi es-tu devenue enseignante ?
Je ne suis pas de celles qui voulaient être maîtresse depuis toujours. J'aime bien les enfants, mais j'aime plein d'autres choses aussi… Je voulais être journaliste, ou travailler dans l'informatique. Ou être traductrice d'espagnol, une langue que j'adore, ou pourquoi pas prof en collège. J'ai eu une expérience malheureuse au lycée, quand mes parents ont voulu que je fasse ES option maths en pensant que ça m'aiderait à m'améliorer dans cette matière. Un carnage. Je me suis donc tournée vers l'option espagnol, à défaut de pouvoir migrer vers un bac L (toujours le forcing de mes parents !), langue que j'ai donc présentée en option au bac, et que j'ai continuée à la fac, avec une licence LLCE Espagnol.
Durant mon cursus universitaire, j'ai suivi diverses options, notamment FLE et pré-professionnalisation aux métiers de l'enseignement. C'est là, avec mon tout premier stage en maternelle, que j'ai eu le coup de foudre. Même si j'ai été cueillie avec un merveilleux « Dis, pourquoi t'as un grand nez ? ». J'ai su que je voudrais travailler avec des enfants, et à partir de là il n'a plus été question de journalisme ou d'informatique, je voulais devenir enseignante. J'ai donc passé le concours, une première fois pour voir ce que ça donnait (des copains allaient le passer, moi je ne pensais pas obtenir ma licence cette année-là car je n'avais pas vraiment travaillé, mais j'y suis allée en me disant que ça me ferait de l'entraînement pour quand je le présenterais l'année suivante). J'ai été admissible, ce que j'ai trouvé encourageant, mais bien sûr je n'ai pas passé la barrière des oraux : je n'étais absolument pas préparée. J'avais réussi à décrocher ma licence, j'ai donc passé les tests d'entrée à l'IUFM et plus ou moins suivi une année de Master 1 LLCE Espagnol, en attendant de pouvoir faire mon année de PE1. Puis j'ai repassé le concours, et cette-fois ça a fonctionné.
Quel a été ton parcours de carrière dans l'Education Nationale et pourquoi avoir choisi de te mettre en disponibilité ?
En sortant de l'IUFM, j'ai demandé un poste de remplaçante dans la circonscription de Saint-Maximin dans le Var : pas peur de la campagne, et très envie de me former par les remplacements avant d'avoir ma propre classe. Finalement, avec le statut de brigade, j'ai récupéré un CE1 à l'année, après avoir partagé la classe avec une prof en mi-temps thérapeutique les premières semaines.
Ça a été une expérience extrêmement enrichissante et positive, même si je passais vraiment beaucoup d'heures à préparer la classe. L'année suivante j'avais demandé ZIL pour bouger un peu plus, mais malheureusement je me suis retrouvée coincée dans un CM2 loin de chez moi, dans mon école de rattachement, de septembre à avril. Une classe difficile, des élèves pas très sympas, et bien sûr c'était l'année de l'inspection… Cette expérience m'a laissé un goût amer. Heureusement, j'ai fini l'année dans un CP à 17 élèves avec TBI, un régal.
Les trois années qui ont suivi, j'ai enfin pu bouger : j'étais TMBFC, puis TMB quand les FC ont disparu, mais avec les mêmes missions quasiment. Une classe différente tous les jours ou presque, des rencontres humaines merveilleuses tant dans les écoles qu'au sein de notre brigade FC, majoritairement masculine et animée d'un esprit différent de celui des adjoints qui sont dans les écoles et n'en sortent pas. C'est vrai qu'il y avait la route, mais le travail n'étant plus le même en terme de préparation, remplissage des livrets, réunions… j'ai pu en profiter pour me concentrer sur la relation élève/enseignant.
J'ai également eu trois profs stagiaires sous mon aile, avec l'impression d'être utilisée comme formatrice par la hiérarchie, sachant que j'étais à peine sortie de l'œuf moi-même (j'étais T3 pour mes deux premiers stagiaires !), et que bien sûr la fiche de paye ne prenait pas ça en compte… Mais j'ai joué le jeu, et fait comme j'ai pu : après tout, ça n'était pas la faute de ces pauvres stagiaires parachutés là sans parfois savoir à quoi pouvait bien ressembler un enfant de quatre ans, deux jours avant de les voir débarquer à 30 dans la classe ! Globalement, après 5 ans à vadrouiller dans tout le département et dans tous les niveaux de classe, je considère que j'ai appris beaucoup, et j'aime toujours autant ce métier, même si tout n'est pas rose.
Ce qui m'a motivée à demander une dispo n'a donc rien à voir avec un ras-le-bol ou une véritable envie de faire autre chose : juste que mon amoureux était bien loin de moi, et que j'avais la possibilité de le rejoindre sans avoir à démissionner ou à me faire muter (ce que je ne veux pas faire car je compte revenir dans le Var un jour ou l'autre, et nous savons tous que les places sont chères là-bas !).
Aujourd'hui, en attendant de pouvoir éventuellement retrouver un poste dans l'Education Nationale, tu as décidé de te lancer dans l'aventure entrepreneuriale. Parle-nous de tes motivations…
Je suis en disponibilité, et c'est une chance de pouvoir faire une pause dans sa carrière sans perdre son travail. Mais en attendant, il faut bien remplir le frigo. Je préfère voir le bon côté des choses en me disant que ça me permettra d'avoir des expériences de la « vraie vie », en plus de ce job de caissière que j'avais pour payer mes études. Trop souvent les enseignants ont, à tort ou à raison, la réputation de ne pas connaître la chance qu'ils ont d'être fonctionnaires, d'avoir la sécurité de l'emploi etc. Et c'est vrai que quand on n'a pas à chercher de boulot, la vie est quand même chouette. L'auto-entreprenariat est a priori une des seules choses que l'on peut faire quand on est en dispo. Ça tombe bien, car ça laisse une sacrée liberté d'action, ce qui n'est pas sans me déplaire.
Dans quel(s) domaine(s) souhaites-tu entreprendre et pourquoi ?
Je pense rester dans ce que je connais, c'est-à-dire l'enseignement. Je voudrais trouver des élèves à qui donner des cours particuliers, d'espagnol ou autre. Je suis assez curieuse de la relation qu'il peut y avoir en individuel avec un élève, c'est quelque chose qui manque dans les classes surchargées. Avoir un autre rapport avec l'apprenant, pouvoir vraiment faire quelque chose sur mesure… je pense que ça peut être positif et enrichissant pour moi (et pour l'élève bien sûr, hein).
À part ça, je viens de signer un contrat d'apporteur d'affaire avec une maison d'édition bretonne, Hart éditions, qui vend des affiches pédagogiques. Je vais donc me mettre à la place de ces représentants que l'on voit de temps en temps dans les écoles, entre deux portes, en se faisant remplacer dans la cour si on est de surveillance… Sûrement une bonne leçon d'humilité en perspective ! Un pied dans l'école, sans y être vraiment. Peut-être qu'un jour sauterai-je le pas moi aussi pour créer du matériel pédagogique, j'ai tellement d'idées avec ces années de remplacement ! Et sinon, je réfléchis aussi à des livres de littérature jeunesse. Mais ça n'est pas pour tout de suite.
Concrètement, quelles actions et quelles démarches as-tu menées pour créer ton auto-entreprise ?
Je me suis renseignée sur internet et auprès de gens qui avaient déjà sauté le pas. Je suis allée à une réunion d'information de la Chambre de Commerce et d'Industrie (avant de savoir que mon profil relevait en fait de l'URSSAF), réunion qui ne m'a vraiment rien apporté, les informations étant nombreuses, vagues et finalement pas adaptées à ce que je voulais faire. J'ai quand même obtenu là-bas les coordonnées de l'ORIFF, un organisme de formation bien utile. Après être allée à l'URSSAF pour m'immatriculer (j'ai appris entre-temps qu'on peut le faire directement sur lautoentrepreneur.fr, ça prend vraiment peu de temps, il faut juste bien savoir ce que l'on veut faire), et une fois reçu mon numéro de SIRET par l'INSEE, j'ai eu le droit de participer à une journée de formation sur l'auto-entreprenariat, organisée par l'ORIFF, et cette fois-ci ça a été vraiment intéressant, quoique dense.
Quelles sont les difficultés auxquelles tu es confrontée ?
Le jargon fiscal ne m'étant pas familier, c'est surtout ça qui me fait peur. J'ai appris qu'il y aurait peut-être des frais auxquels je ne m'attendais pas (la CFE notamment, la Contribution Financière des Entreprises), alors que l'intérêt premier du statut d'auto-entrepreneur est que si on ne gagne rien, on ne paie rien. A part ça, c'est sûrement le côté commercial qui va être difficile : je n'ai pas l'habitude d'avoir à vendre quelque chose.
Comment envisages-tu les choses pour l'avenir ?
Pour l'instant je démarre tranquillement, on verra comment les différents pôles de mon activité évoluent, pour savoir si je dois laisser plus de place à l'un ou à l'autre. Mon compagnon a des revenus qui nous permettent de vivre même si je ne rapporte pas beaucoup de sous, c'est un sacré avantage car je n'ai pas autant de pression que quelqu'un qui n'aurait pas cette chance. Et puis je sais aussi que j'ai un métier, et un poste qui m'attend, qu'il me suffit de faire un signe pour rejoindre les rangs de l'Education Nationale, alors je m'estime chanceuse et je peux entreprendre sereinement !
NDLR 2025: Cette aventure entrepreneuriale n'a pas duré longtemps puisque son entreprise a été radiée le 30/06/2014 mais cela a permis à Ambre de se rendre compte de la chance de disposer d'un emploi sûr comme un emploi de fonctionnaire professeur. S'oxygéner par une disponibilité permet à certains professeurs de bien comparer ce qu'ils veulent quitter, de ce qui les attend "dehors".
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