
Jacques INAUDI, ancien professeur d’EPS, a réalisé un parcours de carrière très diversifié hors de l’Education nationale
Interview de Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°132 d’avril 2012 sur le Café Pédagogique.
Pouvez-vous nous décrire les différentes étapes de votre parcours de carrière ?
« Après mon Bac, de 1967 à 1970 je suis allé en Allemagne faire mon service militaire comme Maître d’Armes, détaché dans un lycée français. J’y ai alors enseigné l’EPS. Très vite je me suis senti mal à l’aise dans ce métier et me suis convaincu qu’il fallait partir.
Je suis donc revenu en France, et j’ai trouvé du travail comme dessinateur industriel dans une usine de produits béton, sans avoir repris de formation préalable. Cela m’a permis de passer le temps, en attendant de trouver autre chose.
Fin 1970 j’ai été recruté au Crédit Mutuel de Bretagne, en agence, pour être employé au guichet. Au bout de 9 mois, dans cette entreprise en pleine expansion, il m’a été proposé de créer de toutes pièces et de gérer une agence, alors que je n’avais pour seul diplôme qu’un Bac et ma formation de Maître d’Armes, et j’ai accepté.
Pendant les 8 années suivantes, j’ai alors été responsable de différentes agences, au fil du temps, de plus en plus importantes, cette fonction me laissait beaucoup d’autonomie et de responsabilités dans mon travail.
Après cette très riche expérience professionnelle, j’ai eu envie de changer, car j’étais saturé. Pris par ce travail passionnant, étant célibataire, je n’avais quasiment jamais pris de vacances. Je suis donc parti fin 1978 à la recherche d’un autre emploi. J’ai répondu à une annonce d’ EDF qui cherchait un salarié temporaire et j’ai été recruté pour 6 mois. J’avais placé comme condition dans mon contrat que je puisse me rendre à tous les entretiens d’embauche auxquels je pourrais être convié, puisque je n’avais pas l’intention de rester chez EDF.
Rapidement et simultanément, j’ai eu une proposition pour aller en Guyane à Kourou pour gérer un chantier sur le site d’Ariane, et une autre proposition dans une filiale du Crédit Foncier à Paris, j’ai alors prévenu mon employeur, qui m’a proposé la transformation de mon contrat temporaire en CDI, ce que j’ai accepté. Très vite, j’ai eu l’occasion de passer un concours national donnant accès à une formation de type Universitaire, sur 3 ans à temps plein incluant notamment des cours dispensés à La Sorbonne Paris 1 et à l’ESSEC.
En 1985, à l’issue de cette formation, j’ai été affecté à EDF à la Centrale de Flamanville comme adjoint au chef du service des ressources humaines, qui est parti 2 ans plus tard, et que j’ai alors remplacé jusqu’en 1990. Flamanville, ce fut une ambiance de chantier extraordinaire, j’en garde de très bons souvenirs, je me suis fait beaucoup d’amis là-bas.
Ensuite, dans le contexte normal et habituel de la mobilité des cadres, j’ai été muté à la Direction Régionale de la Production comme Responsable du Service Juridique et Fiscal, dans le domaine du contentieux, où je dirigeais alors 20 personnes. J’y suis resté de 1990 à 1994, mais l’ennui venant à nouveau, de 1994 à 1999 j’ai rejoint EDF à Mont-Saint-Aignan comme chargé de mission communication et relations avec la presse, avec la mise en place d’un journal interne.
J’ai fini aussi par m’ennuyer…et de 1999 à 2002, je suis alors devenu Attaché de Direction à la Centrale de Penly, au nord de la Seine-Maritime. Et là, je ne me suis pas plu du tout (pour rester poli !) ne retrouvant pas l’ambiance pionnière que j’avais pu connaître à Flamanville.
J’ai donc fait en sorte d’être recruté à Paris à la Direction des Centrales, où j’ai alors fait équipe avec le Directeur de l’Immobilier d’EDF, pour réfléchir à la politique du logement à EDF et la réformer. De 2002 à 2008, ce fut passionnant, nous étions une petite structure de 3 à 5 personnes avec beaucoup d’autonomie, et de pouvoir de décision. J’avais la chance d’inventer et de développer mon activité qui consistait à réorganiser la gestion technique du patrimoine immobilier d’EDF sur l’ensemble du territoire français, soit environ 15 000 logements, et à gérer un budget d’investissement d’environ 100 millions d’euros par an !
J’y ai terminé ma carrière le 1er février 2008, j’ai dû prendre ma retraite, plutôt malheureux d’arrêter de travailler.
Pendant les années 1997 à 2008, j’ai été élu, en parallèle à mon activité professionnelle, au Conseil des Prud’hommes, mandaté par la CFDT à laquelle j’adhérais depuis des dizaines d’années. J’y présidais les audiences publiques de la section encadrement , participais aux délibérés et rédigeais les jugements. J’étais également mandaté par la CFDT pour assurer la défense des salariés devant la juridiction prud’homale, le Tribunal des Affaires Sociales et la Cour d’Appel devant laquelle j’ai eu l’opportunité de plaider une fois. Ce fut une expérience absolument passionnante. De plus à Paris comme à Penly, je représentais mon employeur EDF, y compris devant les TGI ou les Conseils de Prud’hommes. J’ai ainsi découvert l’art de la plaidoirie, de la défense, de la négociation. Accessoirement, en 2008 - 2009 j’ai fait partie du Conseil d’Administration de Que choisir ? à Rouen. N’y trouvant pas le plaisir que j’espérais j’ai arrêté ce bénévolat après 2 ans."
Pourquoi avoir cessé d’enseigner si vite ?
« L’EPS me plaisait comme activité, comme pratiquant, mais dès qu’il s’est agi de transmettre cette discipline, cela m’a beaucoup déplu. Le rapport aux élèves (de collège, de lycée) me mettait mal à l’aise, et je me suis immédiatement aperçu que je m’étais trompé de voie, qu’il ne fallait surtout pas que je tente d’y persister.
J’ai eu l’impression qu’en restant dans ce métier, j’y aurais été malheureux toute ma vie. C’était beaucoup trop ennuyeux, et j’avais l’impression de n’y développer aucune compétence. »
Quelle expérience professionnelle vous a le plus apporté ?
« Ce sont mes 9 ans dans la banque qui m’ont le plus marqué, car ce fut l’expérience la plus utile. Le travail y était extrêmement autonome, et j’y avais beaucoup de responsabilités, de pouvoir, et j’y ai gagné beaucoup en assurance et en confiance.
Plus tard, au Conseil des Prud’hommes, j’ai appris la modestie, à écouter les autres, à débattre, ce fut très enrichissant, cela a changé beaucoup mon approche de la société, des problèmes sociaux. »
Que conseilleriez-vous à un jeune prof qui estime lui aussi s’être trompé de métier ?
« D’abord, d’avoir confiance en lui et dans l’avenir. Quand on quitte un monde aussi figé (dans ses structures) que l’enseignement, tout devient possible.
Si l’enseignant est malheureux dans ce qu’il fait, il lui faut partir le plus vite possible, au lieu de se morfondre, de devenir un déprimé chronique !
Il est essentiel de se préparer, de bien prendre ce temps pour rebondir ailleurs, pour définir son projet, puis foncer pour le réaliser. Surtout, il faut garder à l’esprit que l’activité professionnelle doit être synonyme de plaisir. »
Et que diriez-vous à un enseignant qui souhaite créer son entreprise ?
« Il faut vraiment le vouloir, car c’est une aventure aléatoire, risquée, anxiogène ! Il est essentiel de bien s’y préparer.
Seuls les gens très bien préparés – et j’insiste lourdement sur ce point – réussissent.
Il ne faut pas créer son entreprise seul, sans conseils, sans accompagnement. Il faut aller rencontrer des conseillers par exemple à la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI) de son département, et ne pas se contenter d’un seul avis.
Il faut prendre le temps d’analyser son projet, et accepter de se faire critiquer, car ce sera positif pour l’avenir. Il est important d’aller à la rencontre de personnes ayant eu un projet similaire, puis de prendre ensuite le risque. Je conseille un capital de départ de 5 000 à 10 000 €. »
Vous qui avez été Directeur d’Agences du Crédit Mutuel, pouvez-vous nous exposer les difficultés que rencontrent en général les entrepreneurs ?
« En effet, j’ai fait dans ma carrière au Crédit Mutuel du crédit aux petites entreprises, aux commerçants, aux artisans, et aux particuliers.
Quand les petites entreprises déposent leur bilan, ou se mettent en cessation d’activité, c’est pour deux raisons essentielles :
- des carences en matière de gestion, avec dès le départ une confusion entre Chiffre d’Affaires et bénéfice ; un manque d’attention à la facturation des clients. Cela induit une descente aux enfers épouvantable et l’individu en est lui aussi bouleversé ;
- un mauvais choix initial en cible de clientèle, en secteur de marché. L’étude de marché préalable est capitale pour ne pas aller droit dans le mur. Aujourd’hui, il existe heureusement des structures de conseil et d’accompagnement par exemple dans les CCI.
Il faut savoir que les petits entrepreneurs sont facilement déstabilisés s’ils oublient de prendre le temps nécessaire pour leur gestion. Si l’un de leurs clients leur fait un « chèque en bois », et que ce défaut de paiement concerne un grand pan de leur activité, alors c’est la catastrophe. Il faut absolument éviter d’être dépendant, dans son activité, de quelques clients. »
Quel regard portez-vous aujourd’hui sur les enseignants ?
« Ce sont des gens formidables, passionnés et passionnants, mais pris dans un carcan kafkaïen… ! Je les considère souvent comme très conservateurs mais ils sont gérés par une administration aveugle qui ne reconnaît pas ses salariés, qui est incapable de valoriser leurs compétences. Tout cela ne favorise pas un climat de confiance entre l’employeur Education Nationale et ses salariés.
Par exemple, mon épouse a été enseignante, elle est partie après 25 ans de métier. Lors de son départ, le rectorat n’a même pas organisé un pot dans son école, même pas cette petite reconnaissance là ! Cela peut paraître dérisoire mais en matière de Gestion des ressources Humaines, je considère que c’est est un grave dysfonctionnement.
Dans toutes les entreprises où j’ai travaillé, il y avait des égards pour les gens qui partaient en retraite. L’entreprise payait le restaurant, ou offrait quelque chose avec les collègues.
Les enseignants, eux, sont complètement ignorés par leurs managers. Cela donne l’impression que dans ce système il n’y a aucun respect de la personne, c’est vraiment du grand n’importe quoi ! »
Aux dernières nouvelles Jacques INAUDI profite de sa retraite
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