· 

Annabel : une mobilité externe progressive, sans quitter la passion de la pédagogie


Annabel SAINT-PAUL : une mobilité externe progressive, sans quitter la passion de la pédagogie

 

Interview de Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°114 de juin 2010 sur le Café Pédagogique.

 

Quel a été son parcours de carrière ?

 

« Après une licence de géographie en 1996, j’ai obtenu le concours de Professeur des Ecoles en 1998. J’ai alors enseigné de la Maternelle au CM2 pendant 10 ans, dont 6 ans en CE2.

 

Comme j’étais très intéressée par les TICE, je suis devenue personne ressource en 2004-2005, suite à un stage, dans mon école, afin d'aider les autres enseignants et d'impulser des projets notamment dans le cadre de la mise en œuvre du B2i. J’ai voulu réaliser une formation de webmaster avec un Congé de Formation Professionnelle, mais comme la durée moyenne pour l’obtenir était de 4 ans dans l’académie de Toulouse, j’ai préféré demander une disponibilité pour la réaliser en 2008-2009. Avec ce diplôme de webmaster, j'ai renouvelé ma demande de disponibilité et créé mon auto-entreprise pour développer des sites web en Html, Css, Php et faire du Webmarketing.

 

Souhaitant rester dans le domaine de l'éducation, pour proposer mes compétences à mon académie, j’ai adressé un mail en février 2010 au DRH de l’académie, resté sans réponse, puis j’ai téléphoné, mais je n’ai pu contacter personne.

 

Alors j'ai décidé de me lancer consultante en éducation, en particulier dans le domaine numérique. J'ai d'ailleurs créé un blog sur l'actualité de l'école numérique (NDLR: en 2025, son blog n'existe plus)  où les profs mais aussi les acteurs privés du numérique à l'école (éditeurs, fabricants de matériel technologique etc.) peuvent avoir un aperçu de ce qui se dit, ce qui se fait et des dernières innovations en matière de TICE.

 

En quoi consiste cette activité de consultante ?

 

« C’est une activité de conseil en éducation et en pédagogie auprès de fabricants de solutions technologiques, de diffuseurs de contenus et notamment des éditeurs de manuels scolaires, qui, pour réaliser leurs versions numériques, sont en quête de conseils. Mon travail est de concevoir les outils numériques, trouver un prestataire externe pour les réaliser, et de suivre le projet jusqu’à son aboutissement ».

 

Quelle est votre activité comme auto-entrepreneuse ?

 

« Pendant 6 mois j’ai créé des sites web pour l’entreprise de mon mari. Cela m’a permis vraiment de sortir de la classe, de faire autre chose.

 

Au 1er trimestre de mon activité j’ai gagné environ 1400,00 € nets par mois et au 2e trimestre environ 800,00 € nets par mois. Les charges atteignent sous ce régime environ 20% du chiffre d’affaires, impôt sur le revenu compris. J’ai quitté mon métier en l’aimant, je ne l’ai pas laissé derrière moi à regrets. Ce que je ne voulais pas, c’était devenir une prof aigrie, épuisée, démotivée face aux élèves. Je n’avais que 33 ans lorsque j'ai décidé d'entamer ma reconversion, et à cet âge, tout est encore possible professionnellement. »

 

Quel a été le regard de vos collègues sur votre projet professionnel ?

 

« Ils ont été dubitatifs et admiratifs. J’ai toujours entendu la majorité des profs que je cotoyais dire « j’ai envie de faire autre chose ». Moi, cela faisait longtemps que j’envisageais aussi une seconde carrière, mais j’ai attendu de savoir dans quel domaine pour me lancer. »

 

Pourquoi dans ce cas être devenue enseignante pour quitter si vite ce métier ?

 

« Je suis issue d’une famille d’enseignants, des générations d’instituteurs qui se succèdent ainsi depuis l’époque de Jules Ferry ! J’ai donc suivi le modèle familial, car à l’époque je n’ai pas vu ce que je pouvais faire d’autre. J’ai découvert un métier passionnant, mais qui est devenu très difficile, avec des horaires très lourds.

 

En début de carrière, j'ai atteint près de 70 heures par semaine si je comptabilise, la conception des cours et des animations pour les élèves, les corrections de cahiers, de devoirs, le temps passé à recevoir les parents, à gérer les affaires administratives de l’école.

 

C’est très rude, on ne s’attend pas du tout à une telle charge de travail. »

 

Que pensez-vous de la réforme de la masterisation ?

 

« Je crains que l’objectif soit avant tout de respecter une contrainte budgétaire, pas d’améliorer la formation des profs. Les générations à venir vont arriver dans le métier sans véritable préparation. Ma formation personnelle était déjà trop théorique, j’ai ressenti un profond décalage entre la formation que j’ai reçue à l’IUFM et la réalité sur le terrain. Le problème majeur, c’est que les hommes politiques recherchent la performance, mais ignorent complètement le reste, l'aspect humain de ce métier. »

 

Quelles compétences avez-vous développées dans l’enseignement ?

 

« J’ai pratiqué une pédagogie innovante de type PMEV (Pédagogie de Maîtrise à Effet Vicariant). Il s’agit de préparer le travail des enfants sous forme de plan de travail, sur plusieurs matières, en leur donnant tous les exercices à réaliser dans les 3 prochaines semaines, sur plusieurs niveaux. L’idée est de favoriser ainsi le choix de l’enfant, pour qu’il puisse travailler à son rythme. Lors du bilan, l’enfant va au tableau et explique à ses camarades comment il s’est organisé, et c’est un vrai moment d’échange avec les autres enfants, c’est cela, l’effet vicariant. »

 

Quelles compétences, parmi celles que vous avez acquises, vous servent dans votre activité actuelle ?

 

« La culture du numérique, la capacité de gestion administrative et d’organisation autonome, la rigueur à suivre un programme, la capacité à gérer l'aspect relationnel (parents, enfants), et l’expérience d’une année de direction d’école que j’ai eue, avec les élus locaux comme partenaires. »

 

Comment avez-vous vécu cette direction d’école ?

 

« C’est 1h à 2h de travail en plus par jour, pour 100,00 € à 150,00 € de plus par mois. Ce n’est pas du tout valorisé, c’est très mal payé par rapport aux responsabilités qui nous incombent, notamment au niveau de l’entretien des locaux et des matériels. La plupart des directeurs a choisi ce statut, cela peut être imposé par l’administration. Si c’est l’IEN qui propose, c’est « très mal vu » de refuser, c’est un peu « le pot de terre contre le pot de fer ».

 

Que dire à un jeune étudiant qui veut devenir professeur des écoles ?

 

« Il faut y aller, à condition d’être très motivé, mais c’est un métier très difficile. De plus, le métier n’est pas toujours très bien vu des parents, qui ont des a priori sur les profs, les clichés habituels, qui leur font croire que nous sommes tout le temps en vacances, alors que notre charge de préparations est très lourde. Les gens sous-estiment totalement le travail que nous réalisons, ils ne voient que le côté qui les intéresse.

 

Pour une personne qui souhaiterait de venir prof des écoles en seconde carrière, cela va lui exiger beaucoup d’énergie. »

 

Que dire à un prof qui souhaite s'aventurer vers une seconde carrière ?

 

« Il ne faut pas attendre, dès lors qu’il en a l’idée : commencer par se renseigner sur les métiers qui nous intéressent, rencontrer des gens qui l'exercent, leur demander quel est leur quotidien, leur demander les études qu'ils ont faites, des conseils... puis oser se lancer ! Il ne faut pas croire non plus que quitter les élèves, « c’est enfin se la couler douce ». C’est un départ vers une autre aventure, avec un autre rythme, d’autres contraintes… » Il faut bien cerner ses motivations avant de se lancer, savoir pourquoi on part. Ensuite, le projet a de grandes chances d'aboutir car on sait davantage ce que l'on ne veut plus et ce que l'on cherche.

 

Comment voyez-vous l’avenir ?

 

« J’ai actuellement plusieurs pistes pour les trois prochaines années. J'espère en premier lieu développer suffisamment mes activités de consultante pour en vivre mais je peux également - être embauchée comme webmaster éditoriale chez un éditeur ou une entreprise, - devenir formatrice en e-learning. »

 

Que vous inspire AIDE AUX PROFS ?

 

« Je l’ai connue par le Café Pédagogique. J’aurais aimé la connaître plus tôt, cela m’aurait permis d’avancer plus vite dans mon projet quand j’ai commencé à envisager une reconversion et surtout, d'avoir le soutien que je n'ai pas rencontré dans l'Education Nationale. Je conseille l’association autour de moi, aux enseignants que je rencontre qui ont envie de faire autre chose. »

 



Écrire commentaire

Commentaires: 0