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Ingrid WESTERCAMP, professeur de philosophie pendant 20 ans, est devenue Assistante de Service Social


Ingrid WESTERCAMP, professeur de philosophie pendant 20 ans, est devenue Assistante de Service Social

 

Interview de Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°133 de mai 2012 sur le Café Pédagogique.

 

Quel a été votre parcours de carrière ?

 

Après mon Bac, j’ai commencé des études de Droit et Langues, et deux ans plus tard je suis partie en Allemagne travailler comme interprète.

 

A mon retour, j’ai repris des études à Paris, à la Sorbonne et à l’Institut de Philosophie comparée, et les ai poursuivies jusqu’à un DEA d’épistémologie. Dans un premier temps, j’ai commencé à enseigner à l’université pendant 3 ans comme professeur de logique et de métaphysique, puis j’ai enseigné la philosophie en classe de terminale 9 années, dans des lycées du privé comme du public. En parallèle, je réalisais des sessions de formation pour adultes en philosophie éthique et politique pour un public très demandeur, attentif, avec une capacité d’échange qui bien sûr m’apportait beaucoup de satisfaction professionnelle, c’était passionnant.

 

Je donnais aussi des cours de philosophie dans un Institut Régional du Travail Social et j’ai été sollicitée pendant 4 ans pour le jury du Diplôme d’Etat d’Assistant de Service Social à Bordeaux. Plus personnellement dans mon adolescence j’avais aussi eu l’opportunité aux côtés de bénévoles de rendre des visites régulières à des personnes âgées, à leur domicile ou à l’hôpital. C’est aussi par ces rencontres, que j’ai appris progressivement à entendre et écouter ces personnes âgées, souvent esseulées et délaissées. C’est certainement cet ensemble d’éléments ans mon parcours qui à un moment font sens et me conduisent à passer le concours d’Assistant Social avec pour objectif de travailler auprès des personnes âgées.

 

Je m’engage alors pour 3 années d’études, j’entreprends de nombreux stages, 6 mois par an, d’abord au CHU de Poitiers au pôle gériatrique, puis en réseau gérontologique. A l’issue de la formation, il me fallait trouver moi-même mon poste en démarchant les différentes structures. C’est à Marmande que je travaille actuellement depuis 2 ans, comme assistante sociale en soins de suite et de rééducation, service polyvalent à orientation gérontologique, sur la consultation mémoire et l’unité Alzheimer. Les patients qui sont accueillis ont des pathologies multiples : fractures, AVC….

 

En quoi consiste votre nouvelle activité professionnelle ?

 

Dans ce service, j’occupe mi-temps la fonction d’Assistance sociale, et pour un autre mi-temps j’anime des « consultations mémoires », pour les patients atteints de la maladie d’Alzheimer. La structure où je travaille est un établissement pilote en la matière.

 

Cela consiste à prendre soin du patient, de sa famille aussi et, en complément du diagnostic médical posé par les médecins gériatres, je repère et analyse les difficultés du quotidien posées par des pathologies particulières, des atteintes neurologiques très variées, afin de mettre en place des mesures de protection adaptées. Je réalise aussi l’accompagnement social du patient.

 

Je recueille l’histoire de vie de la personne, ses failles, ses blessures, pour pouvoir ensuite aider les partenaires à ajuster leurs interventions en fonction du profil du patient. C’est un cheminement vers l’acceptation, pour le patient âgé, d’un soutien extérieur à la famille, un professionnel qui interviendra à son domicile. Dans ce contexte, je me charge de réaliser les dossiers de demande d’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA), de solliciter l’Hospitalisation A Domicile (HAD), les Centres Locaux d’Information et de Coordination (CLIC), d’orienter les personnes âgées et handicapées vers les structures qui conviendront à leurs pathologies, et je sollicite les réseaux gérontologiques. Tout ce travail de mobilisation des réseaux, des partenaires contribue à l’accompagnement des familles qui culpabilisent énormément d’avoir confié un de leurs proches à d’autres soins que les leurs. J’établis des liens de confiance pour que la prise en charge de la personne aimée s’effectue dans les meilleures conditions de compréhension et de satisfaction pour tous et je viens en aide aux familles pour trouver le financement de la structure d’hébergement. Il faut compter actuellement environ 2000 €/mois dans une structure dépendant de l’Etat et 2500 €/mois pour une structure privée. Les dossiers de demande d’aide que je réalise sont transmis au Conseil Général. J’initie également des démarches en étroite collaboration avec médecins et juges en vue de protéger les majeurs vulnérables dans leur personne et dans leurs biens. Il est possible de mettre en place, pour les personnes âgées vulnérables des mandats de protection : curatelle simple ou curatelle renforcée, ….

 

Sans cette protection juridique, la famille d’une personne âgée qui aurait été abusée par une tierce personne ne pourra pas agir juridiquement. Une fois par mois, j’anime le groupe des aidants, pour accompagner les proches du patient, pour réfléchir ensemble aux comportements adaptés, aux bons gestes.

 

Quelles compétences pensez-vous avoir développées dans l’enseignement ?

 

Ce sont surtout celles liées à la discipline que j’enseignais, la philosophie. Elle a aiguisé mon regard sur le monde, sur les autres et d’apprendre à mieux les connaître, à entrer en relation avec eux, en étant attentive, à l’écoute, empathique. La philosophie m’a transmis un besoin d’unité, d’harmonie. Elle m’a permis de découvrir que la relation est notre origine, notre être, notre avenir.

 

Quelles compétences pensez-vous avoir transférées sur votre nouvelle activité ?

 

Le sens de l’accueil, de l’objectivité, de l’écoute, le respect de l’autonomie des personnes et de leur libre arbitre, l’apprentissage d’un regard qui ne s’en tient pas aux apparences mais qui s’efforce de rejoindre la personne dans son intériorité. Les personnes âgées et dépendantes que j’accompagne sont des êtres d’histoire et ne doivent pas être infantilisées. La philosophie soutient mon activité professionnelle, l’anthropologie et la réflexion sur les valeurs sont le terreau de ma pratique.

 

Quels conseils donneriez-vous à un enseignant qui souhaite changer de métier ?

 

Le problème actuellement est que l’on ne prend pas tellement les profs au sérieux quand ils évoquent leur volonté de changer d’horizon professionnel. La société les culpabilise, en les soupçonnant de ne pas être adaptables, de ne savoir qu’enseigner, et cela constitue un frein à de nombreux projets, car il faut beaucoup de combativité pour l’enseignant qui souhaite s’en sortir.

 

Le professeur doit d’abord trouver le levier qui lui permettra de se remotiver, d’aller de l’avant, de rencontrer d’autres personnes qui, comme lui, ont eu envie de changer et sont allés au bout de leur projet. Les enseignants ont eu le goût de la transmission des savoirs et ont occupé pendant des années une estrade pour s’adresser à leurs élèves. Leur enseignement a été très physique pendant une durée plus ou moins longue, en fonction des publics auxquels ils faisaient face, et il est important d’analyser d’abord ce que cette période leur a apporté avant d’envisager de changer.

 

Vous avez publié aussi un ouvrage sur « la promesse de vieillir digne », pouvez-vous nous en dire plus ?

 

Cet ouvrage est une très belle aventure et beaucoup, beaucoup de plaisir. Il est issu du travail de soutenance de mon Diplôme d’Etat d’Assistante de Service Social. Mon objectif est de servir la cause de la personne âgée dépendante, et mon travail de terrain a servi ma réflexion en ce sens, et je présente de nombreux exemples dans ce livre. J’y analyse les émotions, les blessures, les sensibilités humaines, et cet ouvrage est une approche positive des choses. Professionnel du soin, et de l’accompagnement, proche des personnes en vieillesse, ma pratique du respect de la personne âgée est source de vie pour chaque journée nouvelle, et cet ouvrage donne des clés à chacun pour lui permettre lui aussi d’agir, pour ses proches confrontés à cette nouvelle étape de leur vie.

 

En savoir plus :

 

Ingrid Westercamp, La promesse de vieillir digne, un choix qui nous regarde, Les Savoirs Inédits, 254 p.

 

Ses autres ouvrages depuis cette interview.


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