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Les secondes carrières de Michel DE BONVILLER, ancien professeur certifié de mathématiques


Les secondes carrières de Michel DE BONVILLER, ancien professeur certifié de mathématiques

 

Interview de Rémi BOYER pour l’association AIDE AUX PROFS, publiée dans le mensuel n°107 de novembre 2009 sur le Café Pédagogique.

 

Quelles ont été les étapes de votre parcours professionnel ?

 

« J’ai réalisé 5 ans d’études d’ingénieur ICAM (Arts et Métiers) avant d’exercer en 1968 la profession d’ingénieur de recherche en Mécanique des fluides pendant 2 ans. L’époque de 1968 nous avait rendus sensibles, mon épouse et moi, à l’écologie et à l’avenir de la planète, aux déséquilibres en terme de justice entre les pays industrialisés et ce qu’on appelait le tiers-monde. Nous étions alors persuadés qu’il fallait changer de mode de vie (nous étions bien des enfants de 68 !). Il nous a paru que les changements se feraient à travers l’éducation des enfants, qu’il n’était plus temps de développer des techniques, mais de se changer soi-même (et de changer de standing de vie, d’expérimenter une certaine « pauvreté »), et d’aider à l’évolution des esprits. J’ai donc décidé de changer de vie, de profession. Alors qu’en 1971 je gagnais 2500 francs par mois comme ingénieur, j’ai décidé de devenir instituteur, et ai trouvé un remplacement dans l’enseignement privé pendant 3 ans à Aix-en-Provence ; mon salaire atteignait en moyenne 1200 francs par mois (soit une diminution de plus de 50%).

 

Comme j’avais souffert de l’école, de la sujétion dans laquelle je m’y trouvais par rapport aux adultes, des rapports de force entre enfants, je pensais pouvoir mettre en œuvre une autre façon d’enseigner qui respecterait davantage l’élève. Puis j’ai voulu réaliser une formation, pendant un an, à l’Institut Supérieur de Pédagogie à Paris, en 1974, et mon niveau de revenu a baissé de 32%.

 

Lorsque l’on souhaite évoluer professionnellement, il faut être prêt à faire des sacrifices, à changer de confort de vie pendant un temps donné. Ensuite, je suis devenu professeur de mathématiques et de Technologie pendant 3 ans en collège en région parisienne, avant de décider de monter notre propre école en accueillant dans notre maison des enfants en difficulté : je suis devenu « assistant paternel ».

 

Mes revenus ont alors diminué de 50% par rapport à mon métier de professeur de collège. Cette expérience n’a pas duré pour des raisons diverses, ce qui fait que, l’année suivante, je me suis présenté et ai obtenu un poste d’instituteur (employé par l’Association et non par l’E.N.) à l’ « Ecole Nouvelle Terrevigne » où je suis resté 4 ans.

 

A la fin de l’année 1983, j’en ai eu assez d’enseigner, et j’ai démissionné, avec l’idée de devenir plombier. J’ai donc réalisé une formation FPA pendant 1 an, puis je suis devenu artisan à mon compte pendant 4 ans, en exerçant la profession de plombier-chauffagiste. Pour des raisons de santé, des problèmes de dos, j’ai dû cesser cette seconde carrière qui me plaisait, alors que j’avais réussi à me constituer une clientèle et que je commençais à bien en vivre, et j’ai connu une année assez difficile : je n’avais plus aucune rentrée d’argent ; mon épouse a cherché et trouvé ( !) du travail et a assuré le relais ; quand j’ai pu me remettre debout, j’ai trouvé un travail de gardien de nuit dans un foyer- accueil de nuit, qui lui aussi m’a beaucoup plu. En 1989 je décide alors de retourner enseigner comme maître-auxiliaire, toujours en mathématiques, et le fait d’enseigner en lycée puis à des classes de BTS me donne envie en 1992 de tenter le CAPES de mathématiques que je décroche, heureusement !, du premier coup. J’ai ensuite enseigné 15 nouvelles années en Collège, lycée et Lycée professionnel, avant de partir en retraite à 60 ans, car je commençais à sentir un certain « burn-out » : je n’étais jamais satisfait de mon travail et des résultats obtenus. »

 

Vous avez connu l’école primaire, le collège, le lycée, le lycée professionnel : quel niveau d’enseignement avez-vous le plus apprécié et pourquoi ?

 

« J’ai apprécié les 3 niveaux :

- L’école primaire, surtout dans la période « école nouvelle » où nous innovions réellement : l’école était un lieu de vie, où les parents avaient leur mot à dire, où le rythme des enfants était pris en compte, où l’expérience réelle avait sa place…etc. Je ne détaille pas, ce serait trop long,

 

- le collège m’a permis de mettre en œuvre une méthode d’apprentissage des mathématiques qui a redonné de l’intérêt aux jeunes, où l’échec n’existait pas mais seulement le progrès. Il m’a permis aussi de gérer des équipes de profs pour un véritable pilotage des classes, qui a donné des résultats intéressants en particulier en terme de relations prof-élève. J’ai aimé ce rôle de lien entre une classe et ses professeurs,

 

- le lycée professionnel m’a fait renouer avec ma formation d’ingénieur ; j’ai eu beaucoup de plaisir (et de difficulté) à réapprendre, après 20 ans d’interruption, ce qu’est un moteur électrique. Gérer les « essais de moteur » m’a donné beaucoup de travail et de stress, mais j’ai apprécié de ne pas être seulement « dans la tête », - le lycée m’a donné le plaisir intellectuel : le plaisir de la matière mathématique, de la pédagogie de cet enseignement. L’âge des élèves permet d’autres relations, souvent riches.

 

Au bout de 11 années d’enseignement, vous avez décidé de devenir plombier : pourquoi ce choix, et comment se réalise ce changement ?

 

« J’étais alors en « école nouvelle ». D’une part, il est difficile de ne pas se fatiguer des remises en question perpétuelles qui existaient dans ce lieu, mais nous avions aussi de plus en plus de problèmes avec l’inspection qui contestait nos méthodes. Malgré une inspection très positive, l’inspecteur qui m’inspectait (alors que je n’avais aucun statut d’enseignant, étant payé directement par l’association) m’a dit avoir eu l’impression d’être avec Célestin Freinet ( !) ; ça m’a fait plaisir…, mais j’étais las de faire faire, surtout dans ces conditions de suspicion. J’avais envie de « faire moi-même ». Au bout de toutes ces années d’enseignement, j’avais envie d’un peu d’oxygène, d’aller voir ailleurs comment ça se passe, car dans l’Education Nationale, il y a une ambiance qui pourrit la vie des enseignants : ils en ont souvent marre de leurs élèves, certains ont des réactions répulsives face au groupe-classe, et beaucoup de profs répètent qu’ils aimeraient bien faire autre chose, mais qu’ils ne savent rien faire d’autre. J’avais donc besoin de prendre du recul sur ce métier, de voir autre chose. Pourquoi plombier ? Parce que je voulais être indépendant, et créer par la suite, avec d’autres, une coopérative ouvrière dans le bâtiment. Parce que aussi, accessoirement, au cours de ma formation initiale, j’avais beaucoup aimé le soudage, et enfin que j’avais expérimenté en amateur ce métier lors de mon année comme assistant paternel. »

 

Comment, concrètement, s’est fait ce changement vers le métier de plombier ?

 

« A l’époque, quand on avait travaillé un certain temps, on avait droit à une formation rémunérée 3700 francs par mois. Je n’avais pas de statut au sein de l’Education Nationale, j’étais salarié d’une association où je travaillais comme instituteur du CE2 au CM2. J’ai eu droit à une formation de 11 mois où j’ai appris la plomberie et qui m’a donné mon CAP de plombier-chauffagiste, puis je me suis rendu à la Chambre des Métiers et j’ai monté un dossier très simple pour devenir artisan. Je me suis inscrit à l’URSSAF, dont le système au forfait était bien moins avantageux que le système actuel de l’auto-entreprise. Pour me faire connaître, les débuts ont été très difficiles. J’avais d’abord imprimé des papiers que je mettais sur les pare-brise des voitures sur les parkings, j’en ai mis plus de 1000, mais cela n’a rien donné, aucune réponse positive.

 

Mon premier client a été en fait, je crois m’en souvenir, l’école primaire de mes enfants, puis des enseignants, par le bouche-à-oreille. J’ai bien galéré 2 ans financièrement avant que l’activité ne démarre vraiment, et je m’étais associé avec un autre artisan. Au bout de 3 ans d’activité, je gagnais au moins 10 000 francs par mois, cela me suffisait, c’était bien plus que le métier d’enseignant. Je travaillais en moyenne 40h par semaine, j’étais libre de mon emploi du temps et indépendant, personne sur le dos pour me dicter ce que je devais faire, et mes clients me faisaient confiance, puisque je connaissais bien mon métier, et qu’eux n’y connaissaient pas grand-chose.

 

Comme au bout de 2 ans j’avais développé ma clientèle, je prenais en moyenne deux à trois semaines de vacances par an, mais la différence par rapport aux longues vacances dont bénéficient les enseignants ne me manquait pas, puisque j’étais libre, mon propre patron : c’est, à mes yeux, un confort inestimable que de n’avoir à obéir à personne, de ne pas subir des ordres ou des situations que l’on ne supporte pas ou plus.

 

Quand on n’est pas stressé, quand on fait un boulot qui nous plaît, on n’a plus autant besoin de vacances. »

 

Quelles compétences aviez-vous acquises dans l’enseignement ? Lesquelles vous ont été le plus utiles dans votre métier ?

 

« Il n’y a pas eu de transfert de compétence de l’enseignement vers la plomberie. J’ai aimé travailler la pédagogie, gérer des équipes de professeurs lorsque j’étais professeur principal, et j’ai su ainsi que j’avais des qualités de manager, cela me plaisait, tous ces échanges entre enseignants. »

 

Pourquoi être revenu vers l'enseignement au lieu d'un autre domaine professionnel, et comment avez-vous ressenti ces 15 dernières années dans ce métier que vous aviez voulu quitter ?

 

« Pour des raisons de santé : des hernies discales m’ont arrêté pendant presque un an ; je n’ai pas voulu me faire opérer ; je ne pouvais plus reprendre ce métier. J'étais pressé de trouver un travail, car mon épouse en avait cherché et trouvé un, une chance! , au moment où moi j'avais du m'arrêter et m'allonger...; mais nous avions alors 5 enfants de 9 à 19 ans. Nous avions serré plusieurs crans à la ceinture, mais, malgré notre habitude à le faire, c'était difficile: l'aînée faisait ses études à Paris...etc. J'ai cherché pendant quelques mois un emploi hors enseignement, plutôt dans le domaine éducatif (orphelins d'Auteuil...). En réalité le temps manquait pour vraiment explorer de nouvelles terres! et sachant que le métier d'enseignant était tout de même un métier que je connaissais, j'ai postulé comme MA. Ce qui était nouveau, c'est que je quittais le secteur enseignement privé pour celui public.

 

Non, ce ne fut pas facile parce que j’ai regretté mon statut d’artisan pendant assez longtemps, et aussi parce que celui de maître-auxiliaire ne me satisfaisait plus : je souhaitais pouvoir m’investir à long terme, avoir un peu de pouvoir de décision dans mon travail. C’est pourquoi j’ai présenté le Capes 4 années après ma reprise dans l’enseignement. Ces 15 dernières années ont été riches: j'ai eu l'expérience d'un petit LEP, puis d'un énorme lycée (40 profs de Math, une salle spéciale pour ces profs), enfin un collège sympathique en ZUP. J'ai retrouvé du goût pour les mathématiques, leur histoire, leur pédagogie, les contacts avec les jeunes. J'ai eu, je crois, le tort de rester trop longtemps dans le même collège (11 ans). Pour me renouveler j'aurais dû retourner en lycée. Cette erreur a provoqué mon besoin de partir en retraite à 60 ans, alors que je n'avais pas le total d'années validées requises. Mon expérience me prouve qu'il est possible de retrouver de la motivation pour le métier d'enseignant même lorsqu'on l'a quitté volontairement; mais il faut changer, de lieu, de tranche d'âge, de type d'établissement pour reprendre du tonus... »

 

Pourquoi avez-vous regretté ce métier d’artisan ? Que vous apportait-il, en comparaison avec le métier d’enseignant ? Quelles étaient les conditions de travail par rapport au métier d’enseignant ?

 

« Quand on est enseignant, on a la responsabilité de jeunes, qui ne se sentent pas, le plus souvent, responsables d’eux-mêmes. Ensuite, quand on est enseignant, on est toujours contrôlé quoi qu’on fasse, la hiérarchie (l’inspecteur) nous transmet le message implicite suivant : « tu n’es pas un bon enseignant ; ce que tu fais ne correspond pas à ce que l’Education Nationale attend de toi».

 

Lorsque les profs savent qu’ils vont être inspectés, beaucoup tremblent, n’en dorment plus. Une inspection, c’est trop court, tout le monde sait très bien que ce jour là, on montre à l’inspecteur ce que l’on ne fait jamais d’habitude, juste parce qu’il vient, pour correspondre à ce qu’on croit qu’il attend, pour « être dans les clous ». Pour l’inspecteur, « on n’est jamais à la hauteur », il faut toujours faire les choses différemment. C’est un système décourageant. Il faut vraiment mettre fin à ce système infantilisant, qui n’est pas constructif, il y a une réforme urgente à mener à ce sujet.

 

Par ailleurs, nombreux sont les enseignants qui souffrent beaucoup de leur rôle, pourtant nécessaire, de gardien de la règle : faire se ranger les élèves, réprimander ceux qui ne se conforment pas à la discipline, ou être garant du travail. Comment tenir si les élèves vous apparaissent comme ne voulant pas travailler, bref, comme des enfants qui vous emmerdent alors que vous essayez de faire votre cours ? Quand on en est là, il faut savoir changer. Sentant moi aussi le poids de ces contraintes user ma motivation, j’affirmais et j’affirme qu’on n’est pas obligé de supporter ça toute une vie, qu’on n’est pas obligé d’être prof ou de rester prof parce qu’on en a les capacités. C’est tout ce questionnement qui m’a incité à changer pour devenir plombier, et même si j’ai dû revenir à l’enseignement, cela n’a pas été de gaieté de cœur. A mon sens, l’enseignant ne devrait pas l’être toute sa vie, et ce d’autant plus qu’une carrière va durer maintenant 42 années.

 

Non seulement l’enseignant devrait souvent changer de niveau, d’établissement, mais on doit lui permettre de faire autre chose quelques années, car c’est un métier usant. Quand on est artisan, on connaît bien son métier. On sait ce que l’on a à faire, et les gens, entre autre chose parce qu’ils ne maîtrisent pas bien votre savoir, vous font confiance : vous êtes l’homme de l’art. On a donc l’esprit en paix quand on travaille, on est respecté par ceux pour qui l’on travaille. Quand on est bon dans son domaine, on a l’esprit libre. Parfois, sur mes chantiers, j’apportais mon violon ou un livre et je m’accordais une petite pause pour en jouer un peu ou lire dans le jardin, puisque j’étais seul. Je pouvais aussi pique-niquer sur place, j’étais indépendant, l’important étant que je réalise le travail correctement et dans les temps qui m’étaient demandés, donc je m’organisais comme je voulais. J’ai beaucoup aimé le contact avec mes clients, et comme ils me sentaient honnête, le bouche-à-oreille m’a permis de voir les chantiers se succéder sans interruption, et de gagner correctement ma vie. »

 

Que diriez-vous à un jeune enseignant qui pense s’être trompé de voie et souhaite quitter le métier après quelques années d’enseignement seulement ?

 

« Qu’il ne faut surtout pas rester dans un métier comme celui-là par obligation ; c’est la déprime assurée, sans compter que les enfants ne peuvent qu’en pâtir. Mais j’ai vu combien il était impossible à quelqu’un qui à réussi à « être prof, donc fonctionnaire » de renoncer à ces avantages énormes, en particulier dans notre société actuelle. Seule une reconversion vers responsable de CDI, principal ou inspecteur lui apparaît possible, mais en attendant, si l’enseignant ne la choisit qu’à défaut d’avoir eu le courage de faire autre chose, sera-t-il plus épanoui dans ce type de fonction ? »

 

Et à un professeur qui a 15 à 20 ans de métier, que lui conseilleriez-vous s’il souhaite quitter la fonction publique ?

 

« Demander à bénéficier d’un bilan de compétences afin de cerner ses intérêts, puis d’une formation correspondant à son choix. On a de l’énergie quand on a des projets qui vous tiennent à cœur.

 

En outre, avoir fait un autre métier, et revenir à celui d’enseignant change le regard : il est très dommageable (pour les élèves) que leurs profs n’aient connu que l’école. Quant à moi, la prise de distance m’a été bénéfique: j’ai pris du recul par rapport aux programmes, aux relations entre profs, à l’inspection etc.»

 

Quel regard portez-vous sur un dispositif associatif comme AIDE AUX PROFS ?

 

Un regard très positif, car j’ai pu mesurer combien chaque prof se sent « incapable de faire autre chose » : « je ne sais rien faire » voilà ce que j’ai entendu dans tous les établissements où j’ai enseigné.


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