
Nans LOIGNE, ancien professeur d'arts plastiques ayant évolué vers une collectivité territoriale
Interview d’Alexandra MAZZILLI pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°146 d’octobre 2013 sur le Café Pédagogique.
Nans LOIGNE, jeune varois de 30 ans, a enseigné plusieurs années dans des collèges et lycées privés suite à un master 2 en histoire de l’art et arts plastiques.
Autodidacte, il a renoncé à sa vocation première pour monter son auto-entreprise en communication multimédia. Lorsque nous l'interviewons en 2013, il est « contractuel par besoin » pour la Mairie de la Seyne-sur-Mer en tant que journaliste reporter d’images (cameraman).
Son parcours, singulier, montre la diversité des reconversions possibles pour tout enseignement passionné dans un domaine, puisqu’il réussit actuellement dans un secteur très technique sans en avoir la formation universitaire de base.
Quelles études avez-vous suivies et pourquoi êtes-vous devenue enseignant ?
Je suis devenu enseignant par vocation car mon père était déjà enseignant en arts plastiques. J’ai toujours été bercé par l’art et en plus, j’ai toujours eu un contact facile, un relationnel agréable et une capacité à transmettre mes savoirs ou mes idées. Malgré tout, au lycée, j’étais quand même hésitant quant à la possibilité d’une éventuelle carrière dans l’infographie. Après un Bac Option Arts Plastiques, je suis devenu étudiant en histoire de l’art. Comme cette formation était trop théorique à mon goût, je me suis alors orienté vers un master plus pratique, qui liait à la fois l’histoire de l’art et la pratique en arts plastiques. Je suivais mes modules d’enseignement mais je réalisais déjà des stages pratiques et en même temps, je participais bénévolement à la préparation au bac des élèves de mon père en leur faisant passer des bacs blancs.
A côté je travaillais énormément en infographie (imagerie numérique, retouches de photos). Je me définis comme un autodidacte. Entre mon master et mon master 2, j’ai fait une préparation à l’agrégation. Je l’ai loupée de peu puis j’ai passé le CAPES et le CAFEP en parallèle, sans les réussir. En même temps je cherchais du boulot en tant qu’infographe et j’étais inscrit au rectorat et au diocèse. J’ai présenté un dossier pour passer un second master en ingénierie des médias à la Garde. J’ai été pris. Mais j’ai refusé l’entrée car en même temps on m’a proposé un poste d’enseignant à l’institution Saint-joseph La Navarre à la Crau, en plus de ce poste, je donnais également des cours dans les filières techniques à la Cordeille et dans les filières générales à Fénelon (collèges et lycées privés sur Toulon et alentours).
J’ai enseigné un an et demi avant de tester un emploi d’agent de communication pour une chaîne de camping et de restaurant, puis j’ai enseigné de nouveau deux ans et demi. J’ai quitté l’Education Nationale en mars 2013 sans avoir jamais été titularisé puisqu’après je ne voulais plus passer les concours et parce que dans l’Education Nationale, il est nécessaire de comptabiliser plusieurs années d’enseignement en tant que contractuel sans aucune interruption pour pouvoir être titularisé.
Comment se sont passées vos premières années ? Quel a été votre parcours de carrière dans l’Education Nationale ?
Les premières années ont été très dures. L’établissement Saint-Joseph La Navarre reçoit un public défavorisé, il s’est spécialisé dans l’accueil et l’éducation des adolescents en grande difficultés. J’ai eu à faire face à des situations dramatiques : « dossiers lourds, graves problèmes familiaux, abandon, déscolarisation…
Dès le début, j’ai dû réaliser un travail de très longue haleine et vraiment difficile au quotidien pour intéresser les élèves. Certains avaient des dossiers très lourds, connaissaient déjà les tribunaux ou la gendarmerie,… Cette expérience m’a fait changer. Ma réflexion a beaucoup évolué à l’époque : ce que l’Education Nationale proposait n’était pas adapté aux élèves. J’ai réadapté une partie des programmes aux élèves et j’ai développé des activités pratiques : reportages photos, numérique, jeux de rôle, etc. En plus de tout cela, je créais des opportunités avec des professionnels pour les préparer à partir tôt dans un métier et pour les aider à prendre conscience de la réalité du monde du travail. Maintenant, a posteriori, je trouve que ces années de « galère » ont été très formatrices.
Quel a été le déclic qui vous a fait quitter les élèves ?
Je n’ai pas quitté les élèves. J’ai quitté l’Education Nationale. Pour commencer, l’éducation, ce n’est pas notre rôle, c’est celui des parents ! Notre rôle, c’est de mettre les élèves dans la pédagogie. Le problème, c’est que je ne me reconnaissais plus dans l’enseignement. Nous avons peu de formation pratique concrète, intéressante et adaptée et il y a beaucoup trop d’administratif : on en oublie la pédagogie, ce qui fait l’essence même de notre métier. En poste, on essaie de compenser mais au bout d’un moment, on en a marre, ça épuise. On en oublie le rapport aux jeunes.
L’Education Nationale est une grosse machine qui te fait complètement oublier le côté relationnel et le rapport humain avec les élèves. Après, je suis très content de cette expérience et je garde encore contact avec des élèves. Mais je me pose constamment cette question : concrètement est-ce que les programmes sont adaptés à ce dont les élèves en difficultés ont besoin ? La réponse ne me convient toujours pas…
Concrètement, comment se sont effectuées les démarches pour le changement et quelles difficultés avez-vous rencontrées ?
Je suis parti, tout simplement. J’ai prévenu plusieurs fois le chef d’établissement à l’avance en lui expliquant que je gagnais trop peu. Pour pouvoir subvenir à mes besoins, j’officiais sur quatre boulots – professeur, formateur en arts appliqués pour des étudiants de la DCNES et de Véolia, animateur et agent de communication : et avec ça, je gagnais à peine le SMIC ou, dans le meilleur des mondes, à peine plus avec souvent des paiements grandement décalés (HSE). Les trajets me coûtaient énormément.
Mais on m’a malheureusement fait comprendre que l’établissement ne pouvait se permettre d’assurer un complément salarial plus élevé à mon salaire de base payé par l’Education Nationale. Je suis parti car je n’ai rencontré aucune réaction convaincante de la direction. Un collègue a fait de même. J’ai fait en sorte de couper à une fin de mois. Mais le rectorat n’a pas fait ce qu’il faut dans les temps et donc je dois maintenant rembourser une somme supérieure à celle que j’ai gagné en un mois.
Je n’ai eu que des ennuis avec l’Education Nationale. De plus, ils sont injoignables, te passent de service en service lorsque tu appelles le rectorat et ils sont sans concession.
En quoi consiste votre reconversion professionnelle exactement ?
Avant, j’étais dans des associations, comme bénévole dans la communication. J’ai appris sur le tas en étant dans la réalité du terrain et en côtoyant des pros. J’ai croisé ces expériences avec ce que je savais déjà. J’avais un peu d’expérience. J’ai monté une auto-entreprise de communication multimédia et j’ai monté des projets avec des collèges et des lycées, dans un premier temps. En fait, je me suis construit parallèlement à ma période d’enseignement. Je me suis aperçu que ça me plaisait et que j’en avais les capacités alors je me suis lancé. Ca n’a pas été facile tous les jours. J’ai prospecté pendant des années et j’ai reçu beaucoup de réponses négatives.
Mais, en multipliant les projets, les expériences, les entretiens, je suis arrivé à un point où j’avais acquis une certaine pluridisciplinarité. Je me suis diversifié et en tant que personne seule, je suis capable de subvenir à une bonne partie d’un service de communication. Finalement, on m’a proposé un premier gros travail que j’ai rempli correctement suite à plusieurs entretiens, pour la Mairie de la Seyne-sur-Mer, puis un second.
Ensuite, en tant que prestataire on m’a demandé si j’étais capable d’assumer une année entière de prestations : concrètement, j’occupe actuellement un poste de cameraman JRI (Journaliste Reporter d’Image) : je suis à la fois reporter et monteur et accessoirement, j‘en assure la diffusion sur le site de la mairie. A cela s’ajoutent des activités de webmaster. Malheureusement, je ne suis que « contractuel par besoin ». Je suis recruté jusqu’en décembre. Nous entrons dans une période électorale importante pour les municipalités donc je sais que jusqu’en mars, ça va être compliqué d’être repris car les municipalités voient leurs budgets bloqués en période électorale. Je continue avec mon auto-entreprise de répondre à des besoins de clients : activités de communication, clips musicaux,… Un peu de design également pour mettre à profit mes années d’arts plastiques (en ce moment, avec des collègues, nous sommes en train de monter une SARL dans le domaine du mobilier design).
Quelles compétences acquises dans l’enseignement vous semblent avoir été utiles et transférables dans votre nouvelle activité ?
Il y en a des tas ! A commencer par le relationnel humain de base et intergénérationnel : le relationnel avec les élèves quel que soit leur âge, le relationnel avec les parents et le relationnel avec l’équipe pédagogique. L’enseignement m’a appris l’art du contact, m’a appris à être ouvert. Par ailleurs, incontestablement, l’enseignement forme à l’administratif : autorisations, rapports,…
Enfin, il nous montre la réalité de la vie : il permet de prendre connaissance des dessous des choses, du passé des familles… Enseignant, qu’on le veuille ou pas, on est obligé de mettre le pied là-dedans. On ne s’arrête pas à la façade de la personne. Il y a une véritable mise en situation de soi-même et des élèves. De plus, le fait de partager ma passion pour la vidéo, la communication, la photo, le numérique m’a ouvert des perspectives : en tant qu’enseignant, on n’a pas la même perception des choses que les élèves ou les parents. La confrontation de tous points de vue est intéressante : elle permet de se resituer dans la société, d’avancer, de se former encore et encore. On est, on reste un éternel élève. Ce sont eux qui nous font grandir.
Avez-vous eu besoin de suivre une nouvelle formation pour accompagner votre reconversion ?
Non, je n’ai pas eu envie de suivre une nouvelle formation parce que si j’avais suivi une formation pour mon boulot, ça aurait été simplement pour acquérir un titre sur mon CV. Un titre qui ne permet pas forcément de rendre compte d’une maturité dans le travail que tu n’obtiens que par l’expérience... Mais depuis de longues années, je me paie des formations online essentiellement ou des stages courts pour apprendre le maniement de logiciels ou de matériels spécifiques. Ce sont des formations très ciblées.
Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans cette reconversion ?
Pour moi, la principale difficulté à laquelle il faut faire face dans ma situation, un enseignant qui se reconvertit, c’est l’incrédulité : je suis dans le bénévolat depuis l’âge de quatre ans (groupe folklorique de danse et musique traditionnelles). A sept ans, on m’a confié la gestion d’un premier défilé. A partir de dix ans, je suis rentrée avec mes parents dans des associations d’événementiel… Très rapidement, j’ai acquis de l’expérience sur le terrain (budget, management,…). J’ai fait également pas mal de boulots bénévoles, ado, pour réalisés des bandes sons (feux d’artifice sonorisés par exemple) ou des activités de communication pour des écoles… Malheureusement, en France, quand tu arrives avec une expérience bénévole forte et réelle, les gens ne te croient pas car tu n’as pas le titre de la formation requise ou celui du « dircom ».
On accorde plus d’importance aux titres qu’à l’expérience. Il y a un réel problème de confiance aussi : un recruteur choisira plutôt celui qui a un an d’expérience professionnelle que celui qui a dix ans d’expériences sur le terrain avec toutes les qualités d’engagement qu’il y a derrière (motivation, dynamisme,…).
Que conseilleriez-vous à un enseignant qui souhaite réaliser une mobilité professionnelle hors de l’enseignement ?
Je lui conseillerai de croire en lui. Je pense qu’une personne qui est capable d’enseigner et de transmettre un savoir est forcément capable de progresser et d’évoluer. Si la personne a le recul pour savoir ce qu’elle veut faire, elle est capable d’obtenir les compétences pour y arriver. Un bon enseignant est un éternel élève. La personne qui le sera, sera capable de voir que le monde est grand : il a des capacités et des possibilités énormes, et la capacité de se dire « j’y arriverai car j’en suis capable ». Tu ne peux réussir à faire ça que quand tu as un déclic dans ta vie.
Les enseignants qui se dénigrent eux-mêmes sont des enseignants qui se sont perdus dans une utopie du système. Il faut voir ce que chacun est capable d’apporter à ses élèves en dehors des programmes. Qu’est-ce qui a le plus de valeur ? Ce que les autres t’apportent et ce que toi tu es capable d’apporter aux autres. Ca vaut tout le reste.
Connaissiez-vous AIDE AUX PROFS et que pensez-vous de son action pour aider les enseignants à se reconvertir ?
Je ne connaissais pas AIDE AUX PROFS jusqu’à maintenant mais je pense que ça m’aurait servi énormément. Et ca servirait beaucoup à mes collègues encore enseignants actuellement.
Les enseignants en reconversion ont besoin de ce support, surtout psychologique. C’est nécessaire. Il y a un trop grand décalage entre la réalité du métier et la théorie : les enseignants qui en sortent se remettent déjà en cause sur toute leur vision de l’enseignement. Ils prennent conscience qu’on ne peut pas enseigner de manière aseptisée, comme le sous-tend l’Education Nationale. J’ai fait ce cheminement tout seul mais l’enseignement passe par ta propre personne. On a besoin dans ces moments-là de partager des expériences, de communiquer, de progresser, de trouver des solutions.
C’est ce que devrait apporter l’Education Nationale. Se préoccuper des conditions de carrière devrait être le rôle premier d’un inspecteur. Son rôle primaire aurait dû être d’inspecter les conditions de pratique de l’enseignant et son niveau psychologique plutôt que de réaliser une inspection « évaluative et sanctionnelle ». AIDE AUX PROFS peut donc permettre aux profs d’avoir un meilleur relationnel avec leur environnement immédiat de travail (élèves, équipe, direction).
Malheureusement, dans l’Education Nationale, il y a quand même un souci de rentabilité. Si elle fonctionne comme une entreprise, c’est que quelque part elle fait le commerce de la culture, du savoir et de l’humain au profit d’intérêts qui n’ont pas leur place dans la dispense d’une pédagogie. Mais il faut savoir aussi être dans la réalité des choses et s’adapter aux besoins de chacun, ne pas tomber dans la rentabilité à l’extrême et conserver le sens de l’humain.
NDLR 2025: Depuis cette interview de 2013, Nans LOIGNE a suivi son chemin dans les TICE, le numérique, la communication, le marketing, et l'évènementiel. Il est très efficace en gestion de projets complexes.
Depuis 2024 il est formateur pour transmettre son expérience et ses compétences, renouant avec l'enseignement, pour adultes cette fois.
Ses expériences professionnelles depuis 2013
Sa chaîne You Tube présente une palette de ses "cartes postales touristiques" réalisées pour la commune de la Seyne-sur-Mer dont voici un exemple ci-dessous. On comprend qu'il n'ait pas eu envie de quitter ce magnifique environnement, ce qui aurait été impossible en réussissant un concours comme le CAPES d'Arts Plastiques ! Il aurait été muté dans l'académie de Versailles ou de Créteil avec impossibilité d'en repartir avant 15 ans au moins... (c'est le lot de plus de 70% des professeurs lauréats du Capes et de l'Agrégation).
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