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Reconversion d'enseignante: Valérie HUMBERT, de professeur des écoles à Assistante Familiale


Interview de Valérie HUMBERT, professeure des écoles reconvertie comme assistante familiale

 

Interview d’Alexandra MAZZILLI de l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°141 de mars 2013 sur le Café Pédagogique.

 

Valérie, 44 ans, actuellement assistante familiale pour le Conseil Général du Var, a été professeure des écoles pendant 18 ans, à l'époque de cette interview (elle a 56 ans actuellement). Sa reconversion achevée depuis peu malgré une formation continue sur deux ans qui se poursuit, elle nous confie le plaisir qu’elle rencontre actuellement en continuant de travailler avec des enfants mais de façon totalement différente. De nouveaux projets, un nouveau regard, de nouveau défi, de belles réussites en perspective !

 

Depuis la fin de vos études, quel a été votre parcours de carrière dans l’Education Nationale ?

 

J’ai suivi des études post-bac de SVT (Sciences et Vie de la Terre) et j’ai obtenu une licence de géologie. J’aimais la recherche et j’ai toujours gardé ce goût pour la recherche jusque dans mes classes en primaire. J’étais partie pour faire une maîtrise lorsque j'ai eu mon premier enfant. Et je n'ai pas obtenu mon diplôme ; cela s’est passé au moment où les IUFM ont été créés et ouverts aux étudiants après une licence. Le métier d’enseignant m’avait toujours attiré mais je voulais faire des études et je ne m’étais jamais posée la question de l’exercer auparavant. J’ai présenté le concours en candidat libre, je ne l’ai pas eu. Du coup, je l’ai préparé par le CNED l’année d’après, je l’ai réussi et j’ai fait ma deuxième année d’IUFM à Draguignan. J’ai eu un poste à la Seyne-sur-Mer – un regroupement de trois classes mais je n’ai pas regretté même si c’était assez difficile, car c’était formateur.

 

L’année d’après, j’ai obtenu au mouvement un poste à titre définitif en ZEP à la Seyne-sur-Mer : j’y suis alors restée 16 ans. Ça m’a plu, j’y serais bien restée encore un peu, j’envisageais de rester enseignante encore une dizaine d’années, mais je savais qu’à un moment donné, il aurait fallu que je me reconvertisse pour faire autre chose.

 

Quel est le déclic qui vous a fait quitter les élèves ?

 

Ce qui a déclenché mon départ, c’est que ma fille a travaillé en foyer, m’a parlé de ses expériences et j’ai eu un véritable coup de cœur… Pour moi, ça a été comme une évidence, une révélation : rester avec les enfants, continuer de travailler avec eux en prenant le temps et en faisant les choses d’une autre manière. En effet, en classe, on court après le temps en permanence et c’est frustrant. Il y a trop de choses à faire. Les deux dernières années m'ont demandé beaucoup de travail : j'ai changé de méthode de lecture puis de niveau l'année suivante, c’était chaque année un réinvestissement important de ma part…

 

J’avais le sentiment qu’on ne nous faisait pas assez confiance. On doit tout changer régulièrement dans nos pratiques car les programmes changent, les méthodes changent… On doit constamment se réadapter. Certaines demandes hiérarchiques sont infantilisantes, on remplit des fiches pour prouver qu’on fait bien notre travail ! Du coup, le temps que l'on y consacre empiète sur celui dont nos élèves pourraient profiter… Tout va trop vite et il est plus difficile de donner aux enfants le goût de l’effort, le goût de chercher, afin de trouver du plaisir dans l’effort et la réussite. Surtout que l'on nous demande de plus en plus d'évaluer les élèves. On a le sentiment de devoir être bon partout.

 

Cependant lorsque l'on assiste aux animations pédagogiques, on a l’impression que l’on ne fait rien de bien et qu’on n’est jamais à la hauteur. Malgré tout, je suis partie à un moment où j’étais encore heureuse d’enseigner.

 

Comment s’est passée votre reconversion et en quoi consiste-t-elle exactement ? Avez-vous eu besoin de suivre une nouvelle formation pour accompagner votre reconversion et comment s’est effectuée la prise en charge financière de cette formation ?

 

L’année dernière, j’ai fait une journée d’information à Draguignan sur le métier d’assistante familiale pour être sûre que c’est ce que je voulais faire. J’ai ensuite fait une demande d'agrément.

 

En même temps que les démarches pour obtenir l’agrément (il y a beaucoup de rendez-vous), je continuais à faire classe, puis j’ai demandé ma disponibilité, je dois la renouveler tous les ans. Si je veux réintégrer mon poste un jour, il me suffit de refaire une demande. J’avais téléphoné avant et je m’étais bien renseignée. Je n’ai pas eu de difficultés à obtenir ma disponibilité (j’en ai demandé une pour le motif de convenance personnelle). Elle a été acceptée très facilement, mais si elle avait été refusée, j’aurais démissionné.

 

Aujourd’hui, j’accueille au sein de ma famille un petit garçon qui avait deux ans au moment de son placement, il y a quatre mois. Pour ce faire, j’ai dû d’abord obtenir mon agrément, la demande d’agrément se fait auprès du Président du Conseil Général du Var (service du placement familial).

 

Le service nous contacte, suite à cela, on est convoqué à une première réunion d’informations, durant laquelle on nous remet un dossier à remplir, puis les démarches pour l’agrément commencent, elles durent environ quatre mois.

 

Pour obtenir un agrément, il y a plusieurs conditions : avoir une chambre disponible, réussir l’enquête de moralité et les entretiens (avec une éducatrice, une assistante sociale, une psychologue, une puéricultrice,…). Ces entretiens concernent les motivations de la personne qui accueille mais aussi de la famille et de toutes les personnes qui vivent sous le même toit. Je réalisais ces entretiens le mercredi, et en plus de l’agrément, il faut suivre une première session de formation de 60 heures obligatoire pour pouvoir recevoir un enfant, formation réalisée par le Conseil Général du Var. J’ai fait le choix de garder mes élèves pendant les démarches pour l’agrément et de faire la formation de 60 heures à la rentrée suivante, en octobre, suite à ma disponibilité, j’ai donc eu une perte de salaire de septembre à décembre 2012 (j’ai accueilli cet enfant à partir de fin novembre mais le salaire n’est versé qu’un mois après).

 

Notre contrat est ensuite signé avec le Conseil Général du Var. Ensuite, l’agrément est valable pendant cinq ans, et dans les deux premières années, il faut effectuer une seconde formation obligatoire de 240 heures à l’IFTS (Institut de Formation des Travailleurs Sociaux). Là encore, c’est le Conseil Général qui organise les sessions. C’est également le Conseil Général qui finance ces formations obligatoires. Dans cette reconversion, il y a des avantages indéniables : même si c’est vrai que l’enfant accueilli peut nous solliciter 24 heures sur 24, ce métier est pour moi une véritable bulle d’air. Je n’ai plus du tout de pression. Au cours de ma journée, je m’organise comme je le souhaite. Aucune journée n’est identique, chaque jour, je choisis mes activités avec cet enfant et nous en profitons tous les deux.

 

Quelles compétences acquises dans l’enseignement vous paraissent transférables dans l’exercice de ce nouveau métier ?

 

Avec l’expérience des enfants difficiles, rencontrés dans différentes classes, finalement on connait mieux le type d’enfants qu’on peut être amené à recevoir. Ce métier m’a permis de développer ma connaissance des enfants, de leur développement et de leurs réactions. Cela fait qu’on ne se bloque pas lorsqu’on doit accueillir un enfant. C’est très rassurant, d’autant plus que nous savons déjà trouver des solutions en classe. Mon mari était plus inquiet : comment vont être ces enfants, comment je vais les supporter ? se demandait-il.

 

Sinon, l’enseignement m’a permis de développer mes capacités de concertation, de travail en équipe (nous avons des réunions avec les professionnels pour le suivi des enfants accueillis, elles s’apparentent vraiment aux équipes éducatives que nous faisons à l’école, avec l’observation et l’état des lieux des difficultés, la recherche commune de solutions, le suivi, le bilan et l’évaluation de ces solutions…).

 

L’enseignement m’a également appris à me remettre en cause, à être souple : les gamins nous interpellent, nous déstabilisent… Enfin, le fait de venir du milieu scolaire me donne envie d’en savoir plus, je continue à me former et à m’auto-former pour le développement de l’enfant. Et cela me donne envie d’aller de l’avant avec cet enfant que j’accueille, je mets en place avec lui la même dynamique de projets qu’avec mes élèves.

 

Que vous a procuré le métier d’enseignant ? Avez-vous des regrets du métier d’enseignant ?

 

J'ai eu beaucoup de plaisir à mener divers projets pédagogiques qui étaient les moteurs de l'année scolaire, tels que les classes vertes, les sorties sur l’environnement et le patrimoine, les rencontres avec des auteurs en partenariat avec la bibliothèque, le jardinage. Eveiller les élèves de ZEP, les sortir de l’école, les rendre curieux, leur montrer qu’autour d'eux, il y a aussi de belles choses… Ceci dit, j’essaie de le faire quand même avec le petit que j'accueille, il est notamment très ouvert au niveau sensoriel. Je n’ai pas vraiment de regret surtout quand je vois l'évolution de l'école en général. Mais je continue à garder des liens avec l'école et je compte m'y investir quand l'enfant que je garde sera scolarisé.

 

Quelles sont les principales difficultés que vous rencontrez dans cette reconversion ?

 

Au début, ce sont surtout des difficultés financières que j’ai connues : ma disponibilité commençait en septembre, j’étais en formation, je n’ai pas eu de salaire en septembre et en octobre, peu en novembre car il y a un décalage d'un mois dans les paies (j’ai commencé à accueillir cet enfant fin novembre).

 

Avant d'avoir un enfant à charge, le salaire est d'environs 400 euros par mois. Quand on accueille un enfant, on reçoit un salaire, la période difficile est la période de transition entre deux enfants, où il se passe quelques semaines pendant lesquelles on fait un bilan et redéfinit éventuellement nos projets d’accueil. Si nous ne réussissons pas le DE (Diplôme d’État) à la fin des 240 heures de formation obligatoires, nous restons contractuelles, le renouvellement d’agrément se fait tous les cinq ans, ce renouvellement disparaît en cas de réussite au diplôme.

 

Sinon, j’ai un contrat d’accueil. C’est à nous de gérer l’enfant et ce sont souvent des enfants très en demande qu’on reçoit. On peut éventuellement le confier à nos proches (parents, conjoint) mais occasionnellement, car c'est mon choix, je ne souhaite pas l'imposer aux autres, déjà que son arrivée peut perturber le reste de la famille. Ça reste une démarche très personnelle. Certaines personnes de mon entourage étaient réticentes, ça ne s’est pas fait facilement ! Donc, c’est du 24 heures sur 24. On ne peut pas dire « je prends une demi-journée pour moi ». Il faut être disponible et à l’écoute en permanence. Qui plus est, il faut l’accompagner à ses rendez-vous et être donc très mobile. Par ailleurs, l’enfant que j’accueille fait de grosses colères en ce moment et peut avoir des réactions qui me décontenancent. Pourtant, je dois être patiente et accepter que cet enfant ait un tel comportement. Enfin, il faut gérer l'attachement affectif avec l'enfant car il est amené à quitter sa famille d’accueil au bout de quelques mois ou de quelques années pour être rendu à sa propre famille.

 

 

Connaissez-vous l’association AIDE AUX PROFS ? Aurait-elle été utile pour vous aider dans votre entreprise de reconversion professionnelle ? 

 

Je ne connaissais pas du tout. C’est très difficile quand on veut partir de trouver des renseignements. Je savais au moins que je voulais partir et pour faire quoi mais ce n’est pas simple de savoir comment. J’aurais bien aimé connaître l’association avant. C’est dommage, on ne reçoit rien dans les écoles, pas de communication de l’association, pas d’infos dans la salle des profs… Ça pourrait aider beaucoup de personnes !

 

NDLR 2025: Nous n'avons pas trouvé trace de l'évolution postérieure de Valérie HUMBERT.

 


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