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Francine DUPROUILH, de l’enseignement des Lettres en collège à la création du Cabinet de Conseil « Compétences Plus »


Francine DUPROUILH, de l’enseignement des Lettres en collège à la création du Cabinet de Conseil « Compétences Plus »

 

Interview de Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°111 de mars 2010 sur le Café Pédagogique.

 

Pouvez-vous nous retracer votre parcours de carrière ?

 

« Après des études de Lettres Classiques jusqu’à l’agrégation, j’ai enseigné 12 ans en collège de la 6e à la 3e à Dieppe et à Elbeuf en Seine-Maritime, puis j’ai eu l’opportunité de faire autre chose. Je me suis lancée dans la formation professionnelle en devenant « coordonnateur relais », sorte de CFC « Jeunes » dans l’académie de Rouen (créé par le Ministère) pour organiser les stages des 16-25 ans en Greta. Ensuite, je suis devenue CFC et j’ai poursuivi deux ans en région parisienne dans un autre Greta de l’Académie de Versailles, mon mari proviseur doit lui aussi être mobile géographiquement.

 

Je suis devenue une CFC « terrain », rayonnant sur les Yvelines et le Val-d’Oise. Ensuite, forte de cette longue expérience du métier de CFC, j’ai été nommée Responsable Départementale pour encadrer des CFC du Département des Yvelines. J’avais alors un portefeuille de clients à gérer, et j’établissais des conventions régionales et nationales avec le Ministère de l’Education Nationale. Ensuite, je suis devenue Chargée de mission à la DLC10 nationale. J’étais Responsable du Conseil en France pour l’Education Nationale, je m’occupais de la gestion des Grands Comptes, pendant deux ans.

 

Ensuite, j’ai eu à saisir une nouvelle opportunité : la Fédération patronale de l’industrie pharmaceutique souhaitait construire un observatoire des métiers et ils m’ont proposé ce challenge, et je n’ai pas hésité, ce qui a nécessité de prendre une disponibilité, de 1993 à 1998.

 

Un jour, j’ai reçu un courrier de l’Education Nationale me proposant deux choix : stopper ma nouvelle activité ou être radiée d’office de la Fonction Publique, et là non plus je n’ai pas hésité, je suis parti définitivement. Je suis restée 6 ans dans cette Fédération patronale, puis le vent du large à nouveau a commencé à souffler, et j’ai démissionné de mon poste, pour monter mon propre cabinet en 1999, que j’ai appelé Compétences Plus (NDLR 2025: il n'existe plus puisque Francine est partie en retraite). J’en suis devenue la Présidente-Directrice-Générale. Quand j’ai commencé cette aventure, j’avais 50 ans, et j’en suis actuellement la seule salariée.

 

Pour conclure, j’ai adoré mon parcours de carrière, je ne me suis jamais ennuyée, je suis toujours partie vers ce qui m’attirait, et j’ai toujours saisi quand il le fallait l’opportunité qui me plaisait. »

 

Votre premier départ de l’enseignement avait-il été réalisé sur un « coup de tête » ?

 

« Oui. J’avais eu à m’occuper d’adolescents pendant 12 ans, je suis devenue mère moi- même, et je commençais à en avoir ras-le-bol de la crise d’adolescence, même si ma porte était toujours ouverte aux élèves qui le souhaitaient, car je n’ai pas réalisé mon métier d’enseignante à moitié. J’étais très à l’écoute de leurs difficultés, tant pour entendre leurs problèmes familiaux, que leurs soucis personnels. J’étais très investie dans mon collège auprès des enfants défavorisés, j’avais une relation d’aide très ouverte.

 

Quand on enseigne le Français (j’ai une double formation en Français et en Philosophie), on a beaucoup plus de facilités que les autres enseignants à être proches des élèves. J’ai eu l’occasion de monter un festival du roman policier à Elbeuf, de faire du théâtre, de monter une émission de radio… Ce qui m’a décidée très vite à partir du collège, c’est que mon mari, proviseur, avait un salaire stable, donc je me sentais plus libre, alors qu’une femme seule peut moins facilement se le permettre. Mon caractère rebelle et aventurier m’a aidé dans mes choix. J’ai saisi cette opportunité qui s’offrait, alors que je n’y connaissais rien en formation continue. »

 

En quoi consistait cette mission d’aide aux 16-25 ans que vous avez exercée comme CFC sur votre premier poste ?

 

« Je montais des stages en alternance en relation avec les entreprises, en travaillant avec les missions locales. Je contribuais à des chantiers-écoles, pour l’apprentissage d’un métier manuel, où on apprend tout par le professionnel. Cet aspect me plaisait beaucoup, avec toujours une part de pédagogie, la recherche de la transmission du savoir, permettant de remettre en confiance des publics en échec dans l’enseignement traditionnel. J’ai toujours aimé m’occuper des «Bas Niveaux de Qualification » comme on les appelait alors dans les années 1975. Au fur et à mesure, de stage en stage, certains jeunes obtenaient leur CAP. »

 

Quand vous êtes devenue responsable, que faisiez-vous ?

 

« J’étais responsable d’une centaine de formateurs, dans un gros Greta, et tous les ans je devais défendre devant la DAFCO un Plan de Formation de formateurs. Comme j’ai une autorité naturelle, autant à l’aise dans un rôle hiérarchique que dans une relation d’aide, j’ai toujours été opérationnelle dans ce type de fonctions. »

 

Quelles compétences personnelles ont favorisé ces changements ?

 

« Le goût pour la résolution des problèmes des autres, j’ai toujours travaillé comme ça, en mode de gestion de projets, avec l’envie de gérer, d’entrer dans une relation d’aide. Ma spécialité, ce sont les problèmes de Gestion des Ressources Humaines. Dans mes missions, j’estime que J’aide les Responsables des Ressources Humaines comme les salariés, pour valoriser leurs compétences, gérer les conflits internes aux équipes, trouver des solutions. J’ai toujours été très proche, dans mes fonctions, de la notion de compétences et de leur valorisation. Quand je suis devenue CFC, il y avait alors une formation très lourde de 2 ans pour devenir Consultant sans certification au final. C’était une « formation-action ». il fallait trouver des clients, des chantiers, et si on faisait ses preuves, on était titularisé comme CFC.

 

Aujourd’hui, la formation dispensée est moins approfondie. J’aime négocier, monter des formations sur mesure, prendre en compte les problématiques des entreprises, ce métier m’a donc beaucoup plu. »

 

Avez-vous eu des collègues enseignants qui aient entrepris des secondes carrières ?

 

« Oui, quand j’ai travaillé au Ministère, nous étions une petite équipe d’anciens enseignants. Tous sont partis une fois travailler en entreprise, vers la SNCF, ou le CNAM, en Cabinets de conseil aussi, tous ont quitté définitivement l’Education Nationale.

 

Une question se pose : l’Education Nationale sait-elle employer ses experts, les valoriser, pour les conserver ? Je travaillais dans un service marchand, mais j’avais toujours un salaire de prof avec une indemnité de CFC qui n’était pas comptabilisée pour mes annuités de retraite. Au bout de 20 ans de fonction publique, quand j’ai démissionné, ça comptera pour 91 trimestres, et j’obtiendrais 44% de mon dernier salaire selon les règles actuelles. Quand je suis allée travailler dans le privé avec le même niveau de responsabilité, mon salaire a doublé, et je bénéficiais d’un 13e mois et de primes de performance. »

 

Que pensez-vous des secondes carrières instituées après 15 ans d’ancienneté ?

 

« Il ne faut pas attendre ce seuil. Il faut partir quand on n’est plus dans la passion de son métier, dans l’innovation, et qu’on se répète. J’ai beaucoup travaillé sur l’usure professionnelle, que je distingue de la fatigue et de la pénibilité au travail. On a intérêt, quand on décide de partir, à ne pas rester au chômage, d’avoir très vite un salaire, qui soit égal ou supérieur à celui que l’on détenait dans l’Education Nationale, si on veut espérer y gagner. J’ai vu certains de mes anciens collègues monter leur cabinet Conseil et ne pas pouvoir se verser de salaire tout de suite, cela est très dur, je n’ai pas connu ce problème heureusement ».

 

Pensez-vous qu’au niveau des CFC on puisse parler de fuite des cerveaux au niveau de l’Education Nationale ?

 

« Le CFC est toujours rattaché à son académie d’origine, il n’est jamais inspecté, donc tout son avancement s’effectue à l’ancienneté, cela ralentit sa carrière.

 

Au Ministère, j’ai perdu de l’argent, car, ayant des responsabilités nationales, je me déplaçais continuellement, et je n’étais remboursée que sur le tarif SNCF de 2nd classe avec un forfait hôtel qui ne correspondait même pas au minimum du tarif des chambres existantes. Mais le travail est malgré tout passionnant.

 

Quand on se donne à fond dans sa fonction, on attend une rétribution à la hauteur de son investissement. Si on est déçu, il faut partir, sinon c’est la frustration et le dépit qui vous gagnent.

 

Je suis partie, car l’Education Nationale n’a pas su me rémunérer à la hauteur de mes compétences et de mon investissement et que le privé m’apportait une opportunité aussi intéressante (monter et animer un Observatoire des métiers, de l’Emploi et de la Formation. »

 

Que propose actuellement Compétences Plus, votre entreprise ? (qui a fermé depuis que Francine a pris sa retraite, ndlr)

 

« J’apporte des conseils aux entreprises, aux fédérations de branches, aux observatoires des métiers en matière de Gestion des Ressources Humaines. J’ai aussi conservé un volant de formations : Je prépare des salariés à leur entretien professionnel, je forme à la gestion du stress, à la prévention de l’usure professionnelle, au Management et au Coaching. J’accompagne les jeunes cadres dans leur prise de fonction, j’aide les gens à travailler ensemble. »

 

Avez-vous eu des regrets sur ce parcours ?

 

« Aucun, je me suis vraiment éclatée, et actuellement même si l’heure de la retraite est proche je suis prête à me réinvestir dans de nouveaux projets. »

 

Quels conseils donneriez-vous aux décideurs du Ministère de l’Education Nationale en matière de GRH ?

 

« Pour l’instant, on est dans l’EN au degré zéro de la GRH. J’ai été inspectée seulement 2 fois en 12 ans. Les seuls qui renvoient quelque chose à l’enseignant sur sa pratique quotidienne, ce sont les élèves.

 

Trop d’inspecteurs et certains chefs d’établissement ne savent pas valoriser les enseignants, les motiver, reconnaître leur investissement. Pour faire vraiment de la GRH dans l’EN, il faut redonner de la motivation, aller vers une évaluation et une rémunération au mérite. »

 

Que conseilleriez-vous à un enseignant qui souhaite quitter l’enseignement ?

 

« Il faut le faire dès que l’idée émerge en lui, s’il le veut vraiment. Il faut se poser des questions : qu’ai-je à y gagner ? qu’ai-je à y perdre ? Il faut refuser de s’installer dans une usure professionnelle chronique et aller jusqu’à sa retraite sans plus aimer son métier. Il est important, quand la passion n’est plus là, d’oser se l’avouer et de prendre les moyens nécessaires pour changer, car quand on n’est plus passionné, ni motivé, on ne passionne et on ne motive plus les élèves, et la qualité de la transmission du savoir s’en ressent. »

 

Que pensez-vous de la démarche entreprise par Aide aux Profs ?

 

« C’est très intéressant. Je ne pensais pas qu’on pouvait accompagner des professeurs dans leur changement professionnel. Votre démarche est hyper constructive, et j’ai repensé à des collègues qui en auraient eu besoin. Moi, j’ai eu la chance extraordinaire de réaliser ce trajet professionnel, de faire ce qui me plaisait. Se remettre sur le marché du travail, pour un enseignant, c’est excitant, cela lui permet de se confronter à la réalité économique et de savoir ce qu’il vaut ».

 

Francine conclut ce riche entretien :

 

« Un enseignant n’a pas de mal à se reconvertir, s’il est motivé, car il possède des compétences transférables qui intéressent les entreprises : il sait écrire, s’exprime correctement à l’oral, sait gérer les ressources humaines qu’on lui confie, est toujours actif dans la transmission des savoirs, en recherche d’innovation, créatif, disponible. Il a plein d’atouts. J’ai beaucoup de respect pour les enseignants, et j’ai beaucoup travaillé sur la transférabilité des compétences. »

 


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