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Jean-Michel LAVALLARD, instituteur passionné pendant 20 ans, a monté avec toute une équipe une sarl d’édition numérique : educ-i


Jean-Michel LAVALLARD, instituteur passionné pendant 20 ans, a développé avec toute une équipe une sarl d’édition numérique : educ-i

 

Interview de Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°137 de novembre 2012 sur le Café Pédagogique.

 

Quelles ont été les étapes de votre parcours de carrière ?

 

J’ai débuté dans les quartiers nord de Marseille à 23 ans comme instituteur, après avoir bénéficié d’une très bonne formation de professeur spécialisé. J’ai été formé sur le terrain, par les stages, c’était très dynamique. J’ai très vite compris ce que l’on attendait de moi, et je suis resté 4 ans sur ce poste. Je me posais la question : comment un enfant apprend-il à lire ? Alors j’ai décidé de demander une affectation aux niveaux où l’on apprend à lire à l’école, et j’ai quitté la ZEP pour Tarascon pour enseigner en CP-CE1. Je suis resté 2 ans dans cette école Primaire.

 

Comme à 25 ans j’avais eu l’examen pour devenir directeur d’école, j’ai cherché une école de village dans le Gard, et ce fut Saint-Maximin en classe unique, c’était mon rêve d’alors. De 1997 à 2005, j’ai eu le bonheur d’enseigner sur 4 niveaux et de piloter les projets et le développement de cette école qui s’est révélée dynamique, et aujourd’hui pilote dans les NTIC.

 

Nous avons mené des projets européens, et mis en place la visio conférence dans le cadre de nos projets et l’école est passée de 1 à 4 classes en huit ans. A la suite de cette expérience très enrichissante, au cours de laquelle j’ai acquis de multiples compétences, j’ai été contacté par Microsoft après que la journal Figaro magazine m’ait consacré un article.

 

J’ai travaillé avec eux sur la mise en place des Environnements Numériques de Travail (ENT) pour réaliser une liaison entre le Ministère de l’Education Nationale, les collectivités et les enseignants. J’ai travaillé pour eux d’abord à mi-temps, une année, puis un an à plein temps, de 2005 à 2007 au total, dans le cadre d’une mise à disposition.

 

NDLR 2025 : En 2005 le député Yves CHAMARD publie un rapport plaidant pour la suppression pour les enseignants des emplois de mise à disposition, pour réaliser 150 millions d'euros sur le budget de l'éducation nationale, car ces emplois étaient rémunérés par les académies pour que les professeurs occupent d'autres fonctions que d'enseigner dans des structures associatives et des établissements publics administratifs qui ne relevaient pas toujours du Ministère de l'Education nationale. De 2005 à 2012 les services du DGRH de l'éducation nationale supprimeront exactement 5.217 postes de mis à disposition. En 2013 il n'en existait plus que 148 pour toute la France et en 2025 il ne reste plus qu'une cinquantaine de ces postes, auxquels leurs titulaires s'accrochent. Au fil de leurs départs en retraite, ces mises à disposition sont supprimées du budget de l'éducation nationale. Ainsi, en 2005 les "secondes carrières des enseignants" existaient, et dans le même temps que les Ministres de l'éducation nationale faisaient semblant, à partir de 2007, de développer les "secondes carrières des enseignants", ils ont supprimé beaucoup de plus de possibilités, qu'ils n'en ont créées.

 

Comme j’ai connu le monde de l’entreprise, ça m’a plu. L’équipe éducation de Microsoft a une parfaite connaissance de l’Education et des problématiques qui s’y posent, ça m’a beaucoup impressionné. Après, lorsque je suis revenu dans l’Education nationale, j’ai mesuré combien le Ministère ne prend pas du tout en compte les problématiques du terrain lorsqu’il décide d’une nouvelle politique, et émet ses circulaires. Il y a un véritable gouffre entre ceux qui décident, dans leurs bureaux, et la réalité du terrain, une vraie déconnexion. Je souhaitais revenir sur le terrain, et comme j’avais obtenu en 2000 mon CAFIPEMF (Certificat d’Aptitude de Formateur et Professeur des Ecoles Maître Formateur) j’ai pu, de 2007 à 2011, entrer à l’Ecole d’Application de la Gazelle à Nîmes (rattachée à l’IUFM d’alors) où j’ai formé des enseignants débutants. J’avais alors deux mi-temps, puisque l’autre était consacré à enseigner à des enfants de cycle 3.

 

Puis, en septembre 2011, c’est le déclic : j’ai mis en place, avec un autre professeur, dans le cadre du développement du Tableau Blanc Interactif (TBI) une classe numérique, pour changer les pratiques pédagogiques. Le projet « école numérique Nimoise » est né de cette expérimentation. Je cherchais des solutions quand j’ai rencontré l’équipe Apple éducation qui par sa connaissance du terrain et sa vision m’ a permis de tester l’iPad . J’ai tout de suite vu les possibilités d’une tablette dans la classe et je suis devenu consultant pédagogique. Il fallait réaliser la production d’un contenu pédagogique cohérent et c’est comme cela que nous nous sommes lancés dans la création de cahiers de vacances en édition numérique.

 

Dès 2010, j’ai senti que les I-Pad seraient « le produit de demain dans l’Education », car cet outil prend vraiment en compte le degré de créativité de l’enseignant. Les applications sont créées quasiment toutes par des professeurs. J’ai donc eu envie de me lancer dans l’édition numérique, pour aider les professeurs à créer leur contenu et à gagner de l’argent. Cette nouvelle forme d’édition a l’avantage d’être déclinée sur les portables, les I-Book, les I-Pad, les tablettes tactiles, est utilisable partout, sans que le cahier, comme support de trace écrite, soit oublié.

 

En 2011, je me suis interrogé : devenir inspecteur, ou prendre mon indépendance en créant ma société ? Je n’ai pas eu confiance dans la première solution, car lorsque l’on innove et que l’on attend une réponse de l’Education nationale pour mettre en pratique ce que l’on a inventé, la réponse se fait attendre. J’avais envie de voler de mes propres ailes, de concevoir en toute liberté des solutions novatrices, en sortant du cadre contraignant de l’Education Nationale.

 

J’ai donc mobilisé autour de ce projet des enseignants qui avaient travaillé avec moi. Ils ont décidé d’investir leur temps, et moi, mon argent. Nous croyons tous à ce projet, enthousiastes par la voie que nous développons, sur un nouveau marché en pleine croissance, aux nombreuses perspectives. Je les remercie de croire en ce projet.

 

Comment avez-vous créé votre entreprise ?

 

En janvier 2010 j’ai créé la société, une SARL dotée d’un capital de 10 000 €. Je possède 51% des parts et mes trois autres partenaires se partagent les 49% restants : Pascal MONNIER (commercial), Pierre PINEAU (toujours enseignant) et une pédopsychiatre Christelle CHRETIEN ancienne interne des hôpitaux de Marseille que le projet intéressait. En septembre 2011, j’ai obtenu une disponibilité pour convenances personnelles afin de m’investir à fond dans le développement de l’entreprise, dont je suis le gérant.

 

Quelles sont premières et prochaines productions ?

 

Nous avons commencé par développer un espace gratuit pour les enseignants, contenant plus de 1200 fiches pédagogiques structurées. Actuellement, nous nous lançons dans l’édition numérique, pour devenir une agence d’édition numérique éducative. Nous formons notre équipe aux différents outils qui vont nous permettre de lancer nos premiers contenus à la rentrée de septembre 2013. Depuis trois ans nous travaillons d’arrache-pied sur la construction d’une méthode de lecture qui prend en compte la liaison entre le papier et une interactivité numérique. Beaucoup de méthodes se disent interactives mais il n’en est rien.

 

Manu GARCIA et Dominique BILLIOTI sont deux enseignants experts au CP et je m’appuie sur leurs compétences pour créer une vraie méthode de lecture interactive et efficace. Elle sortira en mars 2013. La tablette est l’outil idéal pour le support de cours, et le papier est conservé pour réaliser les exercices. Nous comptons y ajouter des serious games, devenus incontournables dans le contexte actuel du développement des nouvelles technologies dans la pédagogie, pour répondre aux attentes et aux besoins de notre public qui a grandi avec les jeux vidéos. Nous sommes convaincus que l’éducation de demain s’effectuera aussi bien à la maison qu’à l’école. Les réseaux sociaux aident les élèves et les enseignants à construire cela. Il est important d’aller vers la simplification de l’école, pour que les parents se sentent encore mieux impliqués, associés, dans la réussite de leurs enfants. Nous travaillons en effet, dans le cadre de nos productions, sur l’estime de soi des enfants, pour réussir leur accompagnement dans les apprentissages. Nous inventons progressivement la pédagogie de demain. Nous maîtrisons la production pour les élèves du Primaire, et le challenge est de concevoir des contenus pédagogiques adaptés pour les oubliés du système ; les élèves précoces, dyslexiques, par exemple. Nous allons aussi nous attaquer au marché que représente le collège avec la création de contenus pédagogiques dans toutes les disciplines pour la rentrée 2013, avec des solutions adaptées d’accompagnement.

 

Comment est constituée votre équipe aujourd’hui ?

 

L’équipe compte une pédopsychiatre, deux web développeurs, deux illustratrices et un auteur jeunesse, tous professionnels, et dix enseignants, dont huit ont travaillé sur les cahiers de révision toujours en vente dans les écoles primaires. Les deux autres travaillent sur les méthodes de lecture et ont réalisé un livre du maître avec des vidéos. Nous produisons en effet aussi des contenus pédagogiques pour des maisons d’édition sous marque blanche.

 

Actuellement, vous recherchez des concepteurs de contenus, pouvez-vous nous en dire plus, car cela va intéresser, je n’en doute pas, une partie de nos lecteurs enseignants.

 

En effet, nous recherchons une vingtaine d’auteurs, un enseignant par discipline, pour produire des cahiers numériques. Le profil idéal de ces enseignants, c’est d’abord d’être pédagogue, de savoir prendre en compte les difficultés des différents élèves, et d’avoir l’esprit d’équipe. J’aime travailler avec des enseignants passionnés de leur discipline, et enthousiastes à l’idée de contribuer à un projet innovant comme le nôtre dans le numérique. Nos contenus seront distribués sur les Apple, les I-Books, sur Amazon, et Kindle.

 

NDLR 2025 : A l'époque de cette interview, AIDE AUX PROFS a contribué à trouver partout en France des enseignants intéressés par les besoins de jean-Michel LAVALLARD.

 

Que vous a apporté AIDE AUX PROFS ?

 

Cela m’a apporté de pouvoir faire diffuser mes offres de recrutement vers votre important vivier d’enseignants sur toute la France et dans toutes les disciplines. De plus, vous avez pas mal de connaissances, en ayant développé un réseau important, et j’adhère complètement à cette idée de s’entraider professionnellement.

 

Quelles compétences avez-vous transférées dans votre nouvelle activité ?

 

Mon dynamisme m’aide beaucoup, j’ai toujours été un enseignant passionné ! Le monde de l’entreprise est très différent du monde de l’Education. Mon parcours m’a permis d’être entrepreneur dans tout ce que je faisais à l’école, ce fut une chance. Quand j’ai endossé les fonctions de directeur d’école, j’ai eu à gérer l’école, ses conflits, ce fut très enrichissant.

 

Ensuite, en devenant formateur en IUFM, j’ai adopté la position de pédagogue, pertinente et importante, avec cette capacité à intervenir auprès de grands groupes.

 

Par exemple, Apple m’a fait faire le tour de la France, puisque je me suis rendu dans beaucoup de CRDP et CDDP et d’écoles. J’ai acquis une vision détaillée de terrain, en différents lieux, et j’ai ainsi une vision plus juste, pour développer ce que je veux. Ce fut donc une évidence pour moi de devenir entrepreneur.

 

Rencontrez-vous des difficultés dans cette entreprise ?

 

Tous les jours ! J’ai mis du temps à prendre conscience de la partie commerciale de l’entreprise, et je me force à devenir commercial. Le développement de la société n’est pas toujours simple, car il faut gérer, créer le produit en adéquation avec ce que j’ai envie de développer, c’est une recherche constante vers la qualité.

 

Comment devient-on un commercial après avoir été prof ?

 

Quand on croit en son produit, on le vend tout seul, en trouvant les arguments percutants pour convaincre. Il a fallu que je me familiarise avec un vocabulaire financier qui m’était étranger, comme la marge commerciale, la cible clientèle, les prospects, le chiffre d’affaires. Au début, nos prix étaient petits, comme par timidité, puis j’ai compris que si nos produits sont de qualité, alors les clients doivent y mettre le prix.

 

Et maintenant, comment voyez-vous l’avenir ?

 

Une chose est sûre : je ne reviendrais pas en arrière, je ne retournerais pas enseigner, car j’ai dans cette entreprise une très grande liberté d’action.

 

J’ai eu la chance dans ma carrière de rencontrer des IEN remarquables, qui m’ont toujours laissé faire ce que j’avais envie de faire avec les élèves, j’étais un peu pour eux un « zébulon », et j’ai toujours pu avoir cette liberté pédagogique que j’affectionnais.

 

Actuellement, mon objectif est d’arriver à rémunérer les professeurs qui travaillent avec moi. En 2010, notre Chiffre d’Affaires (CA) a été pour une demi-année de 7000 €, en 2011 de 8000 € et en 2012, il atteindra au moins 60 000 €, ce qui donne une idée des perspectives du marché que nous investissons. Je resterais en disponibilité. J’ai enseigné 20 ans et j’ai adoré ça, mais revenir serait une catastrophe, car j’ai découvert que l’on peut avoir plusieurs vies, et je ne pense pas du tout à l’échec de ce que je suis en train de construire.

 

Avez-vous été aidé par l’Education Nationale ?

 

Je n’ai reçu aucune aide de leur part. Mon inspectrice m’a simplement dit, lors de son bilan d’enseignement, quand j’ai demandé à prendre une disponibilité : « je vous souhaite de réussir dans votre entreprise ».

 

Je n’attends aucun retour de l’Education Nationale, car il n’y a jamais de remerciement de la part de notre hiérarchie sur ce que l’on fait.

 

Même si je dois beaucoup à l’enseignement, c’est pour moi un nouveau départ, je me sens libre, je vais de l’avant, c’est un nouveau virage. Je suis très pessimiste quant à la capacité de l’Education nationale à se positionner positivement sur la mobilité.

 

Je ne connais pas d’enseignant qui ait fait appel à un conseiller mobilité carrière, et moi-même je ne savais même pas que ça existait, tellement l’information est mal diffusée sans doute, car l’Education Nationale ne communique pas dessus. Pourtant, il est essentiel de permettre à un professeur d’évoluer, tant en interne qu’en externe, quand il estime avoir donné assez, et d’avoir envie de faire autre chose. Empêcher les gens de partir, c’est les conduire peu à peu dans une démarche de démotivation qui n’est pas du tout favorable à un bon climat de travail dans l’Institution. Aujourd’hui, professeur est devenu un métier très difficile, car on déploie beaucoup d’efforts pour se faire respecter.

 

Quel conseil donner à un professeur qui, comme vous, souhaite créer son entreprise ?

 

Il faut être très costaud moralement, c’est vraiment un autre métier. Quand on est prof, on n’a pas conscience de la réalité commerciale et financière de la société. Il faut croire en son produit, savoir le vendre, ne jamais lâcher ce que l’on fait, faire preuve de patience, tisser et développer un réseau de relations complémentaires, et savoir se mouiller pour aller vers les autres, pour agir.

 

Il faut aussi savoir « prendre des claques », ne pas avoir peur, et si l’on croit en ce que l’on fait, on s’en relève toujours, et on ne refait jamais les mêmes erreurs. Ensuite, il faut être très disponible, travailleur. Je consacre au moins 10 heures par jour à mon entreprise, 7 jours sur 7, et je suis bien moins fatigué que lorsque je revenais d’une journée d’école.

 

Professeur, c’est une métier très physique, où il faut toujours être au top au niveau psychologique, ce métier est de plus en plus difficile à exercer, et on ne le dit pas assez aux étudiants qui envisagent de devenir enseignants.

 

Bénéficiez-vous d’une formation dans votre démarche d’entrepreneur ?

 

Je suis accompagné par INNOV’UP qui est un incubateur de jeunes startups innovantes, c’est spécifique à la ville de Nïmes. Dans chaque région en France il y a un incubateur de ce type.

 

Il suffit de prendre rendez-vous, pour savoir à quelles aides ou subventions on peut avoir accès. Il ne faut pas hésiter non plus à contacter une CCI, ce que j’ai fait également, car ils accompagnent eux aussi les entrepreneurs dans leur démarrage. Actuellement, je recherche des investisseurs, nos contenus sont prêts, il nous faut les développer.

 

Aux dernières nouvelles Jean-Michel LAVALLARD a poursuivi son aventure professionnelle depuis 2012 ainsi :

 

- 2013-2014 : IT Consultant pour Econocom

 

- 2014 : IT consultant pour Microsoft

 

- 2015-2016 : Ambassadeur Microsoft

 

- 2011-2017 : Entrepreneur enseignant sur Educ-i (lors de notre interview)

 

- 2017-2018 : Project Manager chez Projetlys Edition

 

- 2019-2020 : ¨Président d’Education Digitale

 

- 2020 : Consultant Senior pour The World Bank Group en Côte d’Ivoire

 

- 2015-2021 : CEO pour DiGiCours (qu’il a créée)

 

- 2021-2024 : Président de Mima Campus

 

- 2024 à ce jour : Référent Education pour ORDISYS Informatique

 

 

Le 27 août 2012 pour qu'il puisse présenter son projet au Ministre de l'éducation Vincent PEILLON, nous invitons Jean-Michel LAVALLARD à notre rencontre avec Jean-Paul DELAHAYE (Conseiller Spécial) et Bernard LEJEUNE (Conseiller Social).

 

Puis se produit juste après notre entretien comme une sorte de "petit miracle". Nous croisons Vincent PEILLON, qui reconnaît Jean-Michel, qui a l'époque est l'informaticien bénévole qui vient de temps en temps dépanner informatiquement les parents du ministre...

 

C'est ainsi que nous avons pu échanger nous aussi avec Vincent PEILLON, en oubliant de faire, dans l'émotion, ce qui aurait pu être une très belle photo.


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