
Pierre MATHUES : de la salle de classe à la salle de spectacle, pour aider les enseignants à combattre leurs stress !
Interview de Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°118 de décembre 2010 sur le Café Pédagogique.
Pierre MATHUES était prof de français depuis 1980. Aujourd’hui, il est conseiller pédagogique, coach d’équipes de direction et aussi … comédien. Ave
Avec son spectacle « Silence dans les rangs ! » il passe l’école à la moulinette du rire. Rencontre d’un prof passé de la salle de classe à la salle de spectacle.
« Je suis devenu professeur de français en 1980. C’était dans un lycée de jeunes filles, une section coiffure. J’étais très jeune et mes élèves aussi. Déjà à l’époque, ce n’était pas facile d’être un jeune prof. J’ai travaillé ensuite près de 20 ans en collège et lycée en passant de sections bureau, couture à des sections plomberie, construction ou électricité... J’enseignais entre 20h et 22h par semaine, dans des classes de 15 à 25 élèves. Durant ma carrière, j’ai mené des projets pédagogiques axés sur le théâtre et les marionnettes dont je suis passionné depuis l’adolescence et aussi beaucoup de projets écriture avec pas mal de publication de journaux scolaires. J’ai aussi accompagné des voyages scolaires et même organisé un défilé de mode en collaboration avec des collègues de couture. Tous ces projets étaient des soupapes pour tenir le coup et surtout des façons extraordinaires de motiver les élèves.
En 1998, j’ai eu la chance d’être sollicité pour un détachement de l’enseignement comme conseiller pédagogique. J’ai donc quitté le face-à-face pédagogique. Je travaille en Belgique pour l’enseignement catholique. Mon rôle est d’accompagner les professeurs débutants pour leur mettre le pied à l’étrier dans le métier.
Je suis devenu aussi « coach » de directeurs, « pilote » pour que les écoles soient mieux autogérées afin que le directeur ne soit plus seul dans son bureau, mais qu’il y ait une direction collégiale, pour que les décisions soient mieux acceptées, que les professeurs soient associés aux décisions de leur direction ».
Lorsque Rémi BOYER d'AIDE AUX PROFS a rencontré Josette Théophile le 20 avril 2010, c’est l’une des idées que nous lui avons soumises, sans savoir que cela se pratiquait déjà en Belgique. Créer une direction collégiale présente en effet l’avantage, lors de l’arrivée d’un nouveau chef d’établissement, de disposer d’un noyau de personnes soudées, constructives, plutôt que de rencontrer comme c’est parfois le cas une « volée de boucliers » face à un nouveau changement de management. « Je continue à travailler de temps en temps avec des groupes d’élèves. L’an dernier, par exemple, j’ai supervisé un projet Jacques Brel ironiquement rebaptisé « Bracques Jel » avec des élèves de 18-20 ans d’une section infographie. C’est une vie un peu compliquée et bien remplie … Conseiller pédagogique, coach, encore un peu prof, mais aussi comédien quasi à mi-temps. Je jongle avec des congés sans solde pour mener cette vie que j’aime. »
Depuis quand vous passionnez-vous pour la comédie ?
« Depuis l’adolescence, dans des mouvements de jeunesse. Depuis 30 ans, j’ai mené des projets théâtraux de toutes sortes. Un exemple ? « Insolent" une troupe de café-théâtre à l’humour décalé basé sur l’actualité. Je n’ai pas de formation théâtrale mais je me suis professionnalisé au fil des ans au contact de metteurs en scène, de régisseurs… J’ai tout appris sur le tas, en pratiquant. J’ai participé deux fois au festival d’Avignon avec « Les Speculoos ».
Avec mes élèves, en parallèle, je faisais aussi du théâtre, et je produisais 40 à 80 spectacles par an avec un statut d’amateur, juste par plaisir. Un jour, j’ai eu un déclic pour un ouvrage de Boris SEGUIN et Frédéric TEILLARD : « Petit manuel de savoir-vivre à l’usage des enseignants ». C’est un texte noir, assez désespéré sur ce métier. Mais je l’ai trouvé très drôle. Alors je l’ai décliné en sketches, j’ai eu envie de regrouper des textes, et j’ai écrit moi aussi beaucoup de sketches sur l’école, une chanson, un « Haka » à la manière de l’équipe des All Blacks.
Le Haka de mon spectacle, c’est « Va chercher ta classe ! Il va falloir faire face ! ».
Quand j’ai découvert le livre, j’en ai pleuré de rire, et maintenant, je fais rire des salles d’enseignants, au rythme de 50 spectacles par an environ. Je joue dans des théâtres mais aussi des lycées, des IUFM, en France, en Suisse, en Belgique…l’existence de ce spectacle se transmet par un bouche à oreille assez réjouissant pour moi, je reçois de plus en plus de demandes pour le produire ici et là. En Suisse, à l’université de Lausanne, j’ai joué devant 350 instituteurs, et à Vevey devant 250 professeurs ».
Quelles ont été vos motivations pour enseigner ?
« Je voulais être professeur d’histoire et de français. Je suis fils d’enseignants et j’ai vu mes parents instituteurs heureux dans cette profession. Durant ma scolarité, j’ai eu de très bons enseignants qui ont su me transmettre leur passion pour leur discipline. Alors aujourd’hui j’aime écrire des textes, faire de l’improvisation. Je dis sur scène des choses que je n’oserais jamais aborder comme conseiller pédagogique et ça fait rire ! C’est un défouloir, c’est une thérapie et en même temps, tout mon spectacle est rempli de bienveillance et d’empathie. »
Et quelle a été votre motivation pour quitter la classe ?
« Je n’ai pas cherché à quitter ce métier, même s’il est devenu très fatigant. Mon tempérament me fait souvent dire « oui » à la vie, aux choses qui arrivent. Quand la chance passe, il faut la saisir. Quand le train passe, il vaut mieux être sur le quai que dans la salle d’attente, non ? Il y a 12 ans, mon directeur est venu me proposer, alors que je préparais ma rentrée en repeignant les coulisses de mon petit théâtre à l’école, un poste de conseiller pédagogique pour le 1er degré professionnel, pour des élèves à partir de 12 ans. C’est une structure pour ceux qui ont raté le primaire, qui arrivent au collège sans diplôme, sans le Certificat des Etudes de Base que l’on obtient en Belgique. Il fallait que je prenne ma décision dans la journée, et j’ai quitté mon poste d’enseignant le 28 août. »
Quelles compétences avez-vous développées comme enseignant ?
« Pour les savoirs, ceux des différentes matières que j’ai enseignées, notamment les Lettres. J’ai un diplôme d’agrégé de l’enseignement secondaire. J’ai aussi enseigné l’histoire, l’économie sociale et familiale, le théâtre. J’ai peu à peu inventé mon métier, car je suis curieux, et j’aime, lire, apprendre, me former, chercher…
Au niveau des savoir-faire, je sais animer des « hordes » d’adolescents 7h à 8h par jour, rédiger des rapports de réunions, préparer un ordre du jour, mener des conseils de direction. J’ai participé à des Comités de Sécurité et d’Hygiène, je sais anticiper, réaliser des médiations dans des groupes, lorsqu’il y a des conflits.
En termes de savoir être, je sais mener des projets... »
Avez-vous rencontré des difficultés en tant qu’enseignant ?
« Enormément. Quand on est jeune prof, tenir un groupe est difficile. Il faut trouver sa place, car les traditions sont étouffantes dans les différents établissements au niveau des relations entre collègues. Il y a des codes à respecter, des habitudes… Le plus difficile au début est d’obtenir le silence en classe, d’être respecté, de gérer les punitions. On commet toujours des erreurs…
Par exemple, il ne faut pas donner tout de suite des punitions, il faut savoir établir une gradation des sanctions, pour qu’elles aient plus d’impact, que pour certaines, l’élève ait bien conscience qu’à un moment donné il a vraiment franchi une limite. Cette période difficile a duré 2 à 3 ans.
Etre enseignant, c’est savoir préparer des documents attrayants, un cours intéressant, installer un climat de travail, de confiance aussi, et obtenir le silence qui favorise la concentration de tous, facilitant les apprentissages. Actuellement, on ressent en Belgique une pénurie d’enseignants et les directeurs sont devenus plus attentifs aux difficultés que rencontrent les jeunes, alors que dans les années 1980, le credo c’était un peu « bonne chance, tu te démerdes… ».
Faites-vous une comparaison entre votre pratique de l’enseignement il y a 20 ans et maintenant ?
« Il y a des ressemblances : toujours des chahuteurs dans les classes, des freins. Mais je dispose d’un confort plus grand pour préparer, et je n’ai pas de face-à-face pédagogique pour enseigner une discipline donnée. Les différences, c’est que mon travail est très diversifié. Je mène des réunions, je fais de la scène, c’est plus amusant. Je travaille autant qu’avant, je fais des formations aussi…mais je trouve globalement que mon travail est devenu « plus cool ». C’est devenu un rythme très différent par rapport aux enseignants soumis aux sonneries pour changer de classe… »
Que conseilleriez-vous à une personne qui souhaite faire ce métier en première ou en seconde carrière ?
« Comme dans toute profession, il faut s’accrocher au début, au moins pendant 2 à 4 ans, s’investir, trouver son style. On n’y arrive pas du jour au lendemain. C’est comme le bon vin, il faut beaucoup de temps pour en produire un. Il faut savoir s’entourer, faire équipe, dire bonjour le plus vite possible à un maximum de gens dans les couloirs, pour avoir des amis, des soutiens.
Il faut montrer aux élèves que l’on a des alliés dans l’établissement, être en forme physiquement, bien dormir, être d’attaque et de bonne humeur au quotidien, mener un projet dès sa première année d’enseignement (sortie, excursion) pour voir ses élèves différemment… ou simplement manger ses tartines avec ses élèves, ce sont des détails importants.
Je ne conseille surtout pas de donner aux élèves son numéro de portable ou son profil sur Facebook. Il ne faut pas être copain avec ses élèves. Les anciens, oui, mais pas ceux que l’on a devant soi en classe. Pour ceux qui ont envie de devenir enseignant, je leur dis « pourquoi pas ? » Même si le travail semble « cool » au niveau des horaires, il faut s’armer de courage, ce n’est pas si simple, on peut avoir parfois des classes de 25 à 38 élèves. Il faut donc savoir faire du lien avec les autres, être solidaire, avoir une discipline posée, régulière, être constant dans ses exigences.»
Une association qui accompagne les enseignants dans leurs projets professionnels de reconversion, vous en pensez quoi ?
« Pour quitter ce métier, il faut avoir de l’audace. En effet, que faire après ? Mais pourquoi pas ? En Belgique, on devient professeur soit en faisant un « régendat » (3 années avec beaucoup de stages) soit un « master » (5 années et paradoxalement très peu de stages). Le drame, c’est qu’entre 1 et 5 ans de travail dans une école, un prof sur deux arrête ce métier.
Les fins de carrière ne sont pas non plus idéales. Il faudrait inventer une sortie en souplesse avec pour ceux qui le souhaitent un coaching des plus jeunes profs par les aînés et donc moins de face-à-face pédagogique pour les aînés… Il y a la possibilité de prendre des mi-temps avec une indemnité, de faire une pause carrière de 2, 4 ou 6 ans en conservant ses droits, mais sans être payé, pour aller faire autre chose, puis revenir. Donc, une association qui aide les enseignants, c’est utile, car beaucoup ne se sentent pas d’attaque pour mener leur projet seuls.»
Que souhaitez-vous ajouter ?
« Pour que l’Ecole décolle, il faut des idées folles ». Pour être prof aujourd’hui, il faut être un peu fou, être « allumé » par sa discipline, passionné. Les élèves le sentent très vite.
Si le prof est « éteint », ça va être très dur pour lui, il vaut mieux qu’il ne soit pas prof. Il faut de l’élan dans cette profession, ne pas hésiter à se déplacer dans les rangs, être actif, il faut savoir « sortir du rang », se démarquer des autres enseignants face à ses élèves. Chaque enseignant construit ses propres recettes, en fonction de sa personnalité et de ses classes, pour survivre au fil des ans dans ce métier. Pour durer, il faut aussi savoir désobéir, trouver les marges de liberté dans les programmes.»
Pierre MATHUES, un travailleur infatigable, homme de spectacle, dont la logistique est assurée par sa compagne. Ils parcourent la France et la Belgique par Monts et par Vaux pour faire rire des milliers d'enseignants.
Contact pour organiser la venue de son spectacle dans ton établissement scolaire : Pierre MATHUES
"VA CHERCHER TA CLASSE IL VA FALLOIR FAIRE FACE !"
Pierre MATHUES: "Cette vidéo fut réalisée à Rouen dans un Lycée professionnel Privé, et te donne un aperçu de l’énergie développée par une centaine d’enseignants, la pratique de ce Haka au quotidien pourrait se révéler stimulante avant d’aller chercher chacune de ses classes, avant le face-à-face pédagogique qui est parfois déstabilisant, notamment pour les jeunes enseignants. C’est un peu une provocation souriante".
Un autre extrait du spectacle "SILENCE DANS LES RANGS !" que Pierre MATHUES a joué en France et en Belgique dans des centaines de salles de spectacles.
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